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Entretien Atsem : « Choquées que nos dirigeants ne se soucient pas de notre avis ! »

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Nous proposons ici en extrait de N’Autre école, l’Hebdo, n° 3, un entretien avec deux Astsem qui nous parlent du confinement et de leurs inquiétudes sur la reprise… Depuis le 13 avril, la revue N’Autre école est devenue hebdomadaire le temps du confinement. Voici son 3e numéro “Paroles déconfinées”. Pour feuilleter le n° 3 en ligne Pour télécharger le Pdf du n° 3 q2c_hebdo_no3_web_02_260420.png n3hebdo3.pdf Nous avons posé des questions concernant le confinement et la potentielle reprise du 11 mai à Mélodie Jacques du collectif Atsem de France, et Isabelle Dubois, fondatrice du collectif Atsem national, mais qui nous répond en son nom propre. Questions de classe(s) – Comment s’est organisée la fin des cours à la mi-mars ? Mélodie Jacques – Alors il est vrai que la décision de fermer les écoles a été très inattendue puisque quelques heures auparavant M. Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, n’avait pas l’air d’envisager cette éventualité. De ce fait, le lendemain, ça a été un peu la pani­que : les parents posaient (et à juste titre) des questions auxquelles personne ne pouvait répondre. La directrice a con­tacté la mairie qui a confirmé qu’en effet les services périscolaires ne seraient plus assurés dès le début de la semaine prochaine. Ce n’est qu’en fin de journée qu’elle a su par une maman soignante que l’on devait prendre ses enfants le lundi. Elle a eu peu de temps après la confirmation de l’inspection. Isabelle Dubois – Dans mon école, nous avions repris depuis moins d’une semaine lorsque l’annonce de la fermeture des écoles a été annoncée jeudi 12 mars par le Président. Cette soirée a été très stressante pour moi : beaucoup de questions liées au travail, à mes obligations familiales (j’ai quatre enfants, dont une fille en première et une autre en CM1). J’ai eu du mal à trouver le sommeil dans la nuit de jeudi à vendredi ! Le vendredi, je prends mon travail à 7 heures, toujours stressée et inquiète, d’autant que j’ouvre l’éco­le et l’accueil périscolaire, en n’ayant aucune autre information que l’annonce faite la veille. Je suis la première à accueillir les familles, inquiètes elles aussi, et je ne peux ni répondre à leurs inquiétudes que je partage, ni leur dire comment cela va se passer à partir de lundi. Je prends sur moi et leur dis de ne pas s’inquiéter, que nous sommes pris de court ; comme tous, par cette annonce et qu’ils auront des précisions dans la journée, lorsque toute l’équipe éducative et les représentants de la Mairie auront pu se réunir et définir la marche à suivre. Vers 8 heures, la responsable du service Éducation de la ville passe pour faire le tour des cinq écoles maternelles de la ville pour nous dire que nous aurons des réponses dans la journée. La journée est compliquée, les enfants sont énervés et doivent ressentir le stress de l’ensemble des adultes qui continue de monter jusqu’à ce que, à 17 heures, juste avant mon départ de l’école, nous recevions un message de la mairie nous indiquant de se présenter lundi sauf si nous avons à charge des enfants de moins de 16 ans. Dans ce cas, nous serions en ASA (Autorisation spéciale d’absence), confinés à domicile, sans plus de précisions pour mes collègues sur ce qui les attend le lundi. Nos collègues enseignantes reçoivent de même un mail en fin de journée pour leur demander comme nous de se présenter le lundi. QdC – Et donc le premier lundi du confi­nement, que s’est-il passé ? I. D. – Du coup, je suis soulagée de savoir que je n’aurai pas de problèmes pour gérer mes deux filles. Je reste confinée, avec les devoirs de ma fille de 9 ans à faire chaque jour et les inquiétudes de ma fille de 17 ans qui passe le Bac de français, et qui n’arrive pas à se connecter à l’ENT (Espace numérique de travail) depuis une semaine. Cela s’arrange par la suite, mais il faut aussi définir des temps pour se partager les ordinateurs. Je suis plus apaisée en fin de première semaine, mais