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Demeurer jusqu’à ce que vie s’ensuive !

KroniKs des Robinsons 649 du 12 Janvier 2017.

Le politicien a confiance dans le système qui le propulse, le banquier , dans le profit; le professeur croit à la culture et l’éducateur , à la relation. Le pédagogue, lui a confiance dans le temps.

Peu importe son tempérament ou sa nature: nervosité, impatience, exaspération… Cela n’a pas d’influence: le pédagogue n’est pas patient, il est constant.

Et il s’agit bien d’autre chose; il s’agit de l’influence dans sa vie, dans son travail, d’une expérience parfois ancienne mais qui l’a marquée pour toujours: le pouvoir du temps, le pouvoir sur le temps.

Ainsi l’acteur social qui se plonge dans la Pédagogie sociale, si on cherche bien, a souvent fait l’expérience pour lui-même, de l’importance de ce que l’on tient, de ce que l’on fait durer, de ce que l’on assure, de ce qu’on initie. Il sait le pouvoir de ce qui rompt la monotonie, de ce qu’on fonde et de ce qui perdure.

Les ateliers de rue, comme nous l’avons dit 100 fois, n’ont rien d’extraordinaire en eux mêmes si on les considère sur un temps étal , linéaire. Bien au contraire, ils ne mettent en scène aucune intensité ou dramatisation du temps présent: rien d’exceptionnel, ou d’événementiel. Pas de rendez vous, pas de séparations, de file d’attente, de fossé usagers/acteurs, ou bénévoles/professionnels. De ce point de vue là, ils mettent au contraire en ouvre une immédiateté profonde.

Ils se fondent dans le présent. Mais ce qui est extraordinaire, avec les ateliers de rue, c’est leur capacité à durer 20 ans, leur régularité, leur constance. Ils sont des exceptions face à la précarité, aux ruptures, à la dépression et l’ennui qui ont envahi la ville et creusé le fossé avec les institutions.

L’acteur social qui se lance dans la pédagogie sociale et les ateliers de rue, expérimente très tôt que ce qui fait le fond de son travail et en crée la difficulté, ce n’est ni la rencontre, ni la peur de l’inconnu, ni les difficultés matérielles, mais bien ce qu’il y a de plus difficile: durer et revenir.

C’est de cette durée que ressort toute vie, que se fonde toute confiance nécessaire pour engager du neuf.

C’est l’acquisition de ce pouvoir de durer qui met en échec tant de travailleurs sociaux, de stagiaires, d’enseignants, de professionnels.

C’est cette constance , cette réalité là, cette difficulté de « mener les choses au bout » que nous repérons dans notre travail et dans notre association, comme la principale ressource d’enseignement et de formation pour les professionnels en formation.

Nous remarquons en effet comment la culture professionnelle du Travail social s’éloigne de cette compétence. Nous avons souvent face à nous des stagiaires volontiers d’accord avec tout, qui ne sont jamais choqués par rien. Ils sont « sensibles », « concernés »; Il regorgent d’idées et d’initiatives. « Il faudrait… »; « Il n’y aurait qu’à… » Ce que l’on fait ne les laisse pas sans voix, mais leur donne plein d’idées car ils n’en mesurent pas la mise en œuvre.

Quelques uns s’indignent même volontiers de l’apparente facilité avec laquelle nous acceptons la réalité ». Eux s’indigneraient plutôt jusqu’à la nier. Ils croient encore à la pensée magique.

Mais quant à la possibilité d’agir sur cette réalité-là, de se mettre en marche, d’organiser quelque chose qui tienne, … alors là, tout se dérobe.

La vie privée, la maladie, les circonstances viennent interrompre toute entreprise qui irait dans ce sens. On aimerait , mais on ne peut pas. On est convaincus, mais ce n’est pas à nous, pas pour nous. Pas maintenant , pas moi…

Les mêmes et pour ces raisons sont ainsi toujours dans la nécessité d’aborder leur travail, leur métier comme un éternel « retour à zéro ». Ils plongent dans cette tendance à oublier ce qu’on avait dit et ce qu’on s’engageait à tenir.

Pire, à défaut d’accéder à de nouveaux pouvoirs, de nouvelles compétences, c’est la norme elle même qu’on préfère changer. Au pouvoir de changer la réalité , d’agir sur elle, on préfère celui de savoir reformuler ses intentions. Et c’est ainsi qu’on a des étudiants, des travailleurs sociaux qui se contentent d’expliquer pourquoi ils n’ont pas pu mener à bout une expérience, une aventure; et qui ont même tendance à trouver des qualités professionnelles à l’explication des renoncements.

On appelle cela alors la connaissance des limites de son action, « la part de l’autre », en fait n’importe quoi pour désigner ce qui nous échappe et ce à quoi on renonce. Cela donnera l’impression d’être sage alors qu’on est résigné et soumis.

Ce qui est troublant, cependant c’est moins cette tendance, au fond compréhensible, à justifier le renoncement que sa validation par l’appareil de formation , par la culture professionnelle et par l’ensemble des collègues. Cette tendance est mortifère tant pour la construction de l’identité professionnelle des personnes concernées que pour tout un secteur de travail et de pratiques.

Ce qui crée la vie au contraire, c’est cette appropriation du pouvoir d’initier, de rompre , de durer. De ce pouvoir de tenir et de fonder, que proposent les pratiques en pédagogie en Pédagogie sociale.

C’est pourquoi , contre toute attente, nous tenons encore et encore. Alors que les institutions changent de directions et de politique, nous tenons. Tandis que les plans de rénovation urbaines se succèdent et s’oblitèrent, nous tenons. Alors que les mesures pour l’emploi et l’insertion s’accumulent en couches supplémentaires, nous restons. Tandis que les Centres sociaux, les MJC ferment, nous demeurons. Tandis que les secteurs médicaux , sociaux , psychiatriques se redéploient , modifient sans cesse leurs règles et fonctionnements, nous continuons.

La Pédagogie sociale ne s’évalue guère en tant que pratique à l’aide des outils créés et conçus pour évaluer des projets. De ce point de vue là , elle n’ a pas d’efficacité , au sens de validation d’objectifs.

Pour autant, elle a quelque chose d’inouï : un impact sur la vie et les gens.

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