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Dormir

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Afin que nous ne nous endormions pas trop pendant les vacances, nous publions cet été quelques-unes des chroniques revigorantes de Véronique Decker.
N’oubliez pas de commander et lire son dernier recueil,
L’école du peuple.




arton1065-d1120-3.gif L’école du peuple
Véronique Decker
Collection N’Autre École / Q2C n° 9
Libertalia, 124 p., juin 2017
Prix : 10 € + 2,84€ de frais de port








Dormir

Deux parents attendent devant le bureau ce matin.
Le père d’Alfoussenou m’explique qu’il est logé au 115, bien trop loin de l’école pour pouvoir amener l’enfant le matin, donc il le laisse dormir chez son cousin, mais tout de même, il voudrait bien venir le chercher ce soir, et il souhaite avoir confirmation de l’heure de la sortie. Il me demande aussi si je connais une assistante sociale pour l’aider.
Mais ici, pas d’assistante sociale dans les écoles. C’est seulement à Paris qu’il y en a. Nous, on a les problèmes sociaux, on ne peut pas tout avoir… Je tente de lui expliquer comment trouver le bureau des assistantes sociales de la ville, mais ce n’est pas facile, car c’est sur une dalle à côté de la mairie.
La mère de Pierre-Emmanuel veut aussi me rencontrer. Elle est hébergée chez sa tante, mais celle-ci veut la mettre à la porte vendredi et nous sommes lundi. Elle aussi voudrait savoir où trouver les assistantes sociales.
Avant, il y avait un bureau des assistantes sociales dans la cité, elles étaient plusieurs et elles ne chômaient pas. Maintenant, il y a un bureau pour toute la ville, et elles doivent faire face à l’explosion de la misère sociale avec des moyens sans cesse rétrécis.
Je conseille à la maman de Pierre-Emmanuel de prendre rendez-vous chez les assistantes sociales, mais surtout d’appeler le 115 dès aujourd’hui pour ne pas se retrouver dehors vendredi, car je suis déjà presque sûre que les assistantes sociales ne pourront pas trouver une place d’hébergement dans des délais aussi courts.
Dix heures, je regarde dans la cour Pierre-Emmanuel qui joue. Est-ce qu’il sait ce qui l’attend ? Alfoussenou, lui, est déjà triste. Cela ne lui plaît pas d’être chez le cousin. Mais quel autre choix ? Il faudrait construire, construire, construire, ou bien créer des emplois dans les villes qui ont un parc de logements inoccupés.
Personne ne voit ces enfances gâchées, la Cour des comptes ne cherche pas à mesurer le coût de cette fracture qui nous fait vivre au bord du gouffre béant.
Comment pourrais-je dormir en pensant à mes élèves en errance ?

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