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Dans le débat sur l’école, les progressistes doivent surtout lutter contre tous les formes de dogmatisme !

A propos du débat sur l’école, dans une récente contribution diffusée dans la revue d’ATTAC, Alain Beitone et Raphael Pradeau entendent définir l’agenda « du camp des progressistes » 1. Il estime notamment que ces derniers doivent se battre contre deux fronts, à savoir contre les conservateurs, ceux que l’on désigne par le terme de réacs-républicains 2, mais aussi contre les modernisateurs-réformistes, favorables à ce qu’il appelle la doxa pédagogique dominante. Sous prétexte de lutter contre les inégalités scolaires, ces derniers cherchent à remettre en cause les disciplines scolaires au profit des projets interdisciplinaires, entendent substituer l’évaluation des compétences à celle des connaissances et privilégient l’échelon local au nom de l’autonomie des établissements. Or, sous prétexte d’atténuer l’élitisme républicain, les réformistes feraient surtout le jeu des libéraux qui cherchent notamment à adapter l’école aux mutations économiques des sociétés contemporaines et préparent la privatisation rampante du système éducatif. Alain Beitone se revendique, quant à lui, d’un nouveau paradigme éducatif « progressiste » et ambitieux qui vise la réussite de tous les élèves grâce au prolongement de la scolarité obligatoire et à la mise en place d’une pédagogie explicite, conformément aux thèses défendues par le GDRS.

Nous tenons à souligner dans un premier temps que souscrivons en partie à certaines analyses d’Alain Beitone

AB se revendique d’un enseignement émancipateur qui favorise l’autonomie intellectuelle des élèves et qui leur permette de prendre leurs distances avec le sens commun et les discours médiatiques. Nous estimons nous aussi que l’enseignement doit permettre la diffusion de savoirs émancipateurs, qui permettent de développer l’esprit critique des élèves et leur donnent les moyens (mais aussi le désir) de participer au débat public 3.
AB dénonce la congruence entre la critique pédagogique de l’école et l’idéologie néo-libérale, comme nous l’avons fait, depuis une dizaine d’années, à travers des tribunes consacrées à ce que nous avons appelé la médefisation des esprits 4 et la soft éducation 5.
Enfin AB se revendique d’un enseignement qui respecte une certaine probité intellectuelle. Il refuse donc, comme nous, un enseignement qui serait sous l’influence d’une quelconque idéologie partisane 6. Il s’oppose donc aux attaques des milieux patronaux et libéraux contre l’enseignement des SES, ce qui ne l’empêche pas de reprendre certains de leurs arguments comme nous le verrons plus loin.
De même nous sommes, comme AB, attaché à un enseignement qui permette de lutter contre les inégalités scolaires.
Nous sommes, nous aussi, favorable à un enseignement indépendant, pluraliste et critique, qui vise avant tout la formation intellectuelle et la réussite de tous les élèves.

Mais Alain Beitone est aussi un ex-enseignant de SES qui a participé à l’élaboration des nouveaux programmes de Sciences Économiques et Sociales (SES), mis en place dans le cadre de la réforme du lycée en 2010 par Luc Chatel, alors ministre de l’éducation du gouvernement de Nicolas Sarkozy. Cette réforme, fortement contestée à l’époque, a remis en cause les options épistémologiques, didactiques et axiologiques de cette discipline, telles qu’elles ont été définies par le préambule des programmes de 1967 date de sa création dans l’enseignement secondaire (ce que l’on appelle le « projet fondateur des SES »).

Or les options défendues par Alain Beitone dans le débat sur l’école sont une extrapolation de ses prises de position à propos de l’enseignement des SES. C’est pour cette raison que nous souhaitons revenir sur les enjeux de cette réforme, afin d’analyser les liens entre les enjeux disciplinaires propres aux SES et les positions très critiques envers les pédagogies « actives » ou « nouvelles » défendues par Mr Beitone, car se réclamer d’une approche progressiste des questions éducatives nécessite, selon nous, d’éviter de les aborder de façon clivante ou dogmatique.

La question épistémologique en SES

Alain Beitone critique la tendance actuelle à la remise en cause des disciplines scolaires par la « doxa pédagogique dominante » au profit du développement de l’inter-disciplinarité dans l’enseignement secondaire, comme l’illustre la récente création des EPI au collège 7. Il dénonce « une mouvance intellectuelle où l’on retrouve des syndicats, des mouvements pédagogiques, des responsables du système éducatif, des universitaires qui sont généralement attachés à la démocratisation scolaire. Cette mouvance considère que la structuration en disciplines scolaires des savoirs enseignés est un obstacle à la réussite des élèves (notamment les plus faibles) et qu’elle débouche sur une approche élitiste car trop abstraite, trop conceptuelle. Ils proposent donc des approches plus « concrètes », davantage fondées sur la motivation des élèves ce qui supposerait le dépassement des disciplines, leur « intégration », pour le moins leur relativisation et le développement d’approches interdisciplinaires considérées comme plus favorables à la réussite des élèves (…) En clair l’enseignement « disciplinaire », « abstrait », « conceptuel », « transmissif », « vertical », serait adapté aux enfants des milieux favorisés, mais pas aux autres. La critique des disciplines se fait donc au nom de la démocratisation scolaire 8. Or selon lui « Remettre en cause l’organisation disciplinaire des savoirs revient donc, sur le plan de la recherche, à remettre en cause l’autonomie du champ scientifique et le principe de l’évaluation par les pairs et, du point de vue de l’enseignement scolaire, à remettre en cause la fonction de transmission des savoirs de l’école et la légitimité des enseignants 9. Se référant au travaux du GRDS, il estime que l’existence des disciplines savantes et scolaires sont le garant d’une formation intellectuelle exigeante et rigoureuse car l’entrée dans le savoir passe forcément par sa mise en forme au sein de champs disciplinaires étanches et clairement identifiés et qui se distinguent notamment par leurs méthodes d’investigation.

