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Compte rendu (intro et plan) de l’atelier 16 – Émanciper pour lutter contre les inégalités

Atelier proposé le jeudi 30 après-midi

Introduction de l’atelier (par Irène Pereira) :

La proposition de cet atelier est liée tout d’abord à un constat qui est aujourd’hui largement partagé : le système scolaire français reproduit depuis le milieu des années 1990 plus encore les inégalités sociales et ethniques qu’auparavant.
Inspirée par l’épistémologie féministe, je pense que l’expérience vécue personnelle des dominées est source aussi source de savoir.
Par conséquent, cette proposition est également liée à l’expérience d’une trajectoire sociale personnelle : je suis issue d’un milieu social qui est celui des classes populaires immigrés et j’ai connu très rapidement dans ma scolarité des troubles de l’apprentissage liés à l’écrit. J’ai connu par la suite de très nombreux échec : redoublement, échec durant mes études universitaires, échec à des concours… Néanmoins, je viens d’achever mon cycle d’obtention de diplôme en obtenant une HDR, diplôme qui permet d’encadrer des thèses de doctorat et où les femmes sont très sous représentées (30%).
Durant, une grande partie de mes études, j’ai été habité par une question qui était la suivante : Comment fait-on pour réussir ses études quand on vient d’un milieu familial où il y a peu de capital culturel ?
Je vais donc commencer par proposer quelques pistes de réponses liées à mon expérience personnelle d’élève que j’ai essayé de confronter à ce que j’ai pu lire de la littérature en sciences de l’éducation. Peut-être ces éléments pourront-ils servir de point de départ de discussion…

1) Genre et réussite scolaire

Les études sociologiques montre que l’échec scolaire ou l’orientation vers des filières professionnelles courtes est surtout le fait des garçons des classes populaires, en particulier immigrés. Les filles immigrées des classes populaires s’en tirent mieux sur le plan des diplômes.

Une explication qui me semble relativement juste et en tout cas dans laquelle je reconnais mon expérience personnelle, c’est que l’école peut apparaître davantage comme un vecteur d’émancipation pour les filles. Il était clair pour moi très tôt que je ne voulais pas  être astreinte à l’exploitation  dans le travail domestique.

Une autre explication qui me paraît plus contestable, c’est l’hyperconformisme des filles et leur tendance plus grande à l’obéissance liée à leur socialisation. Il me semble que c’est un point de vue assez masculin porté sur les femmes.

En revanche, il me semble plutôt qu’il faut s’interroger sur le fait de savoir dans quelle mesure la « culture macho » ne favorise par la plus faible réussite scolaire des garçons avant le bac :
– une fille accepte mieux socialement qu’un garçon l’écart entre son ascension scolaire et son ascension sociale. L’identité masculine est davantage liée au fait de gagner de l’argent.
– la culture macho entre en contradiction avec l’univers de l’école primaire et secondaire où les enseignantes femmes sont majoritaires et donc en situation de pouvoir dans la classe.

2) Le rôle de l’oralité

Certains courants des sciences de l’éducation voient dans la culture orale des classes populaire, un obstacle à leur réussite scolaire. En effet, l’écrit apparaîtrait comme central pour pouvoir développer les qualités nécessaires à la réussite scolaire.

Mon expérience personnelle m’apparaît différente. En effet, j’ai eu l’impression de pouvoir compenser en partie mes troubles de l’apprentissage et mon manque de méthode dans le travail à la maison par la participation active orale en cours. J’ai été plus en échec dans les cours où pour des raisons diverses, je ne parvenais pas à participer à l’oral.

3) L’importance des lectures personnelles

Les travaux sociologiques mettent en avant la baisse du volume des lectures personnelles chez les élèves quelque soit leurs milieux sociaux.

Ce phénomène me semble encore plus dramatique en ce qui concerne les élèves des classes populaires. En effet, il me semble qu’il y a eu un facteur déterminant dans mon parcours scolaire, ce sont les lectures personnelles.

Celle-ci m’ont permis de compenser le manque de capital culturel et économique de mes parents. Cela m’a permis en particulier d’acquérir une bonne mémoire sémantique et d’avoir un niveau de vocabulaire élevé. Or les travaux scientifiques de Alain Lieury montrent que c’est un facteur qui est fortement corrélé à la réussite scolaire, plus que le facteur G mesuré par les test de QI.

