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Entrer en pédagogie Freinet

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Pourquoi ? Comment ?

Un ouvrage pour donner envie de se lancer en pédagogie Freinet qu’on soit débutant ou tout simplement en recherche d’autres pratiques.

Entrer en pédagogie Freinet certes, mais entrer dans le métier d’enseignant n’est pas anodin non plus. Je pense que mon parcours professionnel antérieur a influé sur la compréhension de ce métier.

Je suis entrée à l’Éducation nationale par défaut. Je venais de démissionner ne supportant plus le travail que je faisais : plusieurs années dans différentes compagnies d’assurance après une formation universitaire en sciences économiques, puis en statistiques. Un recrutement de suppléants éventuels sur simple entretien à l’inspection académique m’offrit cette opportunité. Ma représentation de l’école, hors mes souvenirs personnels d’élève, était nourrie de mes lectures étudiantes comme Libres enfants de Summerhill d’Alexandre S. Neill, Une société sans école d’Ivan Illich… bref, une vision de l’école critique et utopiste.

Les premiers temps, je n’ai fait que de courts remplacements en essayant d’enfiler les chaussons des maîtres que je remplaçais. Les heures passées avec les enfants me plaisaient, mais ne donnaient aucun sens à ce que je faisais.

Après les vacances de Pâques, j’ai eu la chance de remplacer un congé maternité jusqu’à la fin de l’année scolaire. Pour être à la hauteur du défi d’enseigner quand on n’est pas formé, je me suis mise à lire les revues spécifiques à la classe avec des fiches de préparation. Les enfants étaient agréables, je passais de bonnes journées. Mais je me suis vite retrouvée devant ce problème que je n’avais pas perçu avant : les enfants qui progressaient étaient ceux qui étaient déjà très bons et ceux qui auraient dû progresser restaient en échec. Je faisais des leçons, des exercices, une évaluation et je passais à une autre notion et tout recommençait, un véritable cercle infernal.

J’ai décidé alors de permettre aux enfants de recommencer leurs exercices jusqu’à ce qu’ils réussissent. Mais il a fallu les accompagner, travailler à côté d’eux… il fallait donc que les autres travaillent seuls.

L’entraide et le compagnonnage ont été mes premiers alliés. Le temps des questionnements et des recherches pédagogiques s’est enclenché. J’ai dévoré des livres, j’ai eu la chance de rencontrer un inspecteur qui m’a propulsée dans un réseau de CLIN (classes d’initiation pour les enfants non francophones venant d’arriver en France) – ma seule formation pédagogique institutionnelle –, de rencontrer des gens passionnants et passionnés, de lire Le Nouvel Éducateur, de militer dans un groupe départemental de l’ICEM, de participer à des congrès… et je n’ai jamais quitté l’enseignement. Et si aujourd’hui, je suis à la retraite, je suis toujours très investie dans l’éducation.

La pédagogie Freinet m’a apporté une vie d’enseignante ouverte à la vie que ce soit celle de mes élèves ou celle du territoire, une vie riche de rencontres humaines, pleine de questionnements et de recherches pour toujours être au plus près des visées que j’avais sur l’éducation.

À mon tour de transmettre cette richesse pédagogique !

Il fallait partager cette expérience à tous ceux et toutes celles qui entraient dans le métier ou tout simplement souhaitaient changer leurs pratiques pour tendre vers une éducation attentive, humaniste en vue de construire un enfant citoyen, acteur et auteur de son parcours.

Mais surtout donner envie sans faire peur, montrer qu’on peut changer ses pratiques sans tout bouleverser. Qu’on peut offrir un quotidien d’apprentissage respectueux de chaque personne sans avoir des années et des années d’expérience. Que le chemin se fait en marchant si on pose quelques principes essentiels pour guider.
Il est important de s’autoriser les petits pas, les petits changements de pratique, car seuls les principes et les visées pédagogiques sont essentiels et portent les transformations, si petites soient-elles.