Selon lui les options épistémologiques du projet fondateur en SES, sont l’archétype de cette tendance au développement de l’interdisciplinarité. Le projet fondateur revendique en effet une approche intégrée des sciences sociales, ses partisans sont donc favorables au croisement de l’ensemble des sciences sociales (économie, sociologie et sciences politiques, mais aussi la démographie, l’anthropologie, l’ethnologie ou la psychologie sociale) car ils estiment que ce croisement permet d’enrichir l’analyse des faits économiques et sociaux. Le croisement disciplinaire sur certains thèmes est formateur pour les élèves puisque les sciences sociales (notamment l’économie et la sociologie), si elles différent par leurs méthodes d’investigation, partagent souvent les mêmes objets et les mêmes terrains d’étude. Or la réforme des programmes de SES de 2010 a renforcé le cloisonnement disciplinaire en SES, en séparant l’économie et la sociologie, même si une partie des programmes intitulée « regards croisés », permet toujours d’associer sur certains thèmes les apports de l’économie et ceux de la sociologie.

Mais si nous partageons une grande partie des réserves et des critiques émises par le GRDS à l’égard de l’inter-disciplinarité notamment lorsqu’elle porte sur des disciplines éloignées dont l’appariement peut se révéler en effet très artificiel et peu intéressant au niveau didactique, nous estimons que la question de l’inter-disciplinarité ne se pose pas en SES dans les même termes que pour les autres disciplines, car le cadre épistémologique pluridisciplinaire revendiqué par le projet fondateur n’est pas propre au SES, en tant que discipline scolaire. Il s’inscrit dans une tradition intellectuelle en sciences sociales riche et féconde et dont se revendiquent de nombreuses écoles (comme l’école de la régulation, l’école des conventions ou le MAUSS) et de nombreux chercheurs (notamment regroupé au sein de l’AFEP). De nombreux économistes (car cette question concerne surtout le statut épistémologique des sciences économiques) comme Marx, Schumpeter, Veblen, Polanyi ou A. Hisrchamn s’inscrivent dans cette tradition et leurs travaux sont malgré tout considérés comme des œuvres majeures de l’histoire de la pensée économique. L’intérêt épistémologique de l’interdisciplinarité a donc fait ses preuves en science économique. Les SES ne sont donc pas isolées lorsqu’elle revendique le droit de faire appel au croisement disciplinaire lorsque le thème étudié s’y prête.

La question de l’interdisciplinarité en SES est surtout critiquée par des économistes ultra-libéraux ou du courant dominant en science économique qui considèrent comme hérétique de croiser la sociologie et l’économie. Ainsi Pascal Salin estime que « C’est d’ailleurs cette vision anti-marché qui domine l’enseignement dispensé aux élèves de lycée via l’enseignement de Sciences économiques et sociales. Ce programme, en se parant d’un masque pluridisciplinaire, n’offre souvent qu’une vision sociologisante de l’économie en négligeant totalement les bienfaits du marché, aussi bien que les analyses mettant l’individu au cœur de la compréhension du processus de marché et du développement économique, mais aussi  social » 10. Pourtant Jean Tirole lui même, qui s’oppose pourtant à la création d’une chaire universitaire « d’Économie et Société » réclamée par l’AFEP, estime dans sa lettre à la ministre de l’éducation que « La science économique moderne est ouverte sur les grandes questions de société, comme l’illustre parfaitement les travaux récents de Thomas Piketty et beaucoup d’autres grands économistes français. De nombreux chercheurs parmi les meilleurs économistes francais et étrangers travaillent sur les liens entre économie, psychologie, sociologie, histoire, sciences politiques, droits, et géographie. La science économique est de plus en plus interdisciplinaire 11. Voilà pourquoi, contrairement à ce qu’affirme Alain Beitone, les SES ne sont pas l’archétype du projet inter-disciplinaire dans l’enseignement secondaire, et que l’ on peut, « à la fois » émettre en effet des réserves sur les bienfaits de l’interdisciplinarité au collège et être pourtant favorable au projet fondateur des SES, tout simplement parce que les SES sont … une véritable discipline !