Les lectures personnelles m’ont également permises de palier en partie mes faiblesses dans l’apprentissage des connaissances par cœur. Pour cela, je lisais dès le lycée le plus possible de livre sur le sujet traité en cours. Cela me permettait de retenir des informations par imprégnation comme lors de l’écoute en cours. Dans la suite de mes études, j’ai été en échec dans les matières qui exigeaient beaucoup d’apprentissage par cœur.

Aux lectures personnelles, j’ajoute également la scolarisation du temps de loisir que j’ai mise en place à partir du lycée (émission de radio, films à la télévision ou à la médiathèque, CD de musique à la médiathèque…)

4) Exercice d’application et travaux de réflexion personnelle

Les élèves des classes populaires sont présentés dans certains travaux comme étant en échec scolaire à cause d’un rapport au savoir trop instrumental et un manque de motivation intrinsèque. Ces travaux critiquent également les pédagogies qui insistent davantage sur le développement de l’autonomie et de la créativité comme plus favorables aux élèves des classes moyennes supérieures.

Mon expérience personnelle ne recouvre pas ces travaux. J’ai beaucoup souffert dans ma scolarité, en particulier au collège des exercices d’application. J’avais un véritable intérêt intrinsèque pour les savoirs et j’avais l’impression que l’institution scolaire était beaucoup plus utilitariste que je ne l’étais.

Paradoxalement, les qualités de réflexion personnelle qui sont nécessaires au travail de recherche scientifique, j’ai eu l’impression d’avoir à les développer parfois contre l’institution scolaire et même universitaire elle-même.

Mon sentiment, c’est que les élèves des classes populaires ont le droit à des pédagogies qui développent leur capacité d’autonomie et de réflexion personnelle qui sont d’ailleurs nécessaires pour effectuer des études longues.

En revanche, mon expérience personnelle me fait rejoindre les travaux scientifiques qui mettent en avant que l’implicite dans les consignes dessert les élèves des milieux défavorisés. J’ai eu ainsi de plus grande difficulté avec la dissertation de philosophie car c’est une matière dans laquelle on didactise peu les travaux, alors même que j’étais passionnée par cette matière.

5) Le travail personnel

De nombreux travaux insistent sur le fait que le capital culturel des familles des classes moyennes supérieures consiste également dans un ethos de travail qui est transmis aux enfants.

Il me semble que les familles des classes populaires transmettent également des ethos lié à l’engagement dans la tâche qui sont des atouts positifs. Je dois sans doute beaucoup à mes parents dans ma capacité à m’engager dans une tâche pour l’accomplir.

La difficulté principale à laquelle j’ai été confronté durant ma scolarité est venu néanmoins des méthodes à acquérir dans le travail personnel. Je vais prendre un exemple significatif. En 6e, il faut par exemple savoir tenir un cahier de textes et préparer son cartable en fonction de son emploi du temps. Je me souviens que je ne suis parvenu à réaliser cela que parce que des enseignants ont mis en place un cours de méthodologie pour apprendre à effectuer ces activités.

Plus tard encore, j’ai du lire des ouvrages sur l’organisation du travail personnel dans les études post-bac pour parvenir m’organiser dans mon travail personnel.

Une des expériences qui m’a été le plus profitable est d’avoir effectué une partie de mes études par correspondance tout en étant salariée : à cette époque j’ai passé deux années en même temps et j’avais deux emplois. Expérience très profitable…mais il faut bien l’avouer, en règle générale, le taux d’échec par abandon des études par correspondance est très élevé…

Conclusion de la présentation d’introduction :

