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En attendant le Grand Soir, que rien ne bouge !

Décapant le billet que Jean-Michel Zakhartchouk vient de publier aujourd’hui sur son blog… (vous pouvez y déposer vos commentaires) Le débat est ouvert !

En attendant le Grand Soir, que rien ne bouge !

Dans un de ses chefs d’œuvre, la Cerisaie, Anton Tchekhov met en scène le personnage de Trofimov, l’éternel étudiant. Celui-ci n’arrête pas d’exhorter à changer le monde, ou du moins la Russie, proclame sans cesse qu’il faut « travailler » (on retrouve ce thème dans d’autres pièces d’ailleurs). Certains, surtout les communistes, comme Elsa Triolet dont j’avais lu la préface d’une édition de la pièce, exaltaient ces paroles, considérées comme prophétiques : « L’humanité va toujours de l’avant, perfectionnant ses forces. Tout ce qui à présent lui est inaccessible, lui sera proche un jour, compréhensible; il faut seulement travailler, aider de toutes nos forces ceux qui cherchent la vérité. »

cerisaieCependant, tout le long de la pièce, Trofimov parle, parle, mais ne fait pas grand-chose …

Il me semble qu’au-delà de la procrastination, ce personnage est un peu emblématique d’un type de pensée « radicale ». Tout ce qui vient d’en haut est corrompu, un jour viendra couleur de rose et il faut préparer le Grand Soir du réveil du peuple. Aujourd’hui, cela prend bien évidemment bien d’autres formes que par le passé, en particulier dans les discours. Mais combien de fois sur les forums, dans les tribunes de journaux, et même dans des conversations de salles de profs-cafés du commerce, s’expriment ces avis péremptoires, la détestation du présent, le rejet de toute attitude réformiste, les prédictions d’un avenir apocalyptique, le tout accompagné de coups de menton ou de formules définitives (« une bonne fois pour toutes », « il faut résister », « c’est inacceptable », etc. A vrai dire, le futur des « lendemains qui chantent » apparait moins, les utopies ayant subi des douches froides (pour certains, la dernière en date, se porte bien mal du côté de Caracas…)

Ce qui me gêne le plus dans ces postures, c’est que ceux qui les adoptent se pensent forcément du côté du « bien » et du « juste ». Et dans le milieu enseignant, cela peut faire écho car on se croit facilement détenteurs à la fois de la vertu et de la vérité.

En même temps, chez ceux qui profèrent des proclamations ronflantes et adhérent à des programmes hyper radicaux qui comme par hasard cependant épargneraient à la fois leur niveau de vie et leur confort personnel, la situation peut être contrastée : certains, en effet, sont aussi capables de participer à des projets collectifs riches, de s’investir dans des actions pédagogiques intenses , de défendre des lycéens sans-papiers menacés d’expulsion, d’aider sans compter leur temps des élèves en difficulté. Pour ceux-là, qui ne sont donc pas des Trofimov, parce qu’ils « travaillent » vraiment, j’ai toujours du respect et de la considération. Au-delà des divergences idéologiques, c’est bien dans l’action concrète et l’attitude vis-à-vis des élèves et de leurs familles que se fait la différence. Que ceux-là soient finalement dans une position un peu schizophrène est finalement leur problème.

LG-RéformeMais d’autres, sous couvert d’un discours très à gauche, très social et révolutionnaire, sont de puissants agents du conservatisme ou cautionnent activement l’immobilisme, ou la régression. Ici ils s’opposent farouchement au socle commun et aux compétences, jugés réformes libérales de façon que je trouve parfois surréaliste, dans le mauvais sens du terme. Là, ils sabotent les conseils pédagogiques, mènent une sorte de guéguerre de classe avec l’autorité représenté par le chef d’établissement. Là encore, ils défendent les conceptions les plus rétrogrades de la transmission pédagogique et sont prêts à se lever en masse pour défendre une conception pour le coup ultralibérale du métier (voir la revendication en REP+ de disposer à sa guise, sans aucun contrôle des heures dédiées plutôt à la concertation ou à la formation collective). Comment ne pas trouver tout cela révoltant ? A vrai dire, ceux-là n’ont pas les états d’âme de Trofimov, ni bien souvent ce qu’il y avait de générosité dans ce personnage.