La question didactique

Marrion Navaro et Margaux Osenda estiment dans une optique par ailleurs très proche de celle d’Alain Beitone, que les options didactiques du projet fondateur des SES s’inscrivent, elles aussi, dans la doxa pédagogique dominante car le préambule des programmes de 1967 encourageait en effet le recours aux méthodes actives. « Celles-ci renvoient à un ensemble de procédés dont l’objectif est de mettre en activité les élèves en favorisant leur autonomie. Dans cette optique, favoriser la participation des élèves pour les « motiver » devient un objectif central (…)Si les méthodes actives se réclament d’un idéal de démocratisation de l’accès aux savoirs, des travaux ont montré les limites de ces pratiques 12». Dans le procès à charge qu’ils mènent contre le projet fondateur, les partisans des nouveaux programmes mobilisent un article de Jérôme Deauviau, qui relate les difficultés que rencontrent certains enseignants de SES débutants lorsqu’ils essaient d’appliquer, conformément aux indications officielles de l’époque, les méthodes actives pendant leurs cours 13. Dans ces exemples, le débat en classe et le cours dialogué se traduisent surtout par une participation désordonnée et stérile des élèves peu propice aux apprentissages (ce qu’il qualifie « d’activisme langagier »). « En effet, Jérôme Deauvieau explique que « Ces méthodes d’enseignement conduisent à un affaiblissement des pratiques “explicites” de l’enseignement au profit d’une pédagogie plus “invisible”. Un enseignement peu “explicite” dans lequel les objectifs ne sont pas clairement définis laisse à la charge de l’élève “d’entendre ce qui n’est pas suggéré” ». Ces pédagogies invisibles induites par les méthodes actives sont également sources de malentendus dans les apprentissages. Lorsque les élèves n’identifient pas les enjeux de la séquence, il peut y avoir un décalage entre le dispositif que l’enseignant croit avoir mis en place par l’intermédiaire de son discours pédagogique et ce que l’élève interprète 14». Mais Margaux Osenda et Marion Navarro oublient de préciser que Jérôme Deauviau montre aussi que dans certaines classes, notamment lorsque l’enseignant prend soin de canaliser la participation de ses élèves, ces méthodes peuvent se montrer très efficaces. Il montre alors que « Cette manière de traduire l’injonction au cours dialogué diffère nettement de la première. La participation des élèves n’est pas un but en soi, mais a pour fonction principale l’apprentissage. Dans ce cas de figure, les enseignants n’hésitent pas à refuser la participation des élèves lorsqu’elle menace la viabilité cognitive de l’interaction. En règle générale, cette pratique du cours dialogué tend à entraîner des réponses plus longues et plus argumentées de la part des élèves. À l’inverse de l’activisme langagier, l’objectif du cours dialogué n’est pas uniquement la participation des élèves. L’échange en classe vise également une mise en activité intellectuelle des élèves 15». Comme le montre cet extrait les méthodes actives ne sont pas, en elles-mêmes, forcément productrices de pédagogie invisible ; tout dépend de la façon dont l’enseignant organise, cadre et contrôle sa stratégie didactique. De même, un cours magistral peut s’avérer passionnant et formateur, lorsque l’enseignant sait intéresser son auditoire et expliciter ses analyses mais à l’inverse il peut en effet être soporifique et source de démotivations si l’enseignant débite son cours sur un ton monocorde et suppose « implicitement » que son auditoire maîtrise le vocabulaire et les concepts qu’il utilise.

Voilà pourquoi, s’il est évidement primordial, lorsqu’on cherche à lutter contre les inégalités scolaires, de déterminer les méthodes pédagogiques les plus efficaces, il faut cesser dans le débat pédagogique d’opposer de façon stérile et manichéenne les positions des uns et des autres. Au final, on peut donc adopter une position progressiste dans le domaine éducatif sans être pour autant sommer de « choisir » son camp dans le débat séculaire entre opposants et partisans des méthodes actives. L’efficacité pédagogique réside sans doute davantage dans la façon dont l’enseignant définit ses objectifs pédagogiques, cadre sa progression didactique et contrôle les acquis cognitifs de ses élèves plutôt que dans le choix d’une méthode particulière. Rappelons de plus que sur le terrain, rien ne s’oppose à ce que les professeurs pratiquent une sorte de pluralisme didactique et alternent dans leurs cours des temps d’exposition magistrale et des moments de mise en activité des élèves. En tout cas l’exemple des SES montre qu’une même pratique pédagogique peut générer des effets très différents.

La question axiologique

Dans leur critique du projet fondateur, les partisans des nouveaux programmes de SES se revendiquent explicitement de l’approche weberienne de la neutralité axiologique. Renvoyant dos à dos les partisans du marché comme leurs supposés adversaires, ils reprochent à « l’esprit » du projet fondateur d’être politiquement orienté et donc de ne pas respecter la norme de la neutralité axiologique. Ainsi selon AB « De nombreux professeurs de SES (au début de l’histoire de la discipline) ont choisi d’enseigner cette discipline parce qu’ils ne s’imaginaient pas en « jeunes cadres dynamiques » et encore moins en « petits chefs ». L’ enseignement des SES offrait de plus un terrain pour la critique de l’orthodoxie néo-classique et l’invocation des Annales ou la volonté de ne pas séparer l’économie, la sociologie et l’histoire servait de base à un enseignement dans lequel les références à Marx et à la pensée critique en général étaient nombreuses 16. De même pour Emmanuel Buisson-Fenet « Un autre trait caractéristique de « l’esprit des SES » est son penchant pour l’hétérodoxie, ou plus précisement pour une lecture des oppositions théoriques au sein de l’économie qui attribue à l’opposition entre « l’ économie dominante » et l’ « hétérodoxie » une place centrale. Historiquement, la conception intégrative des savoirs issue de l’héritage braudelien, hostile à une économie abstraite et formalisée, puis l’influence des « pensées critiques » en sciences sociales dans la deuxième moitié du XXe siècle ont poussé un grand nombre de professeurs de SES à adhérer à la conception des sciences sociales de divers courants « hétérodoxes » que ce soit le mouvement anti-utilitariste, l’unidisciplinarité défendue par A. Orléan, ou encore la théorie de la régulation » 17. Enfin dans une polémique récente Margaux Osenda et Marrion Navarro m’accusent de véhiculer une conception politique ou politisée des SES 18. Ces accusations font clairement écho aux attaques récurrentes des représentants du patronat ou des éditorialistes ultra-libéraux comme Franz-Olivier Giesbert qui, dans un éditorial du Point, estime « que si les Français sont si rétifs aux évidences économiques, comme les méfaits du protectionnisme » c’est à cause « du lavage de cerveau qui commence dès l’enfance avec les cours d’anticapitalisme de l’école publique 19 ».

