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Ecologie et éducation – Raymond Millot deuxième partie

PLAN B pour l’EDUCATION – deuxième partie

Dans « ETAT DES LIEUX » (p.1) nous avons fait le constat : « Ce dénombrement, presque complet, des établissements plus ou moins en rupture avec le système dominant permet de dire que le nombre d’enseignants évitant de participer à la reproduction sociale et au formatage institutionnel, d’une manière significative, est dérisoire. Les autres font ce qu’ils peuvent pour ne pas être complices dans des contextes souvent difficiles.
On peut oser dire ça : depuis Jules Ferry, il n’a jamais été possible de changer le système… »

Autrement dit, le réformisme est une impasse.

Le Plan Langevin-Wallon, porté par l’élan politique issu de la Résistance, en a lui aussi, donné la preuve. Porté par une Révolution il aurait sans doute rencontré d’autres obstacles et procédé à d’autres formatages.
L’Appel de Bobigny était porté par la même illusion. La plate-forme de réformes adoptée non sans mal, misait sur le retour de la gauche au pouvoir. Hollande n’en a pratiquement rien fait et le retour de balancier nous emporte à l’extrême logique du libéralisme.
L’Education Nationale régresse et (re)devient Enseignement Public, adopte des règles managériales de l’entreprise, avec division du travail (abandon de l’idée de cycle), souci de rendement et contrôle continu de la production, mise en concurrence des personnels et des établissements. Cette régression s’ajoute à l’inégalité des « chances » selon le lieu de résidence, centre-ville ou banlieue pauvre.

Page 8, nous avons « souligné la fonction naturelle de l’Etat, la reproduction de l’ordre établi », posé la question : « Comment échapper à (sa) mainmise ? » et imaginé : « que la rupture avec la mainmise de l’Etat soit rendue possible par une inscription, dans la Constitution, de l’Education comme bien commun, et/ou comme droit humain fondamental). »

Cette idée, cette hypothèse, demande à être explorée par des spécialistes (sociologues, juristes)…

En revanche il nous a été possible d’imaginer sa traduction dans les faits : page 5 sont évoqués « les « ENSEIGNEMENTS DE L’EXPERIMENTATION » .
Celle qui a eu lieu à Grenoble  « ambitieuse et de longue durée-30 ans) » « a débouché sur un concept alternatif : LA SOCIETE EDUCATRICE »

La municipalité Dubedout avait conçu un quartier assurant un habitat confortable et de grands espaces de loisirs, mêlant HLM et propriété privée, réalisant une véritable mixité sociale et offrant aux enfants et adolescents des « écoles ouvertes », ouvertes matériellement («équipements intégrés») et ayant la mission de s’ouvrir sur la vie du quartier et de la société.

L’expérience a permis cette hypothèse qu’il s’agit maintenant d’explorer : « … l’Etat, tout en finançant le corps enseignant et sa formation, délègue une partie de ses pouvoirs à toute collectivité locale se considérant prête à faire face aux urgences d’aujourd’hui (ex. Villes en transition) et implique les Sciences de l’Education et certains secteurs de la recherche dans les recherche- action entreprises et dans leur mise en réseau ».

Cette évocation des villes en transition se justifie par le fait que l’auteur du concept, Rob Hopkins, évoque des valeurs de justice sociale, de démocratie, d’autogestion et de coopération (Interview France Culture 09.04.2017). Concept qui a essaimé, grâce notamment à son engagement au service du développement durable et d’une vie éco-responsable, a sa détermination contre le réchauffement climatique et pour la construction d’une société plus solidaire.

En France, des villes s’intéressent au concept, mais c’est sans doute le Pays Basque et le mouvement Alternatiba qui s’en approchent le plus. Il sera intéressant d’y éprouver l’idée de PLAN B…

Alors que la ZAD de Notre-Dame des Champs était encore en ébullition et donnait naissance à un livre «  L’éloge des mauvaises herbes »(1) où Wilfrid Lupano constatait que la ZAD :
« attire de nombreux jeunes gens désireux d’y construire une vie remplie de sens … des enfants y naissent…une crèche associative a été mise en place…la question de l’école se posera bientôt pour les plus grands. » …
« Question de l’école » …ou occasion de mettre l’école en question ? De substituer à l’institution scolaire, une société Educatrice ? Nous avons posé cette question et tenté d’y répondre ( à distance) en proposant aux ZADISTE une fiction qui donne corps à ce concept .

