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Critique des orientations de l’école capitaliste néolibérale

Il est nécessaire de mener une lutte contre-hégémonique vis-à-vis du discours néolibéral sur l’école et contre le discours de l’institution scolaire sur l’échec scolaire et la reproduction des inégalités sociales.

De l’école républicaine à l’école néolibérale

C’est un point qui a été aujourd’hui largement montré par les historiens : l’école républicaine de Jules Ferry était une école élitiste qui formait les élèves en reproduisant la structure sociale. La majorité était destinée à des travaux d’exécution et une petite minorité, le plus souvent issue de la bourgeoisie, était sélectionnée pour faire partie de l’élite. Les élèves boursiers méritants issus du peuple s’intégraient dans cette logique de production des élites.

Cette fonction de l’école n’a pas disparue : il s’agit toujours de classer et de hiérarchiser en vue des impératifs de l’appareil de production. Néanmoins, les évolutions économiques et les orientations politiques tendent, par le biais de la spécialisation régionale internationale, à changer la structure des emplois en France. Il s’agit de laisser délocaliser le plus possible les emplois non-qualifiés et de développer les nouvelles classes moyennes – les professions intermédiaires. Cela se traduit pas les injonctions suivantes : 80 % d’une classe d’âge au bac et 50 % à la licence. Ces politiques se heurtent néanmoins à deux limites. Il n’est pas certain que la structure de l’emploi en France parvienne à correspondre à la structure du niveau de qualification. Même, si c’est le cas, il faudrait en plus que le marché de l’emploi parvienne à absorber l’intégralité des personnes formées. En outre, il n’est pas certain non plus que le système scolaire parvienne à mener les élèves à ce niveau de qualification. En effet, aujourd’hui encore, soit presque 30 ans après le slogan des 80 %, seul 72 % d’une génération obtient le bac (ce chiffre inclus les bac professionnels et technologiques).

Les injonctions néo-libérales afin d’atteindre ces objectifs mettent en œuvre plusieurs orientations. La première consiste à enjoindre le système scolaire et universitaire à être plus professionnalisant. Les formations proposées doivent être davantage adaptées au marché du travail. Sont par exemple visées comme inutiles et contre productives, les formations universitaires en lettres et sciences sociales. La seconde orientation consiste, pour lutter contre l’échec scolaire et motiver les élèves depuis la loi Jospin de 1989, à accorder une place centrale au projet d’orientation de l’élève, et en particulier à son projet professionnel. Enfin, dernièr élément que l’on peut souligner, l’enseignant doit gagner en efficacité technique. Ce que l’institution scolaire, les parents d’élèveS et les élèves eux-mêmes attendent de l’enseignant, c’est qu’il fasse réussir efficacement. Ce qui est attendu, c’est un service mesuré à l’aune des épreuves scolaires et du projet d’orientation professionnelE.

La fabrication de l’échec scolaire
par les orientations néolibérales et la logique scolaire capitaliste

Il est nécessaire de mettre en avant que l’échec scolaire, corrélé à l’inégalité sociale, et la reproduction de l’inégalité sociale par l’école, est liée aux logiques néolibérales et capitalistes.

La logique néolibérale produit de l’échec scolaire car elle fabrique des élèves et des enseignants qui ont un rapport aux savoirs orienté vers l’efficacité néolibérale. Le système scolaire ne donne pas le goût des apprentissages comme vecteur de réalisation de soi et de compréhension du monde. La culture littéraire et les sciences n’ont d’intérêt que pour réussir des examens et avoir un emploi plus tard. Cela apparaît très bien dans le fait qu’il existe des élèves qui ont un intérêt intrinsèque pour les savoirs intellectuels et qui sont en échec scolaire parce qu’ils ne trouvent pas d’espace au sein de l’école pour développer à leur rythme leurs centres d’intérêts. A l’inverse, les élèves qui ont rapport purement utilitariste aux savoirs sont également souvent des élèves en échec scolaire, qui ne trouvent pas d’intérêt en soi à ce que les enseignants peuvent leur apprendre. Cela apparaît également dans le fait que les nouveaux enseignants entretiennent un rapport plus distendu à la lecture : les enseignants comme le reste de la population – tous milieux sociaux confondus – lisent de moins en moins d’ouvrages. Les enseignants se préoccupent avant tout d’être efficaces dans la réalisation des programmes plutôt que de favoriser l’esprit critique des élèves.

