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« Égale dignité », qu’ils disaient …

Défendant, dans une tribune au Monde du 5 mars, la « réforme ambitieuse » de la voie professionnelle du lycée qui doit entrer en vigueur en septembre prochain, la présidente du Conseil supérieur des programmes, Souâd Ayada, pose une vraie question : « Que doit-on absolument enseigner aux élèves de CAP et de 2de professionnelle au titre de leur formation générale ? ».

Mais la réponse est plus qu’inquiétante : « Les enseignements généraux verront sans doute leur importance rehaussée s’ils sont davantage articulés avec les enseignements professionnels et l’expérience acquise lors des périodes de formation en milieu professionnel. » En d’autres termes, les enseignements généraux seront « rehaussés » s’ils sont … moins généraux. Et madame Ayada d’insister : « Leurs contenus seront incontestablement mieux adaptés au monde du travail s’ils font une plus large place aux mutations de l’économie et des métiers. » Cela se traduit notamment par la création d’heures de co-intervention entre les enseignant-e-s de français ou de mathématiques et les enseignant-e-s des matières professionnelles, amputant d’autant les horaires purement disciplinaires de français et de mathématiques.

Certes la présidente prend soin de déclarer que « les élèves de la voie professionnelle ne sont pas, par nature, différents des autres lycéens », et de prêter à ces enseignements généraux des « finalités » qui pourraient séduire celles et ceux qui oublieraient qu’elles sont énoncées dans le cadre de la politique néolibérale actuelle : « développer les capacités d’analyse et de raisonnement », « former aux notions abstraites », « construire une culture générale » ou « développer l’autonomie du jugement » pourraient faire rêver d’une réforme vraiment « ambitieuse ».

Mais le reste du texte dément vite cet affichage.

Déjà, au sein même de la première finalité qu’elle énonce : « permettre une maîtrise suffisante de la langue française », l’emploi de l’adjectif « suffisante » lève le doute si on le met en relation avec ce qui est dit des contenus. Que sera cette maitrise « suffisante » si les contenus doivent être « adaptés au monde du travail » ? Suffira-t-il de connaitre le langage du métier choisi ? Que seront, de même, des « capacités d’analyse » ou des « notions abstraites » « articulé(e)s avec les enseignements professionnels » ? Inutile de poursuivre la liste pour trouver là une vision réductrice et utilitariste des enseignements dits généraux.

Une seconde réduction apparait d’ailleurs dans l’insistance mise sur la proximité avec l’enseignement du collège, dont les enseignements généraux ne seraient plus qu’une sorte de complément : « en prolongeant et en consolidant les apprentissages du collège », « les enseignements généraux ont d’abord pour fonction de compléter et de consolider les apprentissages de la scolarité obligatoire ».

Certes les nouveaux programmes qui ont commencé à être présentés en février maintiennent bien évidemment nombre d’éléments généraux préexistants et ne sombrent pas dans un « tout professionnel » qui n’aurait guère de sens. Mais le diable se cache parfois dans les détails, et, par exemple, l’adjonction aux objets d’étude du programme de français de CAP d’une perspective d’étude « Dire, lire, écrire le métier » donne une inflexion significative.

Et si on met en parallèle ces finalités avec ce que demandait le ministre Blanquer pour les lycées généraux et technologiques, dans sa lettre de mission du 3 juillet 2018 à madame Ayada, on voit le gouffre qui sépare ces deux « ambitions » : « les ambitions que nous nous fixons pour les lycéens [des Legt] : articuler avec cohérence les programmes de lycée avec les attendus de l’enseignement supérieur, proposer des contenus caractérisés par une haute ambition intellectuelle, transmettre des savoirs pleinement ancrés dans les enjeux du XXIe siècle et largement ouverts sur l’Europe et sur le monde. »

Cette double logique éclaire la réduction drastique des heures consacrées aux enseignements disciplinaires généraux en lycée professionnel (jusqu’à – 50 % dans certaines disciplines, par exemple en lettres-histoire-géographie en CAP, avec moins de deux heures par semaine pour l’ensemble des trois matières, ou – 25 % en langues vivantes) : à côté de la « haute ambition intellectuelle » prônée pour les lycéens généraux ou technologiques, c’est un enseignement général au rabais, en quantité comme en qualité, qui est destiné aux lycéens professionnels *.

Et comme il faudra bien trouver des responsables à cette régression annoncée, la présidente du CSP prend soin de préciser : « Les programmes ne sont pas tout. Il revient aux professeurs des lycées professionnels qui dispensent les enseignements généraux d’identifier les difficultés de leurs élèves et de les lever progressivement. » Tenez-vous le pour dit …

* : on se rappellera aussi qu’à ce clivage entre programmes des lycées généraux et technologiques et des lycées professionnels il faut ajouter le maintien du tri social à l’intérieur même de la voie professionnelle, par la pérennisation de deux filières largement étanches malgré les déclarations officielles : CAP et Bac pro.

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