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Éditorial des Actes de Lecture n°120

Parler de Lance Armstrong ou de Richard Descoings, c’est évoquer immédiatement des cas extrêmes dont on s’étonne qu’ils aient pu s’installer dans la durée et que rien ni personne n’ait entravé le processus. Alors parlons haut et fort pour que changent les conditions d’apprentissage de la lecture !

Certes, l’AFL a déjà publié de nombreux articles sur le sujet. Mais il s’agit là « d’un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître »… Les jeunes enseignants entrent dans le métier sur la base des programmes de 2008 et dans un environnement « pédagogique » lié à ces programmes.
Pourquoi ne feraient-ils pas confiance à l’institution qui les emploie ? Qui peut les alerter quand la majorité de l’opinion pense qu’il est logique de segmenter le complexe en éléments simples pour partir, au moment de l’apprentissage, du simple et aller vers le complexe ? Qui peut leur ouvrir les yeux quand la majorité médiatisée pense que l’écrit n’est que de l’oral transcrit ? Et il nous faut aussi continuer à essayer de convaincre les enseignants plus anciens dans le métier et leurs cadres.

La simplification des situations met l’élève en difficulté parce qu’on le prive de la richesse de la complexité, mais il y a pire encore, c’est de proposer à l’élève des situations non compatibles –inverses même– avec ce qu’on souhaite qu’il apprenne. Si on ne peut penser que ces situations soient créées volontairement dans un but de non-apprentissage, il faut tout de même s’interroger sur les causes probables qui conduisent certains « prescripteurs » à perdre tout bon sens. La grande majorité des manuels/méthodes d’apprentissage de la lecture publiés après les circulaires de 2006 et les programmes de 2008 montrent une déconnexion grave avec la réalité d’un système linguistique. « Jamais un savoir intéressant n’a délibérément commencé par le ‘‘simple’’ mais par le ‘‘pertinent’’e» écrit Isabelle Stengers. Le simple devient simpliste, voire simplet, tellement il est isolé, séparé alors qu’il devrait prendre place dans un ensemble cohérent et clos, fait d’un jeu articulé de cohésions et de ruptures, d’attentes tout à fait prévisibles et de surprises tout aussi souhaitées, le tout en réponse à des besoins intellectuels et sociaux. Apprendre à lire comme apprendre à parler suppose mettre en jeu de manière dynamique et pertinente, avec essais et erreurs, mais surtout avec un compagnonnage fort, l’ensemble des éléments du système linguistique et cela de manière indissociable. À l’époque des circuits intégrés et des réseaux sociaux, peut-on immobiliser des élèves pour qu’ils déchiffrent Tao a pilé l’épi ou Malgré la pluie, la cane va à la mare – Le sirop est sur le sol – Lari lit avec Lulu – elle a un ara ou orticola – cericoco (sic)… ? Est-ce ainsi que les hommes lisent ? Si c’est un cauchemar, réveillons-nous ! D’autant qu’il relève de notre responsabilité de mesurer le coût d’une édition luxueuse pour un contenu miséreux, l’énergie déployée inutilement par les adultes et les enfants et l’assèchement intellectuel au moment d’un potentiel d’intelligence optimum. Quel gâchis ! Sortons de l’impasse, il y a urgence !
Vous avez dit prévention de l’illettrisme ? J’en perds mon latin…

Annie Janicot

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