En premier, on choisit un élément qui correspond le plus à sa philosophie, à ses valeurs et on cherche les pratiques qui le mettent en vie. Ensuite on en prend un deuxième, puis un troisième… Car on est enseignant avec ce qu’on est, Célestin Freinet partageait déjà ce constat. Il n’y a donc pas qu’une seule façon d’être un enseignant Freinet, heureusement !

Il n’y a pas la méthode Freinet. Il y a des principes pédagogiques qui donnent tout leur sens aux techniques choisies. Les routes peuvent être très différentes, mais vont toutes dans la même direction !

Ainsi selon sa propre nature, l’enseignant pourra mettre en place un moment d’écriture, un temps d’atelier artistique, un espace de recherche scientifique, une sortie de découverte de l’environnement. Et à chaque fois, si le « pourquoi » précède le « comment », la pratique pédagogique choisie prendra en compte la place et le devenir de l’enfant dans son parcours d’apprentissage, un incontournable de la pédagogie Freinet.

Un exemple, la « parole du matin », l’entretien, le QDN : si on vise l’expression de l’enfant et sa participation coopérative au groupe, elle dépassera assez vite la simple juxtaposition de petits récits de vie. Le comment avec les questionnements, les recherches et prolongations dans d’autres temps de la classe pourront enrichir ce simple moment de parole.

Le droit au tâtonnement est incontournable, mais il doit être exercé en toute sécurité, car l’enseignant, un peu comme l’enfant, peut se tromper, revenir en arrière et repartir.

Un seul changement, comme la mise en place d’un moment de parole ou d’un temps de travail personnel peut bousculer tout le système de la classe. Si la mise en place est trop rapide ou s’effectue sur un temps trop long, les enfants vont être perturbés et vont rendre ces moments ingérables. Trop de bruit, pas assez de travail réalisé… les collègues ou les parents vont se plaindre. S’il est seul, l’enseignant sera tenté de revenir en arrière.

Le choix d’une pédagogie n’est pas neutre, il est politique

Une pédagogie est intimement liée à la conception de la société qu’on désire. Proposer une pédagogie de la répétition, de l’obéissance craintive, de la compétition… ce n’est pas viser la même société qu’avec une pédagogie de la construction, de la discipline réfléchie, de la coopération. C’est aussi donner à vivre aux enfants nos principes démocratiques et nos valeurs au quotidien. Je préfère leur offrir des « petits matins qui chantent » plutôt que d’attendre un éventuel « grand soir » !

Je reste persuadée que les principes et valeurs énoncés dans ce livre sont indispensables pour pratiquer la pédagogie Freinet et donc ne pas la limiter à une somme de techniques pédagogiques.

Il est important de s’interroger personnellement sur les raisons qui nous conduisent à faire ce métier et ceci dés la formation. Choisir telle pédagogie, telle méthode, telle technique, un manuel ou pas… ne devrait jamais dépendre d’un choix par défaut (ce que j’ai vécu, ce qu’on m’a montré, ce qu’il y a dans l’école…). C’est tout au début de la formation qu’un étudiant ou une étudiante devrait avoir du temps. Du temps pour lire, pour aller observer, pour échanger avec ses pairs, avec des enseignants, des parents… La mutualisation et la coopération pourraient ainsi se vivre dans les ESPÉ, beaucoup plus facile pour les exercer ensuite dans la classe !

Après ces temps de questionnement, les pédagogies rencontrées pourraient prendre sens. Enseignement magistral ou pas, ce serait réellement un choix !

Ces situations réflexives sur ses pratiques pédagogiques – seul et avec les autres – devraient se prolonger tout au long de la carrière de l’enseignant. La formation continue s’en nourrirait avec avantage ! L’enseignement est un métier toujours en construction.

Mais on n’en est pas là ! Les mouvements pédagogiques n’ont guère de place dans les ESPÉ. Sur le terrain, les changements sont très longs, les emplois du temps sont serrés et privilégient surtout les formateurs universitaires.