Les adversaires du projet fondateur sous-entendent donc eux aussi que les professeurs de SES, par ailleurs éventuellement engagés ou militants, chercheraient délibérément à endoctriner leurs élèves en jouant les « prophètes en chaire » 20. Or rien ne prouve que les convictions de ces enseignants transparaissent dans leurs cours. Les enseignants peuvent en effet être militants et respecter malgré tout une certaine déontologie professionnelle et intellectuelle qui consiste à présenter les avantages et les limites d’une théorie ou d’un concept, sans pour autant se référer à une idéologie particulière.

Les nouveaux programmes de SES et la légitimation du paradigme dominant

Par ailleurs, comme l’ont montré les nombreuses polémiques qui ont accompagné leur adoption, les nouveaux programmes de SES sont loin d’être aussi axiologiquement neutres que ne le prétendent leurs partisans 21. En effet, la réforme de 2010 a renforcé le poids des concepts microéconomiques au détriment de l’approche macroéconomique des mécanismes économiques. La conception de l’économie véhiculée par les nouveaux programmes est désormais celle du courant meanstream, dont la domination s’explique autant par son poids institutionnel que par son efficacité heuristique. Or que ce courant soit dominant ne signifie pas qu’il soit l’unique façon de pratiquer et de concevoir la science économique comme l’ont montré les multiples réactions au pamphlet de Pierre Cahuc et d’André Zylberger 22.

Pourtant les partisans des nouveaux programmes se défendent de favoriser, par leurs choix épistémologiques, une idéologie particulière. Les « outils des économistes » (l’élasticité, le calcul à la marge, la loi de l’offre et de la demande, le surplus du producteur et du consommateur) seraient des outils neutres appartenant à la boîte à outil de tous les économistes quelques soient par ailleurs leur sensibilité ou leur inscription dans un paradigme particulier. Enseigner les outils ou les concepts de la micro-économie ou de la théorie mainstream ne serait en rien un choix idéologique, visant à légitimer un paradigme mais tout simplement initier les élèves à « La » démarche de l’économiste. En effet selon Alain Beitone, « Former les élèves au raisonnement à la marge n’implique pas un choix théorique particulier. L’idée par exemple que, dans certains contextes, une variation marginale faible d’une variable explicative conduit à une variation importante de la variable expliquée ne me semble pas spécialement « bourgeois », « libéral » ou « capitaliste ». Il serait alors possible d’enseigner certains concepts propres aux théories sans en partager les principes idéologiques. « Il faut pourtant souligner que si le « rapport aux valeurs » des pères fondateurs des différentes théories n’est pas sans importance, le propre d’une théorie scientifique est qu’elle conserve sa pertinence indépendamment de son terreau idéologique. C’est ainsi que l’on peut trouver féconde la théorie monétaire des crises de F. Hayek sans partager les options de cet auteur sur le plan de la philosophie politique. On peut ne pas partager les visions du monde de K. Marx et de D. Ricardo et considérer que le problème théorique de la baisse tendancielle du taux de profit et d’une éventuelle marche vers un état stationnaire (ou vers un blocage de l’accumulation capitaliste) est un problème qui mérite étude et réflexion. On peut ne pas se sentir proche des conceptions chrétienne et philanthropique de nombre des fondateurs de l’Ecole de Chicago, mais considérer que leur analyse des interactions sociales, leur contribution à l’étude de la délinquance etc., sont fondamentales pour la sociologie 23 ».

Définir dans chaque paradigme particulier des éléments de savoirs (outils, concepts, mécanismes) « neutres » et « réellement » scientifiques, permettrait de définir les contenus enseignés aux élèves afin que ceux-ci puissent acquérir les savoirs de référence propres à chaque discipline et être initiés à la méthode de l’économiste ou du sociologue. L’opération consisterait alors à séparer le « bon grain » scientifique de « l ‘ivraie » de l’idéologie. Les programme d’économie devrait permettre d’ enseigner la théorie marxiste sur le blocage de l’accumulation sans parler des « solutions » marxistes pour résoudre les crises du capitalisme, de parler de la rente différentielle et de la loi des rendements décroissants chez Ricardo sans rappeler que cette « loi » sert avant tout à prouver l’intérêt de l’importation de denrées alimentaires étrangères afin de faire baisser les salaires ouvriers dans l’industrie comme le réclamaient les industriels manchestériens. Quant à la sociologie, il faudrait là aussi parler de la solidarité organique, sans évoquer le rôle polémique de ce concept que Durkheim oppose aux critiques réactionnaires de l’individualisme moderne.

Reste à définir qui doit être habilité à distinguer dans un paradigme ou chez un auteur particulier ce qui est du domaine de la science et ce qui est du domaine de l’idéologie et sur quels critères cette distinction doit avoir lieu. Si, chez un auteur, certains concepts peuvent avoir « vieillis », l’opération qui consiste dans sa pensée à définir ce qui relève de la science et ce qui relève de l’idéologie risque d’être pour le coup… très idéologique. Prétendre proposer des programmes axiologiquement neutres semblent de toute façon une mission impossible comme le montrent les polémiques récurrentes sur l’enseignement des SES, de l’Histoire ou sur la théorie du genre en SVT.