Fiction qui l’exprimera peut-être mieux qu’un discours :

« L’autre soir une dizaine de zadistes concerné-es se posaient cette « question de l’école ». Certains n’avaient pas d’avis tranché, ils connaissaient l’analyse de Bourdieu, mais avaient été bénéficiaires du système scolaire… d’autres exprimaient leur allergie. Quelques enfants de soixante- huitards se souvenaient de discussions sur la non-directivité, sur l’école de Summer Hill… Le débat s’enlisait.
La mère de Sidonie avait marché (le 18 mai) et sympathisé avec un couple de pédagogues retraités. Leur expérience l’avait beaucoup intéressée mais elle n’a pas voulu en parler (il était déjà 22heures). Sa proposition de les inviter a été retenue.

Mardi dernier, les deux vieux pédago sont venus. Le groupe s’était étoffé, des parents avaient de très mauvais souvenirs, un d’entre eux avait connu lui-même une année de bonheur avec un instit Freinet. Presque tous les parents des enfants vivant sur la ZAD étaient là, ainsi qu’une jeune femme enceinte et son compagnon.
Les invités ont précisé qu’ils ne parleront de « leur expérience qu’en temps utile et si nécessaire ». Ils ont insisté sur le fait qu’en « ce lieu où l’on a changé de paradigme quant au travail, à la propriété, à la démocratie, il devrait, plus facilement qu’ailleurs, être possible d’en faire autant dans le domaine de l’éducation… considérée comme « bien commun »

Partant de cette hypothèse, ils ont souhaité partir de réalités locales, de « l’état des lieux » dont ils n’avaient qu’une connaissance partielle, « vous préciserez vous-mêmes ! ».

La vieille pédagogue, spécialiste des petits de la crèche et de la maternelle a énuméré avec un peu d’envie :
« Vous avez des trésors végétaux, animaux, susceptibles de susciter chez les petits, étonnements, admiration, peurs, observations, hypothèses, discussion, dessins, enrichissement du vocabulaire, premiers rapports avec l’écrit sous différentes formes, avec les formes, les nombres, les grandeurs… Bien sûr, seuls, à deux ou à trois, les petits vont découvrir, expérimenter avec une réelle liberté mais un adulte vigilant doit se trouver à proximité… »

Le (plus) vieux a enchaîné :
« Les plus grands capables de comportements autonomes ont cent occasions de s’intéresser aux activités des adultes que John Jordan a énumérées et qui sont nombreuses. Les constructions, les jardins, l’agriculture, l’élevage, l’entretien de la forêt, la connaissance des champignons, le pain, les pâtes, les plantes médicinales, le camembert, la radio pirate, le studio d’enregistrement, la forge, le phare, la bibliothèque …Il y en a pour tous les goûts, toutes les curiosités. Les groupes d’explorateurs vont récolter de multiples informations, techniques scientifiques, et vont avoir l’occasion de contribuer à divers travaux, d’exercer leur adresse, leurs forces.
Toutes ces explorations vont devoir être préparées par des enquêtes.
Tous les savoirs récoltés vont devoir être organisés, analysés, confrontés à leur fondement scientifique, mathématique, historique.
Ils devront être mis en forme pour différents usages expositions, journaux, correspondance.
Un vrai « travail » qui fait l’objet de projets discutés, organisés. Un travail pourvu de sens et qui rend admissibles les efforts nécessaires. Les contraintes sont fonctionnelles, justifiables si la question se pose. Car il va falloir définir des méthodes de travail, acquérir les savoirs « académiques » que nécessite cette mise en forme, langue écrite, mathématiques, rudiments scientifiques, et des savoirs moins académiques, manuels et intellectuels.
Aussi des savoirs relationnels qu’il s’agit d’inventer. Le petit groupe qui s’est intéressé à une séance de règlement des conflits chez les adultes peut faire des comparaisons en tirer des enseignements utiles aux groupes d’enfants…. »

Sa compagne tient à préciser :
« Comme dans la vie familiale et sociale, les groupes d’âge n’existent pas. Les petits observent et imitent les grands. Les plus grands doivent apprendre, si nécessaire, à respecter les plus jeunes qu’eux et à les aider dans leurs apprentissages. Par ailleurs… »

Ici , la mère de Sidonie les interrompt :
« Il faut donc des enseignants qui inventent une autre école. Qui va les fournir, l’Etat qui nous veut du bien ? »

Les deux pédagos en chœur « on arrive au cœur du problème ! »
Il s’explique :
« c’est précisément ici qu’on peut inventer la réponse »  

Elle précise « c’est l’idée de Société éducatrice que vous pouvez mettre à l’épreuve, une société dont ont rêvé les premiers révolutionnaires avant que Jules Ferry leur confisque leur projet éducatif, avec son école de la République et ses buts non dissimulés de formatage… dont on pourra parler.

