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De quelle république, l’Education nationale, est-elle la marche ?

Une lettre ouverte adressée par un enseignant…

Lettre ouverte à Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’Education nationale

Monsieur le Ministre,

vous avez eu l’obligeance de nous écrire, en fin d’année scolaire (1), pour nous faire part de vos intentions, de vos visions et des premières orientations que vous envisagez dans le cadre de votre mandat, soyez en remercié.

Une des mesures phares que vous prévoyez de mettre en place, à savoir la réduction des effectifs en classe de CP et de CE1 de l’enseignement prioritaire (REP+), mesure, dont vous faites la « pointe avancée d’une politique ambitieuse, volontariste », appelle un certain nombre de questions. Au regard des grandes valeurs que vous convoquez, et en considérant les apports des découvertes de la neurologie les plus récentes, dont vous êtes, pourtant, un ardent défenseur et un indéniable spécialiste, Il y a lieu, semble-t-il, de s’interroger sur la pertinence et sur la portée d’un tel effort.

Puisqu’il s’agit, d’abord, de l’enseignement prioritaire, combien d’enfants, pour leur entrée au CP, sont, déjà, en retard dans la course – au sens de parcours et non de compétition – parce qu’ils n’ont pas pris le même départ que les autres ? Nous le savons tous. Vous voudriez, donc, les racheter aux 50 ou aux 100 mètres, quand leurs camarades en sont déjà, programmatiquement, aux 400, voire aux 600 ou aux 800 mètres, sur une distance à accomplir – de l’entrée au cycle 1 jusqu’à la fin du cycle 3, soit de l’entrée en Petite Section à la fin de la Sixième – qu’on peut comparer à un 1500 mètres ?

Ce serait un progrès, s’il s’agit de comparer cette mesure aux options de vos prédécesseurs, mais peut-on le rattacher à l’idéal, cette valeur suprême que vous attachez, « d’abord et avant tout », à notre ministère… ? Ne pensez-vous pas qu’il est à craindre que ce choix soit moins idéal qu’il n’y paraît, et plus charitable que républicain ?

Créer l’égalité à l’entrainement et au départ, en filant la métaphore, ne serait-il pas l’enjeu véritable ? En reconnaissant comme acquis, grâce aux recherches de la neurologie, que les neurones de la lecture, ceux qui se spécialisent dans la reconnaissance graphique, s’activent vers dix-huit mois, et peut-être même avant, la « racine des défis que notre système éducatif doit relever » ne serait-elle, donc, pas, avant tout, l’école maternelle, plutôt que l’école primaire, dont vous voulez faire, avec ce gouvernement, votre « priorité » ? Recherches, dont vous avez largement favorisé la diffusion, pour les professionnels de l’enseignement, les parents et le grand public, en permettant l’édition d’une remarquable vulgarisation (2) des découvertes fondamentales de Stanislas Dehaene et de ses équipes sur l’apprentissage de la lecture.

Créer, d’abord, cette égalité, dès le plus jeune âge, véritable fondement de cette « équité » que « la République doit à tous ses enfants », comme vous le formulez si justement, ne serait-ce pas la grande priorité ? A l’école maternelle, donc, dès le cycle 1 – le bien nommé cycle des apprentissages premiers – et dès deux ans…

Il serait, alors, temps, ensuite, de mettre en discussion l’égalitarisme au collège et à l’école primaire, d’ouvrir cette réflexion et ce débat nécessaires, il est vrai, sur les parts commune et individuelle, mutualisée et personnalisée, dans un parcours d’étude et de formation.

Et puisque nous en sommes au terme d’équité, que vous employez à dessein, trouvez-vous bien républicain la coexistence d’une école privée, abusivement appelée école libre, et d’une école publique, dont chacun sait que leur répartition, sociale, économique, géographique, immobilière, est, globalement, calquée sur la fracture sociale, dont on peut imaginer qu’elle vous révolte… ? Le génie républicain n’invite-t-il pas à penser une école publique pour toutes et tous, véritable gage de la refondation d’une égalité moins vaine et d’une fraternité plus effective, en un mot, d’une république telle que les Lumières l’ont originellement et radicalement pensée ?

Pour faire bon compte, enfin, en terme de priorité et d’urgence sur cette question d’équité, afin que le terme ne soit pas une esquive de celui d’égalité, il faudrait, en outre, parler de la précarité des emplois et des conditions de vie de nombre de parents de nos élèves, comme de celle qui frappe les statuts et les conditions de travail d’une frange non négligeable des personnels administratifs, enseignants, techniques et vie scolaire de l’Education nationale, réfléchir à ces composantes fondamentales d’une laïcité bien pensée, qui cesserait de se contenter de n’être que civique et morale, pour être, aussi, sociale et politique, afin d’être, enfin, celle d’une république pleine de génie(s).

Vous le permettrez, sûrement, très bientôt, à l’ensemble de la communauté éducative car, autant vous dire qu’au niveau du terrain, à la base, autour de ces enjeux, des idées, des solutions, il en existe plein à mettre en discussion et en œuvre, tout comme, vous l’imaginez, sur les rythmes, quotidiens, hebdomadaires, annuels, les devoirs et leur effectuation, la didactique, la pédagogie, les cycles, la coopération, le handicap, la polytechnie…

Il ne fait aucun doute que vos prochaines interventions ne manqueront pas d’aborder ces questions, que nous savons, à peu près toutes et tous, fondamentales pour le présent et pour l’avenir, conscients que c’est une chose de battre l’extrémisme pendant une campagne électorale et dans les urnes, et une autre d’inventer une république juste et digne, qui en combatte les racines et le fasse reculer, pour disparaître. Ces quarante dernières années nous l’ont, suffisamment, montré.

Un enseignant de l’Education nationale, service public

(1) Lettre de Jean-Michel Blanquer aux professeurs et aux personnels de l’Education nationale, 6 juillet 2017, http://www.education.gouv.fr/cid118598/lettre-de-jean-michel-blanquer-aux-professeurs-et-aux-personnels-de-l-education-nationale.html

(2) Apprendre à lire, des sciences cognitives à la salle de classe, sous la direction de Stanislas Dehaene, Odile Jacob, 2011, 155 pages, ISBN : 978-27381126801.

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