Il me semble que plutôt que de chercher les causes de l’échec scolaire des élèves des classes populaires dans leur famille ou dans leur rapport au savoir, il faut les chercher dans les obstacles que l’école et la société met à leur capacité d’apprendre. L’exemple des élèves primo-arrivants montre que les enfants ont de très grandes capacités à apprendre : on peut par exemple n’être qu’impressionner par la capacité d’un enfant primo-arrivant à apprendre la langue du pays d’arrivée.
J’ai souvent eu l’impression dans mon parcours de construire ma réussite scolaire contre l’institution scolaire elle-même.
L’institution scolaire ne laisse que peu d’espace au désir personnel de savoir des élèves et à leurs motivation intrinsèque. C’est d’ailleurs ce que souligne en définitif les travaux sur l’échec scolaire des élèves dit intellectuellement précoces (catégorie d’élève qui m’apparaît très discutable lorsqu’on la réduit au test de QI).
L’institution scolaire ne développe pas de discours positif sur la résilience scolaire : on peut être en échec et ensuite être en situation de réussite scolaire. Combien d’élèves ont cet espoir ?
L’institution scolaire ne développe plus qu’un discours sur le lien entre réussite scolaire et professionnelle qui en plus ne correspond pas à la réalité.Beaucoup d’enseignants n’ont aucun discours sur l’importance des savoirs intellectuels pour l’émancipation.
Il me semble que l’on aurait sans doute plus à apprendre des savoirs-faire développé par les élèves qui sont en situation de réussite paradoxale ou qui ont connu une résilience scolaire.

Introduction à la discussion:

Certes, le système scolaire est orienté en fonction du système capitaliste : il classe les individus pour les placer au sein d’une société inégalitaire. Son objectif n’est pas l’émancipation. Néanmoins, même si notre action est limitée, elle n’est pas pour autant inutile car sinon ce serait se résigner à un fatalisme social.

Alors quels discours et pratiques est-il possible de mettre en place ?

Quelques pistes qui ont été proposées jeudi après-midi :

Question : – Comment essayer dans nos pratiques pédagogiques de ne pas favoriser la reproduction des inégalités sociales, ethniques ou de genre ?

– Prendre en compte les différences socio-culturelles : il s’agit alors d’être plus explicite sur les codes attendus à l’école et sur les règles de comportement ou de réalisation des exercices.

– Il est possible d’appliquer une règle selon laquelle on donne la priorité à ceux qui n’ont pas encore parlé et en particulier aux filles.

– Les pédagogies coopératives peuvent être des outils pour lutter contre les rapports inégalitaires de genre.

– Favoriser la résilience scolaire en montrant que l’échec scolaire n’est pas un fatalité et qu’il est possible de rebondir.

Q : Comment aider les élèves à trouver davantage de sens dans les savoirs ?

– Travailler la pluridisciplinarité : le manque de sens des savoirs est lié en partie aux découpages artificiels entre discipline.

– En mathématiques, cela peut consister à faire des « mathématiques radicales » qui posent des problèmes mathématiques sur la situation des prisons, de l’inégalité sociale…

– Donner des travaux qui visent à donner un avis personnel argumenté, plutôt que de la restitution du cours.

– Laisser des espaces où les élèves peuvent s’exprimer sur les savoirs qui les intéressent et qui ne sont pas spécifiquement pris en charge dans les programmes scolaires.

Q : – Comment favoriser l’émancipation des élèves sans oublier que seuls eux peuvent être les sujets de leur émancipation ?

– Prendre le temps de les inviter à s’interroger sur le sens de leur existence et de déconstruire avec eux les valeurs dominantes autour de l’argent par exemple.

– Leur permettre de choisir : une thématique de travail, les modalités d’une évaluation, par exemple en les faisant voter…

– Leur donner des modèles identifications positifs par le savoir : prendre en littérature des exemples de parcours biographique d’émancipation par le savoir.

– Le système scolaire ne laisse pas assez de place aux savoirs-faire manuels alors que des élèves peuvent également trouver un épanouissement dans ces activités.

Q : – Comment lutter contre l’idéologie d’une réduction des apprentissages scolaires à l’employabilité ?

– Intégrer dans les dispositifs de découverte du monde du travail des éléments sur l’histoire du syndicalisme et le droit social

– Lutter contre le discours néolibérale utilitariste de l’employabilité en montrant son hypocrisie et comment il se contredit lui-même : a) les élèves qui sont destinés à former l’élite sociale ne sont pas ceux dont le rapport au savoir et les études sont tournés le plus immédiatement vers la professionnalisation b) montrer comment le discours néo-libéral favorise l’échec des élèves en développant chez eux des comportements utilitaristes c) le système capitaliste n’a pas en réalité besoin d’élèves très professionnalisés, mais ce qu’il ne désire pas ce sont des élèves dotés d’un esprit trop critique.

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