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Enseigner : risque mortel, risque vital

Les deux adjectifs sont généralement considérés comme synonymes (‘pronostic vital’). Au regard de nos métiers, on peut distinguer :

– le risque mortel, comme celui qu’a encouru Samuel Paty : c’est l’horreur totale, et donc pour nous le refus absolu. Rien ne permet de tolérer un assassinat, ou d’en minorer l’importance, ni les récupérations réactionnaires ni les atténuations ou relativisations (jouant par exemple sur l’opposition à avoir vis-à-vis de l’instrumentalisation xénophobe). Les premiers communiqués que nous avons publiés (deux associations d’enseignants d’Histoire engagés, un syndicat) le disaient clairement.

– les risques vitaux (au sens de « essentiels à la vie ») de l’engagement dans le métier, quand on y voit autre chose qu’un gagne-pain ou que la passion (souhaitable) pour tel ou tel champ du savoir,. Ils sont grands quand on enseigne dans une visée émancipatrice : les actes quotidiens, par exemple en faveur de l’égalité filles-garçons, entraînent des réactions, des questions, des mises en cause ; la même chose pour l’écologie (parler de pollution dans la nappe phréatique en lycée agricole…) ; et bien sûr sur cette question particulièrement « vive » que sont les religions ; qu’est-ce qu’une critique et une insulte ; qu’est-ce que le refus de la représentation graphique et ses conséquences ; qu’est-ce qu’un dessin de presse, qu’une caricature ; un musulman peut-il être un tueur ou le fait de l’être l’exclut-il de la communauté ?
Ces dernières questions ne sont pas gratuites, mais sont celles que j’ai eu à traiter avec des élèves musulmans récemment arrivés en France, leur formulation traduit leurs propos autant que les miens. Ils ont accepté, non pas « le débat », avec le vague que l’on attribue à ce mot, mais qu’on en précise les termes, qu’on se donne le temps de les examiner (j’apporterai des caricatures politiques pas trop datées par exemple).
Ces élèves n’ont pas biaisé le débat par une référence à leur situation (ils mériteraient un tout autre accueil !) ; nous avons terminé sur une satisfaction provisoire, et une attente. Mais le moment fut délicat, risqué non pas au sens de risque physique, mais au sens où, entre l’écoute de l’autre et l’essai de l’engager dans une démarche réflexive accompagnée de la sienne propre, on joue le sens d’un apprentissage (ici celui de l’écrit) ; apprendre des tableaux de conjugaison (ce qui peut être nécessaire par ailleurs) est plus tranquille.

La haine qui anime les intolérants ne doit pas nous faire rêver d’une conception aseptisée des savoirs et des apprentissages. Nous sommes là pour aider à l’émergence de consciences réflexives, de maturations intelligentes. On est en droit de dire que Samuel était sur ce chemin. Nous sommes avec lui.

[/Jean-Pierre Fournier/]

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