suis de très près l’actua­li­té ! Inquiète aussi car mon fils de 18 ans est en 1re année d’IFSI (Institut de formation en soins infirmiers) et risque d’être appelé à rejoindre les hôpitaux qui commencent à être saturés sans avoir vraiment d’expérience. Finalement les premières années ne sont pas sollicitées. M. J. – Le lundi, j’ai gardé les enfants. Comme ils ont été rassemblés dans une école proche de l’hôpital, dès le lendemain, on m’a demandé de désinfecter l’école et l’espace de la cantine. À la fin de cette première semaine de confinement, le maire m’a dit de rester à la maison. J’ai été régulièrement en contact avec mon secrétaire de mairie ou des adjoints. J’ai aussi vu le maire quelques fois durant la première semaine qui nous a expliqué justement le déroulement de cette nouvelle organisation. QdC – Le confinement est difficile, mais n’y a-t-il que des moments désagréables ? Votre hiérarchie et vos collègues prennent-ils de vos nouvelles ? I. D. – Non… Les côtés agréables sont les temps passés en famille. Nous jouons plus aux jeux de société, nous essayons de trouver des idées pour occuper le temps, cuisinons en famille, et nous donnons des défis à réaliser. Nous discutons plus et ce confinement permet de se recentrer sur les liens familiaux. Je vis à la campagne et me sens privilégiée avec du terrain et la possibilité de faire des activités en extérieur… À ce jour, à ma grande tristesse, je n’ai aucune nouvelle des enseignants de mon école, ni ai été associée aux échanges avec les familles de l’enseignante avec qui je travaille. J’ai eu plusieurs fois, au téléphone et par mail, la responsable du service éducation pour de l’administratif et aussi échanger sur cette situation inédite. Je prends régulièrement des nouvelles de mes collègues qui, elles, travaillent par roulement et assurent en compléments des enseignants (temps périscolaires, mercredis et week-ends), l’accueil des enfants de personnel soignant ; entre huit et seize enfants sont accueillis, semaine et week-ends selon les besoins. M. J. – La première semaine où je suis restée chez moi j’avais beaucoup de mal car je ne trouvais pas « normal » de ne rien faire. Je me sentais inutile ; certains collègues se sont portés volontaires pour garder les enfants des soignants, d’autres se sont retrouvés à faire de la peinture, du nettoyage… ou d’autres demandes absurdes. De même je pense que, le vendredi, on était tellement sous le choc qu’on a fait une sortie « ordinaire », ça me laisse une sensation amère. Côtés positifs : j’ai un super binôme qui m’envoie des nouvelles des enfants et qui leur donne des miennes et, habitant dans le village où je travaille, j’en croise parfois. Suite au discours du président de la République lundi 12 avril, la mairie m’a recontacté dès le lendemain et j’ai repris le nettoyage cette fois-ci du centre aéré, mais à mi-temps. Je précise que je travaille avec ma collègue du service technique. QdC – Vous a-t-on parlé de la reprise ? De la manière dont elle va s’organiser ? M. J. – Morte de rire ! Pour l’instant le conseil municipal est en train de réfléchir au niveau logistique ; des masques ont été commandés et il y aura des bouteilles de gel hydroalcoolique dans chaque classe. Il est prévu que je me rende à une réunion justement pour en discuter. I. D. – Non pas encore au niveau de ma mairie. Je suis l’actualité, surtout celle de l’éducation, pour Le Collectif Atsem national que j’ai fondé, afin de retrans­mettre aux Atsem de notre réseau. J’ai écouté l’audition de M. Blanquer du 21 avril avec grande attention, et les réactions qui ont suivi. QdC – Et vous, qu’en pensez-vous ? Avez-vous des demandes, des revendications concernant le nettoyage et la restauration, les relations avec les enfants ? I. D. – Ma réaction est que cette réouverture échelonnée paraît impossible à mettre en œuvre. Les Atsem ont peur de reprendre le travail, même s’ils adorent leur métier, car pour nous qui avons une promiscuité indéniable avec les enfants, faire respecter les gestes barrière et la distanciation sociale en maternelle est selon moi impossible. Les enfants ne