Ils se disputent la parole :

« Mais d’abord parlons de la ZAD. Mettons-nous d’accord : oui le savoir- faire pédagogique existe, mais il peut s’apprendre dans une démarche expérimentale de « recherche-action ». Il ne manque pas de profs de Sciences de l’Education qui s’intéressent à la Zad et seraient prêts à accompagner les «coéducateurs ». Il ne manque pas de vieux pédagos, comme nous, prêts à donner du temps pour que les adultes de la ZAD contribuent efficacement à partager leurs savoirs et savoir-faire…à constituer un réseau de « coéducateurs » 

« La conduite de projets adultes, surtout quand il s’agit d’inventer comme ici, n’est pas bien différente des projets d’enfants. Il faut seulement rompre avec l’idée que l’enfant doit d’abord apprendre avant d’agir, faire des études avant d’affronter le réel… »

«  je vous propose de réfléchir un instant à cette formule concentrée (elle déplie un carton qui reste sous les yeux des participants) :
‘IL FAUT FAIRE POUR APPRENDRE CE QU’ON VEUT APPRENDRE A FAIRE’…
Une minute de silence.
Bon, et maintenant pouvez-vous trouver des exemples dans votre vie d’enfant, d’adolescent, d’adulte ? Des exemples concrets…
Si ça peut vous aider, je vous donne un exemple personnel que mon âge avancé rend possible. Ce n’est pas une invention : quand j’avais 9 ans, le prof de gym- c’était dans une école parisienne rue de Charenton- nous enseignait la natation, la brasse, en rang, debout, dans le préau. A votre avis ? »

Discussion –
– j’y crois pas ! moi on m’a poussé dans le grand bain et il a fallu que je me débrouille
–  c’est aussi le moyen de provoquer une phobie de l’eau !
– oui, mais je suis revenu au bord et on m’a dit bravo tu as trouvé les bons mouvements, il te reste à les perfectionner dans le petit bain
– moi je savais lire à cinq ans à force d’entendre l’histoire et de me demander où c’était écrit que le loup mangeait la bergère …
–   moi , mon père n’a pas voulu qu’on mette deux petites roues à la bicyclette… il avait tout bon : pour apprendre, il faut faire vraiment du vélo, mon père m’a dit « regarde loin devant toi, pousse avec tes pieds, comme sur ta patinette…relève tes pieds et profite de la descente…
– ouais, bon, mais le théorème de Pythagore c’est pas comme la patinette !

Le vieux :
« J’ai été à un moment de ma vie charpentier. Mes compagnons ne connaissaient pas Pythagore, mais pour tracer un angle droit au sol ils utilisaient 3/4/5. Il aurait suffi qu’on les incite à généraliser et utiliser les termes consacrés… Mais tu poses un vrai problème. Au moment opportun, il faut, en effet, entrer dans l’abstraction et souvent on y prend plaisir…Et il faut à l’adulte, et un savoir et surtout le plaisir d’organiser sa construction, la conviction que l’erreur est source de progrès, la capacité d’en tirer profit…3/4/5 ce n’est pas 4/5/6 voilà pourquoi … » 

Elle :
«  Raconte pas ta vie ! Donc, il faut travailler le concept coéducation, convaincre chaque adulte qui construit, qui invente, qui se débrouille qu’il peut écouter les questions des enfants, trouver les mots pour se faire comprendre, accepter qu’un enfant utilise son outil, sa machine, et contribue la prochaine fois à telle ou telle séquence de la production…Mais …mais il faut aussi s’assurer qu’il existe des adultes en mesure d’apporter les savoirs plus abstraits qu’ils ont peut-être oubliés et qu’ils devront retrouver et adapter à la situation , ou d’anciens profs, ou des prof bénévoles… »