Or à coté de cela, le discours néolibéral sur la professionnalisation ne correspond pas à la réalité. Tout d’abord, parce que les élèves qui sont sélectionnés pour faire partie de l’élite ont accès aux formations générales les plus poussées dans les classes préparatoires. En effet, le discours néolibéral insiste sur la capacité des cadres à être mobiles tout le long de leur carrière et par conséquent il est nécessaire qu’ils possèdent des compétences transversales générales, plutôt qu’un savoir trop spécialisé et donc rapidement obsolète. Ensuite, parce que la plupart des élèves et des étudiants quelque soit leur niveau de formation – des filières professionnelles à l’université – n’occupent que peu un emploi qui correspond à leur formation initiale. Enfin, parce que les salariés dans le cadre professionnel ne sont amenés à utiliser qu’un faible niveau des compétences qu’ils ont acquis dans le système scolaire et post-bac. On pourrait objecter que ces faits sont la marque de l’inadaptation des formations initiales au marché de l’emploi. Néanmoins, cet argument est contestable car les salariés qui occupaient dans les années 1970 ces types d’emploi avec juste un bac ne soulevait pas ce type de critiques. Le discours sur l’inadaptation des formations n’est devenu central que dans le cadre d’un chômage de masse. Par conséquent, en réalité, si les filières universitaires de lettres et sciences sociales sont aussi décriées, ce n’est pas parce qu’elles sont plus que d’autres en soi des usines à chômeurs, mais c’est qu’elles favorisent le développement d’un esprit critique chez les étudiants qui n’est guère apprécié par les employeurs. Les classes préparatoires et les filières professionnalisantes évitent ce problème avec des méthodes différentes. Elles ne permettant pas de réfléchir sur les savoirs acquis : hyper-bachotage dans un cas et dans l’autre orientation technique des savoirs.

La France est le pays d’Europe qui reproduit le plus les inégalités sociales. Néanmoins, la reproduction des inégalités sociales ne touche pas de la même manière tous les élèves issus des classes populaires. L’échec scolaire et l’orientation vers des filières courtes est aujourd’hui surtout le fait des garçons, et en particulier de ceux d’origine immigrée. A l’inverse, les filles d’origine immigrée connaissent une plus grande réussite scolaire, mais celle-ci ne se traduit pas particulièrement par une ascension sociale. Cela tient à deux raisons. La première, c’est le rendement social différent des diplômes en fonction de l’origine sociale : le capital scolaire (les diplômes) ne pallie pas entièrement le manque de capital social (les « pistons »). En outre, les femmes ont toujours une ascension sociale inférieure aux hommes à niveau de diplôme égal. Ces faits peuvent être interprétés de la manière suivante. Les femmes immigrés accordent à l’acquisition d’un capital scolaire une valeur d’émancipation indépendamment de l’ascension sociale. Au contraire, un garçon, issu des classes populaires, encore plus s’il est immigré, anticipe le fait que l’ascension scolaire ne lui permettra pas une ascension sociale. A quoi bon faire des études si cela ne me donnera pas un bon métier bien payé ? Ce raisonnement tient à deux facteurs. Tout d’abord la construction sociale de la masculinité et de la féminité : une femme accepte mieux qu’un homme de ne pas avoir l’ascension sociale qui correspond à son niveau d’études. Le second point tient au fait que le discours néolibéral réduit l’intérêt des études à l’employabilité. Par conséquent, il devient alors inutile d’étudier pour un garçon si cela ne permet pas d’avoir un bon emploi.

Enfin, les études PISA en situant dans le peloton de tête un système éducatif comme la Finlande ont écorné certaines croyances de l’école capitaliste. Les études PISA commandées par l’OCDE, une des organisations du néolibéralisme international, ont de nombreux défauts, à commencer par celui du classement et de la hiérarchisation. Mais elles ont également mis en valeur que les systèmes considérés comme les plus performants dans l’acquisition des compétences sont également ceux qui sont les moins socialement inégalitaires. L’intérêt du système finlandais, en particulier, c’est qu’il montre que l’acquisition de compétences – « l’excellence scolaire » – contrairement à ce que nous disaient le discours républicain et néolibéral peut se passer d’un certains nombre d’instruments tels que la classification par les notes… La mise en concurrence des élèves et leur hiérarchisation n’est donc pas une condition de l’acquisition de compétences. A cela, il est possible d’ajouter qu’il s’agit d’un système qui intègre mieux en son sein activités manuelles et intellectuelles visant la réalisation d’un être complet. Il s’agit enfin d’un système scolaire qui accorde plus de place au désir et au rythme de l’élève dans l’acquisition de ses apprentissages.

En définitif, contrairement à ce que nous dit le discours médiatique sur l’échec scolaire des élèves immigrés des classes populaires, il ne s’agit pas de rechercher avant tout l’origine de leur échec dans les familles et chez les élèves. Il faut sans doute le rechercher plutôt dans les règles de fonctionnement néolibéral et capitaliste de l’école : classification des élèves, recherche d’une efficacité d’inspiration économique, orientation vers l’employabilité….

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