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Djelil, 15 ans et demi, arrêté, emprisonné3 semaines…

Dans le cadre de la campagne du collectif JUstice pour les Jeunes Isolés Étrangers (JUJIE) sur la situation des jeunes mineurs/majeurs isolés

A retrouver sur Médiapart

https://blogs.mediapart.fr/jeunes-isoles-etrangers/blog/081118/djelil-15-ans-et-demi-arrete-emprisonne-3-semaines-expulse-et-revenu

DJELIL, 15 ANS ET DEMI, ARRETE, EMPRISONNE 3 SEMAINES,

EXPULSE ET REVENU !

Je m’appelle Djelil, je suis mineur isolé, maintenant je suis pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) des Hauts-de-Seine. Je suis Burkinabé comme mes parents mais je suis né le 20 octobre 2001 en Côte d’Ivoire, le pays où j’ai vécu.

Mon père est mort en 2015. Ma mère s’est réfugiée dans sa famille avec mon petit frère et moi mais mon oncle, le frère de mon père, nous menaçait en voulant que je travaille dans ses champs. Je l’ai fait quelques temps mais je voulais aller à l’école. J’ai décidé de partir pour la France.

Arrivé en Lybie, j’ai travaillé 4 mois comme couturier dans des conditions très dures, j’ai été battu, j’en ai des cicatrices. J’ai fini par prendre un bateau avec l’argent gagné. Nous étions 126. Le bateau prenait l’eau. Heureusement un hélicoptère nous a vus, un remorqueur nous a traîné très vite vers un bateau. Il y avait tellement de monde dans ce bateau que nous n’avions à manger qu’une fois par jour. On est arrivés en Sicile le 15 décembre 2016, on a été mis dans un camp. On a pris mes empreintes mais j’ai déclaré un faux nom et une fausse date de naissance me rendant majeur. C’est ce que font tous les jeunes pour n’être pas bloqués en Italie. A Vintimille, j’ai pris un train sans payer et je me suis caché dans les WC. Des contrôleurs m’ont fait descendre à Lyon. C’était le 23 février 2017. Des gens m’ont accompagné dans une association qui m’a envoyé à l’ASE. J’ai passé 4 mois dans un hôtel sans aller à l’école malgré ses demandes.

Le 5 avril, j’ai été convoqué à la police et interrogé. On m’a dit que mon extrait d’acte de naissance est faux. J’ai de nouveau été convoqué le 16 mai. J’ai été mis en examen pour « recel de faux documents et escroquerie ». On m’a fait passer des tests d’âge osseux qui me donnaient « un âge moyen entre 26 et 29 ans avec un âge minimum de 21 ans » et un âge maximum de 36 ans ! L’expertise dentaire me donne un « âge moyen de 27 ans ».

Convoqué une troisième fois le 7 juin, j’ai été placé en garde à vue. Une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) et une interdiction du territoire (ITF) de 18 mois m’ont été données par le préfet du Rhône. J’ai été menotté et emmené au CRA de Lyon. J’avais 15 ans et 8 mois, j’ai été enfermé 26 jours comme un adulte. Heureusement, j’étais très soutenu par le RESF de Lyon. Des militants venaient me voir, m’apportaient des vêtements. Trois rassemblements de plus de 100 de personnes ont eu lieu devant la préfecture pour demander ma libération. Malgré ça, le 3 juillet, des policiers m’ont mis dans un avion pour Roissy où j’ai été mis dans un vol pour Venise. Ma valise avait été enregistrée sur le vol Lyon-Paris mais pas sur le Paris-Venise : les policiers l’ont jetée. En arrivant à Venise je n’avais rien d’autre que le tee-shirt et le pantalon que je portais. J’avais juste un peu d’argent donné avant mon expulsion de Lyon.

J’ai décidé de revenir en France. J’ai à nouveau passé la frontière à Vintimille, caché dans un train.

Le 6 juillet, à Paris, j’ai été accueilli par un militant RESF qui m’a hébergé presque 2 mois dans le 92 et m’a accompagné dans mes démarches. Une étudiante m’a fait travailler (français, mathématiques) plusieurs heures par jour.

Un nouvel extrait d’acte de naissance et un certificat de nationalité burkinabé m’ont été envoyés par ma famille. Le 8 août, on est allés à l’ambassade de Côte d’Ivoire. Le Premier Consul a authentifié mon acte de naissance. Le lendemain, le consulat du Burkina-Faso m’a donné une carte d’identité consulaire et une « attestation tenant lieu de passeport ».

Fin août je suis allé à l’ASE du 92 et j’ai été logé dans un hôtel près du lycée où un militant RESF m’avait fait inscrire en CAP maçonnerie. Mes profs sont contents de mon travail, je suis aussi délégué de ma classe.

Mais, le 12 octobre, j’ai été convoqué à l’ASE du 92 pour recevoir un billet de train pour Lyon. On me dit que je dois quitter, ma situation dépend de l’ASE de Lyon. J’ai refusé de prendre le billet. En revenant à l’hôtel, le patron me dit qu’il vient de recevoir l’ordre de me mettre à la porte. Je n’avais pas 16 ans, j’étais à la rue, sans argent, empêché de poursuivre ma scolarité. Heureusement, on a fait un appel, j’ai été super bien accueilli dans une famille, puis une autre, près de mon lycée.

On a écrit au juge des enfants de Nanterre pour demander que je sois repris en charge par l’ASE 92. Des profs de mon lycée, les personnes qui m’ont aidé, l’étudiante qui m’a fait travailler, l’ONG PICUM (Platform for International Cooperation on Undocumented Migrants) devant qui j’avais raconté mon histoire à une rencontre à Paris, m’envoient leur soutien. Un rassemblement des élèves, du personnel et des profs en solidarité avec moi a même eu lieu devant mon lycée. Le journal Parisien 92 a publié un article et une photo.

Le 27 octobre, je suis passé devant une juge des enfants à Nanterre. J’avais une avocate. La juge a décidé que l’ASE du 92 devait me reprendre et me loger, près de mon lycée. On m’a ramené à toute vitesse à l’ASE, on nous a dit qu’il était trop tard (16h50) et que je devais repasser après le W-E… Deux jours après, j’ai finalement été remis dans un hôtel à l’autre bout du département, avec un seul ticket de bus. Et comment faire pour aller à l’école ? Ça a duré un mois.

A Lyon, on s’occupait aussi de ma situation. Mon avocate de Lyon avait attaqué la décision du Tribunal administratif qui m’avait expulsé en Italie. J’étais présent à l’audience, accompagné d’une trentaine de soutiens lyonnais. Je suis même passé à la télé ! Ce tribunal a TOUT annulé ce qui veut dire cette fois que je suis mineur, pour de bon ! Je suis né le 20 octobre 2001, je n’avais pas 16 ans quand j’ai été arrêté, mis en garde à vue, menotté, emprisonné trois semaines et expulsé sans aucun bagage.

J’ai été maltraité par les autorités françaises. Mais j’ai aussi été soutenu, protégé, sauvé par des habitants de ce pays. Je les en remercie, vraiment. Et c’est pour eux, avec eux, que je souhaite bâtir ma vie dans ce pays.

Djelil

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