Il nous semble au final que les partisans de la neutralité axiologique des savoirs confondent la question de la « vérité » et celles de la « neutralité » des savoirs. Pour le dire autrement, un savoir peut être vrai, c’est à dire validé par des études empiriques ou par une communauté scientifique, sans pour autant être « neutre ». S’il convient dans une perspective épistémologique de s’intéresser au mode de production des savoirs, le respect de la probité intellectuelle nécessite de s’intéresser aussi aux conséquences de leur diffusion. La probité intellectuelle doit amener les élèves à construire un rapport critique au savoir qui leur permette de reconnaître le statut épistémologique d’un concept, de le situer dans le paradigme dont il est issu et enfin d’en comprendre à la fois l’intérêt et les limites.

La question de la formation à la citoyenneté

Mais le véritable enjeu de la neutralité axiologique des savoirs enseignés porte sur les liens entre diffusion des savoirs et formation à la citoyenneté. Or selon Alain Beitone la formation du citoyen consiste à transmettre aux élèves des savoirs et non à leur inculquer des valeurs ou une idéologie particulière. Il critique alors la multiplication des projets éducatifs qui visent à éduquer les élèves (au développement durable, à la sexualité, à la citoyenneté, aux nouvelles technologies…) mais dont la justification s’accompagne souvent de la remise en cause des savoirs savants. Or selon lui « Le rôle de l’école c’est de former les élèves à faire usage de leur propre raison et pour cela de leur fournir les connaissances scientifiques, philosophiques, littéraires, à partir desquelles ils pourront forger leur point de vue éthique et politique et participer à la délibération publique pour élaborer collectivement les lois sous lesquelles les citoyens acceptent de vivre. L’école n’a pas à promouvoir telle ou telle conception politique ou éthique, elle a à fournir aux élèves les armes intellectuelles de leur autonomie. C’est en ce sens que l’école est émancipatrice : en formant sans conformer 24 ». Les sociétés modernes étant caractérisées par le pluralisme éthique, les enseignants doivent respecter ce pluralisme et surtout ne pas chercher à privilégier une conception du Bien au détriment d’une autre. Pour former des citoyens capables de participer au débat public de façon « éclairée », il suffit de leur transmettre des savoirs solides, robustes et validés par la communauté scientifique, de les former au rationalisme scientifique et de leur démontrer que les sciences sociales sont des sciences comme les autres. Le citoyen « éclairé », « illuminé » 25 par les apports de la Science et de la Raison ne peut alors qu’adhérer aux valeurs républicaines et démocratiques et adopter les pratiques citoyennes qui en découlent. Le citoyen n’a à la limite pas besoin d’être « formé », son instruction suffit à sa formation. Dans cette conception de l’enseignement, comme chez Platon, le Vrai engendre le Bien et, comme chez Condorcet, la diffusion de l’instruction s’accompagne forcément du gout de la liberté et du progrès moral des sociétés humaines.

Cette thèse a pour elle, le mérite de la simplicité, elle est pourtant démentie par toute l’histoire de l’humanité depuis deux siècles car la Science et la Raison se sont non seulement souvent révélées 26 incapables d’endiguer la montée du racisme et de la haine, mais elles ont été aussi facilement instrumentalisées par les régimes totalitaires. Si, en général, la tolérance et l’ouverture d’esprit augmentent avec le niveau d’instruction des personnes, cette relation est fragile et facilement réfutable. Des personnes très instruites ont été capables des pires atrocités, et à l’inverse, dans des périodes troublées, des personnes au niveau d’instruction très faible se sont comportées de façon remarquable. Plus près de nous, si les djihadistes de l’EI ont souvent connu des parcours scolaires difficiles, ce ne sont pas uniquement les catégories les moins diplômés qui votent pour des candidats extrémistes ou populistes. Comme le rappelle Philippe Mérieux « la culture ne protège pas de la barbarie ».

Or, dans un récent numéro des Cahiers pédagogiques, Margaux Osenda et Marrion Navarro nous reproche d’avoir écrit que le rôle de l’école était de faire « aimer la démocratie » ce qui reviendrait, selon elles, à inculquer aux élèves une certaine idée du Bien 27. Ce reproche nous laisse perplexe. Cela signifie-t-il que lorsque les valeurs démocratiques sont en déclin, cela ne concerne en rien les enseignants ? 28 Est-ce réellement inculquer une idée du Bien que de chercher à défendre ces valeurs lorsque celles-ci sont remises en cause par l’intolérance et le racisme ? Cela signifie-t-il que si le pire devait arriver en France, les enseignants devraient agir en fonctionnaire de l’État « éthique et responsable » mais surtout ne pas chercher à faire « aimer la démocratie » afin de ne pas franchir le Rubicon des Valeurs, au nom du sacro-saint respect de la neutralité axiologique ?

