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Devoirs à la maison: mobilisation et désorientation des familles populaires

Une montée immense des préoccupations des
familles… parfois à contre-emploi
Des familles en “ordre de marche”
La thèse de la démission des familles reste bien ancrée chez les enseignants, puisqu’en 1998
les ¾ d’entre eux pensaient que les problèmes scolaires des élèves en difficulté provenaient des
familles. Cette thèse peut, il est vrai être utile à l’institution pour désigner des responsables hors
du système éducatif. Et éviter par là même de s’interroger sur le fonctionnement de l’institution
scolaire.
A l’époque du certificat d’étude, 50% d’une classe d’âge échoue mais pourtant on ne parle pas
d’échec scolaire : les parcours sont traçés, le “diplôme” n’est pas une condition de travail, le
chômage de masse n’existe pas.
C’est dans les années 60s que s’est amorcé la grande mutation du rapport des familles
populaires à l’école. Auparavant ce processus n’est pas nécessaire: il n’y a pas besoin de
diplômes pour trouver du travail et l’ascenseur social n’a pas démarré. Mais entre 1963 et 1972,
la proportion des parents qui souhaitent que leurs enfants aient au moins un “bac” passe de 15 à
60% ! Les années 80s voient un renforcement de ce phénomène. Aujourd’hui, on en est arrivé à
un stade où il n’y a plus de différence sur ce point entre les cadres et les ouvriers sur ce désir de
diplômes supérieurs pour leurs enfants.
Cet impératif de réussite scolaire s’impose donc dans les aspirations, mais aussi dans les
pratiques !
Par exemple, la France est le pays d’Europe qui consacre le plus d’argent au marché de
l’accompagnement privé à la scolarité : 1.5 milliards d’euros partagés entre des entreprises type
Acadomia, le recours à des cours privés, du soutien scolaire payant…
Au sujet de la réussite scolaire, ce sont les devoirs qui sont le moyen le plus évident, le plus
immédiat de traduire ces préoccupations, levier d’action le plus immédiat et souvent le seul
perceptible. Pendant longtemps, les familles avaient un rapport de confiance à l’école, à
l’enseignement, dans une logique “on laisse à l’école ce qui lui appartient”… Mais ce rapport de
confiance a changé. Et jusqu’en 6ème, jusqu’à l’entrée au collège, la proportion des mères qui
aident leurs enfants à faire les devoirs est de 95%. Ce chiffre est le même quel que soit la
catégorie socio-professionnelle.
Il y a un attachement viscéral des parents aux devoirs. Pourquoi ?
• D’abord parce qu’il y a une croyance des familles dans l’idée que les devoirs “font du
bien”
• Ensuite parce que pour beaucoup de parents, c’est “le” moyen de savoir ce qui se passe
à l’école.
• Les devoirs sont aussi pour les familles un moyen de “différenciation”. Le raisonnement
est bel et bien “c’est par les devoirs, (bien faits, éventuellement avec des devoirs en
plus…), c’est donc par les devoirs que mon enfant peut devenir “meilleur” que les autres
et faire sa place…”
• Les devoirs sont aussi un moyen de communiquer “quelque chose” avec les enseignants.
Serait-ce un message de “conformité” du type: voyez, chez nous c’est sérieux”
• Les devoirs structurent par ailleurs le temps péri-scolaire. Ils sont le prétexte qui permet
de dire à son enfant: “non tu ne sors pas parce que tu as tes devoirs à faire…”
• Enfin, les devoirs sont un moyen pour les familles de transmettre ou de promouvoir en
interne les “bonnes valeurs”, (travail, assiduité…)
Le succès phénoménal en France des éditions extra-scolaires est révélateur de cet
attachement.
Mais des familles qui passent outre les prescriptions de l’institution
Les familles acquièrent dans les grandes surfaces des supports, cahiers d’exercice… Les
parents prennent souvent une distance critique vis à vis des prescriptions de l’institution. On
entend bien des parents dénoncer les méthodes pédagogiques, parler parfois même d’une
démission de l’école qui aurait abandonné certains enfants à leur sort… Et face à cela, certaines
familles vont jusqu’à se tourner vers l’enseignement privé, pour des raisons de méthodes
pédagogiques supposées. Il y a aussi des parents qui donnent des devoirs supplémentaires à
leurs enfants. Et à ce sujet, on peut considérer que certaines familles sont presque des
“missionnaires des pédagogies traditionnelles”, avec une véritable stratégie pour rendre les
pratiques de leurs enfants plus conformes à ce qu’ils ont eux connus. Ces familles somment
leurs enfants d’opérer une sorte de conversion en solitaire à des pratiques très éloignées de ce
que promeut l’institution actuelle.
La dissonance entre mobilisation des familles et
attentes scolaires
Premier type de désorientation: les parents ont reçu une éducation basée sur des savoirs “déjà
constitués”, donnés à apprendre par coeur et à restituer. Aujourd’hui, ce qui est enseigné, c’est
“comprendre”, “réfléchir”, “construire” autant et même plus que des savoirs à “régurgiter”. Cette
différence fondamentale est difficile à saisir pour tous et en particulier pour les familles
populaires, qui ne comprennent pas et désapprouvent souvent.
La suite logique de cet élément est bel et bien que le niveau d’exigence scolaire a augmenté,
contrairement à ce qui est propagé dans les discours communs et souvent les medias. Cette
élévation du niveau d’exigence se fait cependant à travers des procédés qui donnent
l’impression à beaucoup qu’on “cache les savoirs”, qu’on ne les donne plus à voir. Ce qui n’est
pas complètement faux. Le travail se fait en “séquence”, (par exemple en français une séquence
sur “le portrait” va être l’occasion d’aborder les notions de lecture, d’écriture, de grammaire…),
va permettre d’aborder des choses qu’on aurait traitées séparément et sans les inscrire, sans
les “encapsuler”# de la sorte, les laissant plus visible. Cette évolution laisse les familles
populaires particulièrement démunies et désorientées.
Enfin, le scolaire et le non-scolaire sont nettement moins séparés qu’auparavant. Ainsi les
sorties scolaires, (cinéma, visite d’une ferme…), font partie intégrante du travail scolaire, mais
les familles populaires ne le comprennent pas et ne valorisent pas ces activités qu’elles
considèrent comme extra-scolaires, certaines refusant même d’y laisser participer leurs enfants!
Conclusion
Au final, l’enjeu est bel et bien que l’école publique se ressaisisse, mette à nouveau en situation
de réussite les enfants des familles populaires pour que se restaure la confiance. Les enquêtes
internationales le montrent : l’école en France est de celles qui corrigent le moins bien les
inégalités sociales au départ. L’institution doit se saisir de ces questions : il va de soi qu’il est
pertinent que les enseignants, expliquent la pédagogie, ce qu’ils font, seuls ou par l’intermédiaire
de structures comme l’ADEP. Néanmoins, ce qui est indispensable, c’est de faire réussir les
enfants, de les rendre autonomes. Il faut que l’Iistitution permette aux enfants de rentrer chez
eux avec les moyens d’être autonomes.

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