La pédagogie Freinet serait présente dans les textes officiels

Dans les programmes de l’Éducation nationale, on peut retrouver des techniques comme l’écriture de textes, le journal scolaire, la correspondance, l’entretien du matin, le conseil d’élèves… mais comme aucun projet éducatif global ne les porte, elles ne changent rien au système.

Par exemple la coopération, si l’on décide d’en faire un principe incontournable, il permettra un autre regard sur l’enfant, sur les relations entre pairs, entre l’adulte et le groupe… il changera les moments de travail personnel, les apprentissages, les évaluations et il faudra alors utiliser des pratiques et des techniques différentes. On pourrait aussi décliner la puissance d’autres principes pour pratiquer autrement comme le respect des cheminements singuliers d’apprentissages, le tâtonnement et le droit à l’erreur, la parole de l’enfant…

Les parents sont des partenaires légitimes

La pédagogie Freinet, ce n’est pas magique, elle ne met pas à l’abri des conflits, il peut y en avoir, mais les pratiques spécifiques des enseignants Freinet rassurent, apaisent, motivent les familles.

En effet, ils ont le souci de faire « entrer » la classe à la maison – sans attendre bien sûr que les parents jouent au « professeur du soir ».

Ils peuvent consulter les travaux rapportés régulièrement, la circulation des cahiers, des réussites, mais aussi des œuvres réalisées ; écouter le texte dont l’enfant est auteur, une lecture offerte qui rend fier et qui ne demande pas de savoir lire le français ; regarder et lire le cahier de vie de la classe, le journal scolaire, le blog de l’école, etc.

Ils ont à cœur également de faire « entrer » les parents dans la classe et dans l’école :

– indirectement par l’intermédiaire du récit d’une visite en famille, d’une promenade, d’un évènement important, d’une joie, d’une tristesse lors de l’entretien du matin (ou « Quoi de neuf ? ») ; la présentation d’un objet culturel, d’un animal familier, d’une recette de cuisine, d’une technique… ;

– directement par l’exposé d’un parent (pays, métier…), par l’animation d’un atelier, par « l’heure des parents » (les parents sont invités à venir dans la classe assister à une présentation des travaux réalisés) et bien sûr, par les réunions individuelles avec les enseignants tout au long de l’année.

Associer l’utopie à la réalité en pédagogie.

L’utopie essentielle, elle offre un horizon sur notre route d’humain, qu’elle soit éducative, écologique, politique… un moteur, une énergie renouvelable chaque matin.

On ne peut pas inventer, créer, imaginer sans avoir cet horizon qui avance en même temps que nous et nous attire. La réalité n’est qu’un passage, on ne s’y arrête pas. L’utopie ouvre le chemin devant nous sans fin.

Aujourd’hui, c’est moi, c’est nous qui rêvons pour construire une autre, demain ce seront les enfants que nous croisons sur notre route qui rêveront… Le pouvoir de rêver, une utopie à transmettre pour que la société ait quelques chances de changer.
L’école n’est-elle pas fille et mère de la société ?

Merci à Grégory Chambat et au collectif Questions de classe(s) qui souhaitant publier des ouvrages « Entrer… » dans la collection N’Autre école chez Libertalia m’ont sollicitée pour écrire ce livre. J’ai joué le jeu et j’avoue avec plaisir, une manière aussi de regarder en arrière avec un projet d’avenir : donner envie de se lancer en pédagogie Freinet qu’on soit débutant ou tout simplement en recherche d’autres pratiques.

L’éditeur, je l’ai rencontré ensuite lors d’un après-midi de débats. J’ai été assez impressionnée par les ouvrages qu’il présentait.

Entrer en pédagogie Freinet, Catherine Chabrun, coll. N’Autre école, Éditions Libertalia, 2015-2017, 120 p., 10 €.

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