Dans un société démocratique la diffusion des savoirs est indispensable car elle permet à la fois de lutter contre les démagogues, qui cherchent à gouverner en s’affranchissant des savoirs, et contre les technocrates, qui, à l’inverse, veulent gouverner, en s’en s’attribuant le monopole. Mais le projet démocratique, comme n’importe quel projet de société, repose aussi sur des valeurs et des pratiques qui permettent de leur donner un sens. Tout projet éducatif possède à la fois une dimension épistémique et une dimension éthique et c’est dans l’articulation de ces deux dimensions que se construit un véritable projet éducatif émancipateur. Reste à s’entendre sur ces valeurs et à les articuler aux savoirs que l’école a en effet le devoir de transmettre.

Ces valeurs n’ont rien de très originales ; elles ne sont ni républicaines, ni socialistes, ni libérales mais communes à toutes les doctrines compréhensibles « raisonnables » dans le sens que John Rawls donne à ce terme. Ce sont les valeurs démocratiques minimales comme la tolérance, la formation à l’esprit critique ou l’amour de l’égalité. De même qu’il est légitime de sensibiliser les élèves aux risques sanitaires et environnementaux qui menacent la survie de la planète, les sciences humaines ont aussi le devoir de les sensibiliser aux risques qui menacent les sociétés démocratiques. Ces risques, ce sont la dépossession et l’hétéronomie. Lorsque les citoyens ne participent plus au débat et aux affaires publiques, ils laissent d’autres personnes le faire à leur place. Or initier les élèves à « La » méthode de l’économiste ou du sociologue (comme le proposent les programmes de SES) risque de se révéler très insuffisant si l’on cherche à favoriser la socialisation politique des futurs citoyens.

Si nous défendons les méthodes actives en SES ce n’est pas uniquement pour leurs vertus pédagogiques mais aussi parce qu’elles nous semblent porteuses d’une éthique de la participation et de l’engagement propice au développement d’un habitus démocratique. S’informer, vérifier ses sources, apprendre à localiser l’information, travailler en groupe, débattre et apprendre à s’écouter et à respecter le point de vue d’autrui sont aussi des compétences politiques et citoyennes qui n’ont rien d’inné et qui peuvent très bien s’apprendre à l’école. Toutes ces pratiques pédagogiques font partie des méthodes actives, telles qu’elle sont pratiquées en SES29, et quand on sait que les inégalités de participation politiques sont aussi liées au capital culturel des citoyens, les méthodes actives peuvent être aussi un facteur d’égalité politique. Pour paraphraser Benjamin Constant il s’agit donc de donner au futur citoyen à la fois les moyens et le désir de participer au débat démocratique30.

Les progressistes et le débat sur l’école

Voilà pourquoi, pour notre part, nous estimons que « les progressistes », à propos des questions pédagogiques, doivent cesser de considérer qu’il n’existe qu’un seul mode de production du savoir et une seule « bonne » manière d’enseigner, que dans le domaine didactique l’échelon supérieur doit dicter ce que doit enseigner l’échelon inférieur, et que s’il importe de tenir compte des études produites par les sciences ou la sociologie de l’éducation, il faut éviter d’en généraliser les résultats partiels de façon hâtive et abusive. Il faut aussi cesser d’opposer systématiquement approche disciplinaire et inter-disciplinarité, méthodes actives et pédagogies magistrales, instruction et éducation mais considérer que les solutions alternatives aux questions pédagogiques peuvent être complémentaires.

Être progressiste, c’est donc reconnaître que les questions pédagogiques sont complexes et que pour affronter cette complexité, il faut faire œuvre de pluralisme et de pragmatisme et éviter le dogmatisme. Enfin, si les progressistes doivent rester intransigeants sur la question des savoirs, ils doivent aussi s’emparer de la question des valeurs au risque de voir d’autres projets scolaires concurrents le faire à leur place et ne jamais oublier que le projet laïque est aussi un projet éthique.