sont pas toujours propres, ne savent pas se moucher, s’habiller, se chausser et s’essuyer seuls aux toilettes ! Et les enfants ont également un besoin affectif et de contact avec les adultes ! Les missions des Atsem sont l’aide pédagogique à l’enseignant, l’aide éducative et « l’hygiène des enfants, des locaux et du matériel servant directement aux enfants ». Or, comment nettoyer quotidiennement, plusieurs fois par jour, les jeux en quantités énorme, tables, mobiliers et locaux en continuant notre fonction d’aide pédagogique et d’hygiène des enfants ? Et je souligne les problématiques des salles de siestes, des cantines, garderies où les enfants se retrouvent en grand nombre. M. J. – Une telle situation nous paraît aberrante. De nombreuses problématiques s’ouvrent à nous : – pour l’accueil des enfants dans le couloir. Ils sont en général très étroits, cela n’est pas compatible avec la distanciation sociale, – pour la restauration scolaire : une table par enfant, – à la récréation : veiller à ce que les enfants ne jouent pas ensemble, – dans la classe : idem, une table par enfant ? Veiller à ce qu’ils se lavent les mains correctement et individuellement car pas possible de les faire passer par deux. Certaines écoles ne disposent que d’un lavabo pour 60 enfants… Désinfecter chaque objet que l’enfant utilisera, etc. ? – dans le dortoir : certains sont déjà bondés, les lits se touchant les uns les autres…, – les masques : y en aura-t-il assez pour tout le monde ? Les enfants devront-ils en porter ? Seront-ils capables d’effectuer les gestes barrières ? – une reprise à mi-temps en petits groupes ? Il resterait trente jours d’école si reprise le 11 mai. Dans une classe de trente élèves qui ne viendraient que par demi-journée et par groupe de 15, combien d’enfants auraient réel­lement une journée complète d’ensei­gnement d’ici le 4 juillet ? QdC – Et concernant la santé des personnels et l’orga­ni­sa­tion du travail ? M. J. – Concernant les Atsem : comment vont faire les agents dont les enfants n’iront pas à l’école ? Nos heures non effectuées seront-elles réellement comptabilisées ? Aura-t-on le droit aux congés que nous avons posés ? I. D. – Oui, mon problème, qui sera aussi celui des personnels scolaires, tous con­fondus, est que je « devrais » reprendre la semaine du 11 mai, puisque cela concerne les Grandes Sections, mais que ma fille de 1re reprend la semaine du 18 mai et mon autre fille en CM1, le 25 mai. Je ne pourrai donc pas reprendre mon poste tant que mes filles ne seront pas scolarisées. Si elles sont à mi-temps et qu’il n’y a pas de possibilité d’accueil sportif dans ma collectivité, alors ma présence au travail pourra se faire uniquement à mi-temps, en fonction de mes filles ! Nous serons très exposés et ce, environ 40 heures par semaine pour les Atsem, 39 heures pour ma part. J’ai peur d’être contaminée et encore plus de le transmettre à ma famille, j’ai également peur pour mes deux filles ! M. J. – Bref, il y a trop d’incer­ti­tudes pour cette reprise qui s’annonce plus que hasardeuse pour les maternelles. De même en tant que professionnels de la petite enfance, nous sommes « choquées » de voir que nos dirigeants ne se soucient pas de notre avis : nous qui sommes quand même au centre de la maternelle. I. D. – Il serait vraiment bien de penser à consulter tous les membres de la communauté éducative, sur le terrain, pour construire cette réouverture et ce dé-confinement progressif. Je conseille éga­lement de reproduire cela localement car si nous sommes tous impliqués, nous serons plus sereins lors de la reprise. Je suis déçue de lire dans les journaux… que la réouverture se fera avec les enseignants et les élèves. Cela est vrai, mais il est juste oublié de mentionner les personnels, car une école fonctionne grâce à tout une équipe. À ce propos, je tiens à remercier tous les agents, dont les Atsem, ani­mateurs… qui assurent actuel­lement l’accueil des enfants de personnels soignants en complément des enseignants depuis le début du confinement, oubliés dans l’ombre médiatique ! ■

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