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Éducation : il faut donner priorité aux vaincus

Il faut donner en matière d’éducation priorité aux vaincus de la compétition scolaire ! Dans un article publié par l’observatoire des inégalités François Dubet et Marie Duru-Bellat analysent à nouveau l’échec du système scolaire français et de son élitiste méritocratique à combattre les inégalités sociales.

Ici un extrait de l’article :

Comme la plupart des pays comparables, la France a connu soixante années de massification scolaire. Le changement est considérable : le nombre de lycéens et d’étudiants a été multiplié par huit et le bilan est largement positif si l’on considère l’accroissement de l’accès aux études. Même si nous sommes loin d’une égalité parfaite, les enfants des classes populaires accèdent désormais aux études longues dont ils étaient très largement exclus encore au milieu du XXe siècle.

Mais cette égalité relative d’accès au baccalauréat et à l’université a profondément transformé le mode de production des inégalités scolaires en déplaçant les inégalités au sein même de l’école et des parcours scolaires. Alors que la grande inégalité opposait naguère la jeunesse étudiante à la jeunesse laborieuse, un régime d’inégalités plus ou moins fines s’est installé à l’intérieur même du système scolaire. Si de plus en plus de jeunes étudient aujourd’hui, ils ne font pas tous les mêmes études. En se multipliant, le baccalauréat s’est diversifié et hiérarchisé à l’infini, en fonction des filières, des options, des combinaisons de disciplines choisies… Dans l’enseignement supérieur, l’université de masse se distingue des formations sélectives qui se multiplient (classes préparatoires, grandes écoles, mais aussi BTS et IUT), tout en développant en son sein même des filières également sélectives (double licence, master…).

À terme, les vainqueurs de la compétition scolaire sont toujours les mêmes, et les vaincus aussi : l’origine sociale reste le facteur déterminant des parcours et des compétences scolaires. On comprend la déception qui résulte de ce constat puisque nous sommes loin du compte de la promesse de l’égalité des chances portée par la massification scolaire. Les vainqueurs de la compétition à laquelle accèdent de plus en plus de jeunes sont toujours les enfants des classes moyennes supérieures, pendant que les vaincus restent ceux des classes populaires les plus défavorisées.

La déception est d’autant plus grande que l’école française s’est longtemps perçue comme un îlot de justice dans un monde injuste et, surtout, parce que dans notre pays les inégalités scolaires entre enfants de milieux sociaux différents sont beaucoup plus grandes que ce que supposerait l’impact des seules inégalités sociales, relativement modérées par rapport aux autres pays comparables comme le démontrent obstinément toutes les comparaisons internationales. Comment expliquer ce paradoxe ? Comment expliquer que les vaincus s’en sortent si mal chez nous ?

Tradition élitiste et emprise des diplômes

Les inégalités scolaires sont d’autant plus fortes et d’autant plus mal vécues en France que tout s’est passé comme si la longue période de massification n’avait pas mis en cause la tradition élitiste de l’école française. Le problème n’est pas que l’école produise des élites – tous les systèmes le font – mais, dans une société attachée à l’égalité de principe de tous, tout le monde devrait avoir le droit, voire le devoir, d’accéder aux élites.

Ainsi, les formations restent extrêmement hiérarchisées, les classes préparatoires et les grandes écoles coexistent avec les formations de masse. On donne beaucoup plus de moyens éducatifs aux bons élèves, qui sont aussi les plus riches. Les élèves sont évalués et notés en fonction de la distance qui les sépare des élites, etc. Cet élitisme scolaire est si fortement intériorisé par le monde de l’école que la critique des inégalités scolaires en adopte souvent les catégories de pensée.

(…)

Le poids de cet élitisme scolaire n’est pas une simple croyance et il affecte fortement les parcours individuels. Il explique en partie la très forte emprise des diplômes dans notre société : bien plus qu’ailleurs, le diplôme fixe le type d’emploi et le revenu auxquels accèdent les jeunes. Alors que les vainqueurs de la compétition scolaire bénéficient quasiment de rentes, les vaincus sont condamnés au chômage et à la précarité, pendant que les étudiants des formations non sélectives s’inscrivent dans une longue période d’insertion durant laquelle ils essaieront de transformer leur niveau académique en compétences professionnelles. Or, plus l’emprise des diplômes est élevée dans une société, plus les inégalités scolaires sont fortes, ce qui se comprend aisément puisqu’il n’y a guère d’autre planche de salut que l’école. Ainsi, le mérite scolaire devient l’équivalent général de tout le mérite des individus ; il ignore des compétences et des qualités des « derniers de cordée » dont l’économie et la société ont pourtant besoin.

Élitisme de la culture scolaire d’un côté, emprise des diplômes de l’autre, l’école française croit à l’égalité des chances méritocratique. Si le principe de l’égalité des chances n’est pas en soi contestable, il fonde les « privilèges » et l’honneur des plus « méritants » et dégrade – et parfois humilie – ceux qui n’ont pas manifesté assez de « mérite » alors qu’en réalité – souvent – ils n’ont pas hérité de celui de leurs parents… Cette croyance n’est pas sans avoir des effets négatifs sur les individus, la cohésion sociale et la démocratie.

Des jeunes disqualifiés

Alors qu’il semblait aller de soi qu’une école qui éduque longuement les jeunes produit des citoyens plus à même de s’insérer dans la vie et d’exercer plus librement leurs droits civiques, la réalité est toute différente.

La généralisation des diplômes contribuant à en renforcer l’emprise, il n’est plus possible aujourd’hui de prétendre à une insertion professionnelle correcte sans qualification scolaire. Les jeunes les moins dotés scolairement abordent cette épreuve bien moins armés psychologiquement : leurs échecs, accumulés souvent dès l’école primaire, minent leur confiance en eux-mêmes, alors qu’à l’inverse, les élèves jugés très tôt comme « bons », davantage stimulés par leurs enseignants, gagnent en estime de soi au fil de leurs progressions.

Les valeurs partagées par les jeunes tendent également à diverger. En France, le niveau d’éducation renforce le libéralisme culturel [1] [2], mais ceci ne vaut qu’en moyenne : par exemple, les inégalités liées à l’origine ethnique sont jugées inacceptables par 75 % des titulaires d’un deuxième cycle universitaire, mais par 54 % seulement des titulaires du seul brevet des collèges ou des non-diplômés. La contrepartie de l’effet du diplôme sur les valeurs libérales est que les moins éduqués adhèrent plus souvent que les autres aux valeurs antidémocratiques ; ils sont plus favorables aux gouvernements autoritaires, aux hommes forts, et plus hostiles aux immigrés…

En revanche, les moins diplômés défendent davantage l’égalité sociale que les diplômés, et se montrent plus critiques envers les inégalités : les trois quarts des personnes dotées au plus d’un niveau brevet estiment que les différences de revenus, en France, sont trop grandes, alors que 58 % des diplômés d’un second cycle universitaire soutiennent ce point de vue. Les moins diplômés sont également plus critiques envers les injustices scolaires.

Là le lient pour poursuivre la lecture et la réflexion : https://www.inegalites.fr/Education-il-faut-donner-priorite-aux-vaincus

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