Jean-Yves Mas

1. https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-11-automne-2016/debats/article/le-debat-sur-l-ecole et https://nantessecteurouest.wordpress.com/2016/10/20/depeche-aef-sur-lintervention-dalain-beitone-aux-etats-generaux-du-college-du-snes-fsu-aix-marseille/
2. Pour une analyse de idées réactionnaires sur l’éducation actuelle, nous renvoyons au livre de Grégory Chambat, (L’école des réacs-républicains, Ed Libertalia). Nous n’aborderons pas ici cette mouvance , même si c’est avant tout contre elle que les progressistes devront s’unir dans 6 mois !
3. https://blogs.mediapart.fr/jymas/blog/161214/lesprit-des-ses-et-lethique-democratique-jalons-pour-une-refonte
4. https://blogs.mediapart.fr/jymas/blog/280115/la-medefisation-des-esprits-3-propos-du-rapport-du-cnne-et-de-lide
5. https://blogs.mediapart.fr/jymas/blog/010716/lecole-du-xxie-siecle-au-service-du-capital et https://blogs.mediapart.fr/jymas/blog/250916/de-la-soft-education-leconomie-collaborative
6. https://blogs.mediapart.fr/jymas/blog/130616/lenseignement-des-ses-au-lycee-pour-un-nouveau-civisme
7. http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article222
8. http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article209
9. http://skhole.fr/educations-a-ya-basta-par-alain-beitone
10. http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/science-economique-anti-negationnisme-ou-pluralisme-606511.html
11. http://assoeconomiepolitique.org/wp-content/uploads/Lettre-de-jean-Tirole.pdf
12. http://www.cahiers-pedagogiques.com/De-la-politique-et-des-SES
13. https://epistmoses.wordpress.com/2015/10/17/observer-et-comprendre-les-pratiques-enseignantes/
14. idem
15. https://epistmoses.wordpress.com/2015/10/17/observer-et-comprendre-les-pratiques-enseignantes/
16. Alain Beitone, « Le débat sur sur l’inductivisme en SES, enjeux manifestes, enjeux latents », revue IDEES (ex DEES), n° 107 (1997).
17. http://eloge-des-ses.com/wp-content/uploads/2016/05/Buisson-Fenet-Tracés-programmes-de-SES-DEF.pdf
18. http://www.cahiers-pedagogiques.com/De-la-politique-et-des-SES
19. Le point du 22/09/ 2016
20. Selon l’expression de Max Weber dans « le Savant et le politique ».
21. http://alternatives-economiques.fr/blogs/parienty/2010/06/02/pour-abattre-les-ses-demandez-le-programme/ et https://wordpress.com/posts/epistmoses.wordpress.com?verified=1
22. http://www.alterecoplus.fr/quand-messieurs-cahuc-et-zylberberg-decouvrent-la-science/00012139
23. http://ses.ens-lyon.fr/ses/fichiers/Articles/en06-1.pdf
24. http://skhole.fr/educations-a-ya-basta-par-alain-beitone
25. Récemment Najat Valaud Belkacem, ex bachelière ES, a déclaré avoir été « illuminée » par certains cours de SES, lorsqu’elle était au lycée.
26. Rappelons que la Science et la Raison ont pu aussi très bien accompagner la barbarie.
27. http://www.cahiers-pedagogiques.com/De-la-politique-et-des-SES
28. http://www.lemonde.fr/politique/article/2016/11/07/pour-une-majorite-de-francais-la-democratie-fonctionne-mal_5026426_823448.html
29. Les SES n’ont évidemment le monopole ni des méthodes actives ni de la formation à la citoyenneté. L’actuel enseignement d’EMC repose par exemple sur les méthodes actives.
30. A la fin de son célèbre « Discours sur la liberté chez les anciens et chez les modernes ».

4 Comments

  1. Beitone Alain

    Dans le débat sur l’école, les progressistes doivent surtout lutter contre tous les formes de dogmatisme !
    L’article paru dans la revue du conseil scientifique d’ATTAC a deux co-auteurs : Alain Beitone et Raphaël Pradeau (par ordre alphabétique selon l’usage).
    Attribuer le contenu de l’article à l’un des deux co-auteurs seulement constitue un singulier déni du travail collectif (poutant préconisé sur ce site).
    Margaux Osenda et Marion Navarro sont professeures de SES, elles ont à leur actif diverses publications et une pratique professionnelle. Les définir par le fait qu’elles sont “proches d’Alain Beitone” plutôt que de s’en tenir à leur argumentation me semble aussi très surprenant. On peut être une femme et penser par soi même. Il est désolant de devoir le rappeler sur ce site.

  2. BERANGER retraité Educ Nat Grenoble

    Dans le débat sur l’école, les progressistes doivent surtout lutter contre tous les formes de dogmatisme !
    Pour en rester au débat sur l’indispensable recours à la participation active des élèves et au regard de cette argumentation remarquablement étayée et ‘diplomatique’ de Jean Yves MAS, je vous joins une citation d’Alain Accardo, amorce courte mais bienvenue à mon sens, pour une attitude résolument radicale :
    ” Si les enseignements scolaires et universitaires ont conservé pour une part leur fonction d’éveil et d’entretien du sens critique, celle-ci ne va pas jusqu’à une remise en question de l’ordre établi. Bien au contraire…”

  3. Collectif Q2C

    Dans le débat sur l’école, les progressistes doivent surtout lutter contre tous les formes de dogmatisme !
    Suite aux remarques d’Alain Beitone concernant la réponse que nous avons rédigé à la tribune intitulée « Dans le débat sur l’école, les progressistes doivent se battre sur deux fronts » , parue dans la revue des possibles d’Attac (11/10/2016), nous avons demandé aux animateurs du site Questions de Classe(s) de corriger la première phrase du texte afin de rajouter le nom du co-auteur de la tribune « A propos du débat sur l’école, dans une récente contribution diffusée dans la revue d’ATTAC, Alain Beitone et Raphael Pradeau entendent définir l’agenda « du camp des progressistes ».
    Par contre, nous n’avons pas écrit, contrairement à ce qu’affirme Alain Beitone, que Margot Osenda et Marrion Navarro étaient « proches » d’Alain Beitone , mais que « Marrion Navaro et Margaux Osenda estiment dans une optique par ailleurs très proche de celle d’Alain Beitone,…. ». Ce sont leurs idées qui s’inscrivent dans une optique proche de celle d’Alain Beitone et non leurs personnes. Leur article dans les Cahiers Pédagogiques (27/09/2016) comporte en effet, des idées et des références que l’on retrouve dans certains textes d’Alain Beitone. Nous nous permettons par ailleurs de rajouter que sur la question du sexisme, il aurait été plus logique que ces auteures nous adressent directement leurs remarques, plutôt que de laisser Mr Alain Beitone parler à leur place. Cordialement JY Mas