Lui :
«  vous allez aussi devoir jongler avec les règles… l’obligation scolaire, ça existe. Il faut la contourner, montrer que les savoirs acquis sont mesurables. Nos amis belges ont mis au point la pratique du « chef-d’œuvre pédagogique » qui témoigne de la diversité des savoirs (et savoir-faire) acquis. Ce qui est certain c’est qu’il faut être en mesure de prouver que, pour toute la collectivité, l’éducation est une préoccupation majeure… »

Elle :
« …de prouver aussi que toute cette pédagogie pratiquée par votre groupe humain, votre société éducatrice (comme nous l’appelons) vise une éducation complète et correspondant aux qualités intellectuelles et sociales dont vont avoir besoin les adultes de demain, face à un avenir extrêmement périlleux. La plupart des penseurs qui se préoccupent du problème, approuvent Edgar Morin qui depuis longtemps considère que face aux problèmes complexes, une pensée systémique est indispensable.

Mais il est tard.
Si vous voulez approfondir le sujet, vous pourrez inviter des intellectuels qui développeront cette idée. En attendant vous pourrez-lire ce que nous avons écrit sur le sujet. Nous reviendrons en discuter si ça vous convient.
… et vous devrez, bien sûr, examiner le problème des locaux, de l’équipement indispensable en ordinateurs  pour consulter les bases de donnée Wikipedia, pour utiliser des logiciels d’entraînement à la lecture savante ELSA de l’A.F.L. …
Salut, et dormez bien !»

(On devinera qui est ce couple d’enseignants retraités…)

En revenant à une réalité moins exceptionnelle que celle de la ZAD , il est possible d’imaginer que le maire de Grande-Synthe soit séduit par le concept SOCIETE EDUCATRICE et s’interroge sur la possibilité de le mettre en fonction. Un des quartiers de la ville pourrait s’y prêter. L’école va mal, les parents s’en inquiètent. Le nombre de familles en difficulté est important, mais à plusieurs occasions elles ont été témoins et satisfaites d’une intervention de la Mairie. Les instituteurs…disons les professeurs, ne restent pas longtemps à leur poste. Le maire prend rendez-vous avec l’Inspecteur. Celui-ci connaît assez bien les réalisations de la Grande- Synthe et quand le maire lui parle, il tient à montrer qu’il est conscient des alertes du GIEC. Il accepte d’imaginer d’accorder un statut spécial à l’école et de décrire les caractéristiques « expérimentales » des postes mis au mouvement. Il se propose de participer à une « rentrée » sans enfants pendant deux jours pour examiner avec la nouvelle équipe les étapes conduisant à l’idée d’une société éducatrice. Il proposera que tous les samedis matins du premier trimestre, les enseignants reçoivent les parents par groupes de 3 pour parler du projet et examiner avec eux de quelle manière ils peuvent s’y impliquer selon leur métier, leur disponibilité. L’idée d’un cours du soir pour les parents analphabètes pouvant être envisagé.
Savoir perdre du temps pour en gagner : ces samedi matins et leurs effets sur les familles et sur l’attitude des enfants seraient en effet considérables.
Ces quelques dispositions apparaissent suffisantes pour que l’équipe des enseignants se soude et s’emparent du projet et l’adaptent aux réalités, avant d’inventer des démarches nouvelles.

La longue et fertile « expérience de la Villeneuve de Grenoble » a elle-même rendu crédibles ces propositions qu’il est souhaitable d’enrichir pour en faire un outil de démultiplication. Cette idée a été plusieurs fois envisagée par un groupe d’enseignants de la Villeneuve de Grenoble, de l’école Vitruve de Paris, de l’Auto-école de l’Île-Saint-Denis, d’un directeur d’IUFM et de plusieurs chercheurs de l’INRP. Elle a été publiée dans LIBERATION sous le titre que nous n’avions pas choisi « QUI A EU CETTE IDEE FOLLE DE REINVENTER L’ECOLE »

Tout est possible si l’on promeut une idée, évidente et négligée : ce sont les enfants d’aujourd’hui qui vont devoir faire face aux difficultés encore inimaginables que le GIEC nous laisse entrevoir. Idée dont nous sommes porteurs qui nous permet d’affirmer que ce ne sont en aucun cas l’école de Blanquer, d’Alvarez- Montessori et ni même celle de Pierre Rabi qui peuvent les y préparer.

SOYONS OFFENSIFS 

Raymond Millot le 1er Novembre 2018

(1) Livre collectif – 17 participants – présenté par Jade Lindgard

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