Au fond, dans la réplique de Trofimov cité plus haut, le plus contestable est sans doute cette certitude de connaitre le chemin, puisqu’il y a une « vérité » et que certains se l’approprient. Tout le contraire de l’attitude que je défends avec quelques autres : la réalité est complexe, la pensée dialectique nécessaire (même si elle a été dévoyée par le marxisme-léninisme !), la transformation des choses et en premier lieu de l’école ne peut se faire qu’en alliant force de conviction et habileté, détermination et prudence, persévérance et astuce. Cela veut dire par exemple que oui le nouveau socle commun, dont je reparlerai prochainement, est imparfait mais constitue une avancée, que oui, les nouveaux rythmes scolaires, malgré toutes les scories, est aussi une avancée globalement, que oui, l’enseignement de la morale civique peut être intéressant… Et qu’en même temps, on doit tout faire pour redresser la mise en place ratée des ESPE, pour éviter que l’après Charlie se fasse à l’école à coup de Marseillaise et de cours magistraux-prêches…

Pour tout cela, bien sûr qu’il faut travailler, et dépasser les discours doloristes, grincheux ou cyniques, tentation permanente et désastreuse…
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2 Comments

  1. Anonyme

    En attendant le Grand Soir, que rien ne bouge !
    Entièrement d’accord : les Trofimov existent, je les ai rencontrés !

    Seulement voilà : s’ils peuvent à l’occasion faire illusion et apparaitre comme une piste possible, c’est que, dans les domaines du changement pédagogique et social, on ne voit pas tellement les autres, ces “réformistes” auxquels il est fait allusion. Dans le soutien aux familles populaires, dans et en dehors de l’école, je n’ai jamais vu ni entendu parler de ces gens modérés, raisonnables et actifs ; est-ce vraiment un manque d’information de ma part ?

    En fait, ceux que je vois sur le terrain pédagogique comme sur le terrain social ( je parle de ceux dont je vois l’action quotidienne) ont ou ont eu toutes les étiquettes imaginables; sans doute ont-ils eu besoin à un moment de leur vie d’être communiste, anarchiste, chrétien sincère (mais si), d’extrême-gauche, que sais-je encore. Ou rien du tout. Leur chapelle de référence, quand ils en ont eu une, ils n’y font jamais allusion. Et c’est tant mieux.

    Ils peuvent avoir une étiquette, se regrouper (par exemple dans un mouvement pédagogique, ou dans un réseau d’aide aux sans-papiers, ou dans un collectif local pour le droit au logement ou …), mais ils ne peuvent compter ni sur les sectes ni sur les mammouths.

    Les Trofimov les agacent fortement, mais les Oblomov (restons russes littérairement parlant : c’est le symbole de la léthargie, aisément transférable aux bureaucraties officielles ou syndicales par exemple) aussi. Car, avec des langages différents, ces deux personnages partagent la même inefficacité.

    JP Fournier

  2. Jean-Pierre Béribon

    En attendant le Grand Soir, que rien ne bouge !
    Bien sûr qu’ils existent! Et fort heureusement!
    Si l’on voit de plus en plus de grincheux dans les salles des profs, il y a peut-être des raisons. Tout le monde n’a peut-être pas l’énergie d’accepter toutes les injonctions de la hiérarchie, qui se multiplient et qui, sans les remarques de quelques grincheux, nous font supporter une charge toujours plus importante de travail.
    A lire votre article, cher monsieur, j’ai comme l’impression que la vérité et la vertu, dont vous croyez que seuls les grincheux se réclament, sont plutôt chez ceux qui pensent que chacune des réformes apportent un mieux même si ce n’est pas la panacée : le socle commun, le livret de compétences, les conseils pédagogiques et j’en passe…
    “La réalité est complexe, la pensée dialectique nécessaire”, j’en conviens. C’est pourquoi au lieu de catégoriser les collègues, il me semble nécessaire d’observer, d’échanger mais ces échanges sont devenus tellement rares dans les établissements et les personnels supportent une telle charge de travail que, bien souvent, le recul nécessaire n’est plus à l’ordre de leurs préoccupations.
    A vous lire, la vérité et la vertu me semblent bien subjectives!

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