  4. Anonyme

    Dans le débat sur l’école, les progressistes doivent surtout lutter contre tous les formes de dogmatisme !
    Beaucoup de matière à réflexion, éventuellement à réfection…
    Des dangers du dogmatisme pédagogique à la nécessité de varier et entrecouper les approches, en y mettant aussi tôt que possible de l’échange, de l’intelligence collective, du débat où les savoirs ( indispensables ) sont toujours contre-balancés & enrichis par une éthique s’appuyant sur des valeurs, certes à définir mais à surtout partager…. Ci-dessous, une trame très générale de ce que nous essayons, Christine & moi, de mettre en place depuis un peu plus d’un an dans nos lycées respectifs… les freins sont multiples mais la réflexion se diffuse… Quid des valeurs humaines.
    Ci-dessous donc, notre projet…( intitulé “Je suis des valeurs”) à lire SVP…Sommes dans l’attente de réactions/commentaires:
    « Je suis des valeurs »
    « Je suis des valeurs » est le message sur lequel Christine et moi nous sommes mis d’accord le 11 janvier lorsque nous avons suivi la marche blanche à Nîmes. « Je suis Charlie », beaucoup évoqué et débattu avec les élèves dans les jours qui suivirent l’attaque ne pouvait pas être acceptable (quid du verbe ‘être’ ou du verbe ‘suivre’, ou bien encore de ce qui est mis derrière ‘Charlie’ : les débats en classe avaient surtout permis de montrer les dangers et limites des slogans et plus généralement les risques de la religion du livre…).
    « Je suis des valeurs » est notre pari pédagogique : avoir des valeurs et les incarner. Le recours aux valeurs pour définir un socle commun à partager, cette identité française au cœur des débats et des enjeux politiques actuels.
    Le postulat de départ est aussi simple que difficile à faire accepter : l’école ne doit pas/plus être au service de l’économique et, de façon philosophique plutôt que marchande, viser l’art du vivre ensemble par l’épanouissement personnel (connaissance et estime de soi), la responsabilisation individuelle, la culture (sainement) politique et le débat ouvert notamment.
    Le projet, mis (laborieusement) en expérimentation dans nos lycées respectifs depuis septembre 2015, se développe de façon progressive et transversale sur les trois années du cursus lycéen, dans la logique d’un objectif central et synthétique qui se résume en une phrase : « J’agis en individu responsable et citoyen éclairé »
    La première année (classe de seconde entrante donc) se concentre sur le « je » au sens large et trois valeurs que sont VOULOIR, SAVOIR et ETRE. L’objectif est de réfléchir sur qui l’on* est en tâchant notamment de savoir ce que l’on* veut pour ensuite le vouloir vraiment en l’incarnant. Gros travail sur l’identité (individuelle, personnelle, sociale, nationale, culturelle, …), avec comme outil d’appréciation la grille VALEUR (1) et la « règle du je(u) » (2) comme règle de base.
    (1) Les élèves ne sont plus notés. La performance disciplinaire n’est pas le critère unique d’évaluation. Les élèves sont appréciés sur la base des 5 critères transversaux que sont la Volonté, l’Attitude, le Langage, l’Equipement et l’Utilité. Ces 5 critères (explicités par ailleurs) forment l’acronyme VALEUR avec le R de réussite à la clé. VALEUR n’est ici qu’un outil visant avant tout à permettre une appréciation globale de l’élève, au-delà de ses performances académiques pures, ses réussites aux évaluations et tests ponctuels.
    (2) La « règle du je(u) » vise à poser l’utilisation du « je » comme premier principe de responsabilité, le ‘U’ d’utilité s’y ajoutant pour rappeler que cette parole libre du ‘je’, si elle peut se faire de façon socialement ludique, vise d’abord à se rendre Utile en contribuant à faciliter le débat et faire avancer la/les problématiques posées et débattues en classe. Avatar social du je, le on*, lorsque suivi d’une étoile, signifiant un on qui serait instruit, non plus simplement que on (con) mais nous, citoyens éclairés.
    Cette première année vise donc à apprendre sur soi et son environnement, à se connaître pour mieux se reconnaître, à définir précisément son projet personnel sur la base du savoir et de la volonté. Un travail sur les émotions, les règles de communication et le débat ouvert devant permettre à chacun de définir son être singulier et unique au sein et dans le respect de sa société.
    La deuxième année ( classe de Première ) se concentre sur l’agir, la mise en situation. Après l’apprentissage de la première année, c’est en quelque sorte l’année de l’entraînement à être. ‘L’éthique du funambule’ est le nom du projet qui résume de façon métaphorique ce qui est visé au cours de cette année : tel l’homme avançant sur le fil de la/sa vie, le funambule s’appuiera sur trois autres valeurs essentielles que sont l’EQUILIBRE, le COURAGE et l’ELEGANCE. De façon très synthétique, il s’agit ici, pour avancer, de viser à l’harmonie des forces, d’y entraîner son cœur tout en veillant à soigner la façon de faire.
    La troisième année ( classe de Terminale ) est celle des examens ( scolaire et de conscience ), l’entrée dans le monde adulte de la responsabilité. UNITE, DOUCEUR et LIBERTE sont les trois Valeurs à bien veiller et cultiver : l’UNITE dans ce qu’elle comprend à la fois l’unicité ( le fait que chacun est unique ) et l’union ( mais que nous sommes de fait ensemble dans cette aventure ) ; la DOUCEUR parce qu’elle n’est pas une faiblesse mais au contraire la force qui s’oppose à la violence, et que, invincible (dixit Marc-Aurèle), elle est la vertu des mères et des pacifiques ; la LIBERTE enfin ( et en fin ) car c’est elle que nous devons construire, en apprenant à nous empêcher ( dixit Camus ) et à mieux nous gouverner.

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