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Empêcher de lire ?

Empêcher de lire…
(En péché de lire…)

Celui qui sait lire puise [dans les écrits]
des objets de savoir et de conscience .

Lire est un péché : c’est, en effet, à la fois un plaisir irrésistible et un pouvoir. C’est le pouvoir de m’informer, de réfléchir, de comprendre… autrement et indépendamment de la voie sonore. Et il n’y a pas d’heure pour dévorer… Aussi, les pouvoirs en place – de quelque nature qu’ils soient – ne voient pas d’un bon œil que l’écrit soit facilement accessible à tous. Ils usent de tous les moyens pour l’empêcher.

Les dominants fondent, en effet, leur pouvoir sur leur facilité d’accès à l’écrit . Ainsi, tous les grand-prêtres, de quelque religion qu’ils soient, sont ceux qui détiennent le Texte et qui savent le lire – que ce soit le Livre (sacré) ou les entrailles du poulet sacrifié. Les politiques et les administrateurs fondent également leur pouvoir sur leur capacité à é-dicter et à appliquer les textes qui font (leur) loi – textes souvent inaccessibles, matériellement et intellectuellement, aux humbles justiciables et aux administrés . Les scientifiques fondent une bonne part de leur autorité sur le nombre d’articles publiés et le nombre de fois où leurs écrits sont cités. Le pouvoir des médias est également fondé sur l’écriture. Tous les programmes audio ou audiovisuels ont un synopsis ou un scénario écrit, dissimulé aux auditeurs et au public en général. Il n’est pas de film, de chanson, d’animation, de débat, d’émission… qui n’ait un support écrit, lors de sa préparation, comme pendant son déroulement (notes, fiches, prompteur…). Enfin, en économie, les producteurs-manipulateurs s’appuient sur des études écrites, souvent inaccessibles aux con-sommateurs sommés de consommer… L’écrit et sa maîtrise sont bien du côté du Pouvoir.

Les dominants contrôlent l’accès à l’écrit de deux manières. D’une part, ils limitent, voire obturent l’accès aux textes. D’autre part, ils empêchent toute compétence pour lire hors de leur contrôle. Les modalités de ces deux types d’interventions peuvent être dures ou douces, mais elles sont toujours fermes.

Ainsi, au cours des siècles, la production des écrits est dûment contrôlée (imprimatur, censure, interdictions…). Si néanmoins des textes « impurs » arrivent à paraître, leur distribution est alors interdite ou bien ils sont carrément brûlés . Seuls les livres officiels sont autorisés, voire distribués gratui¬tement ou presque. C’est flagrant dans les pays ouvertement totalitaires. Mais même dans les démocraties, il est encore des livres ouvertement interdits et des « en¬fers »… Un autre moyen, récent, de neutraliser les écrits honnêtes est tout simplement de les noyer dans un flot débordant d’écrits inutiles et superficiels – entre lesquels ils passent effectivement inaperçus.
Parallèlement au contrôle de l’accès au livre, l’existence de lecteurs est dûment empêchée. D’une part, les dominants se donnent les moyens de discréditer leur interprétation déviante, soit en les condamnant – textes et auteurs (bûchers, prisons, goulags…), soit en publiant le dogme véritable, soit en les critiquant, soit en les étouffant . D’autre part, ils minimisent et empêchent l’acqu¬isition de la compétence en lecture. Et quoi de plus subtil que de le faire sous couvert « d’apprendre à lire » ou de « lutte contre l’illettrisme » ? Contrairement à une idée reçue, en effet, l’école n’enseigne pas à lire, mais plutôt à ne pas lire . Ceux qui l’instituent, à la fin du XIXe siècle, en Europe, ne s’en sont pas caché : « Les réformateurs réclamaient une pratique élémentaire de la lecture, de l’écriture et du calcul : il n’était pas question que l’élite des litterati soit plus nombreuse en 1900 qu’en 1200 ». Quant à la « lutte contre l’illettrisme », elle est le fait des lettrés qui affirment ainsi leur hégémonie sur les illettrés . Au mieux, les illettrés sont alpha-bêtisés – et non lecturisés – et cantonnés à un registre supposé « fonctionnel ». Dans le même temps, le rôle de l’écriture dans la justification du pouvoir est escamoté.

La meilleure parade contre ces quatre formes foisonnantes d’empêchements est « le savoir et la conscience » de ces empêchements… Ce que permet précisément le lire : « choisir/élire » (eligere) et « intelligence » (intelligere) n’ont-ils pas la même racine que « lire » (legere) ?

Jean-Pierre Lepri
Une session de réflexion sur le « savoir lire », ouverte à tous, se tient du 1er au 4 mai, en Bourgogne du Sud :
http://www.education-authentique.org/uploads/PDF_DIV/Lire14-%20Pr%C3%A9sentationE.pdf

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