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Contre l’apartheid dans les transports en commun à l’encontre des enfants scolarisés des squats et bidonvilles lillois

Nouvel 8 mai, nouveau bal des hypocrites et des faux-semblants.

Les braves élus et élues de l’agglomération lilloise, comme leurs semblables des villes et des champs de France, se rassemblent avec fanfares, belles écharpes « républicaines », beaux discours et trémolos dans la voix, pour pleurer sur le sort des victimes de la barbarie nazie, dénoncer la haine, l’intolérance, la xénophobie, le racisme, vanter les mérites de notre République multiculturelle, nous dire leur attachement viscéral aux principes d’égalité, de fraternité et de liberté, clamer haut et fort leur volonté de promouvoir l’amitié entre les peuples. C’est grandiloquent, enthousiaste ; la comédie est parfaitement rodée (On a eu le temps de parfaire le scénario depuis 1945), chacun et chacune jouent parfaitement leurs rôles jusqu’à se donner à paraître pour les enfants spirituels de Mandela, Martin Luther King ou Gandhi. Du coup les atteintes aux Droits de l’Etre humain et les injustices tremblent, croient leurs jours comptés ; les méchantes et les haineux craignent de devoir se repentir dans l’instant ou presque, n’avoir plus d’autre choix que d’entrer dans le droit chemin. Le paradis sur terre, le Grand soir, semble pour aujourd’hui, pour demain au plus tard.

C’est pourtant du même niveau théâtral que la farce qui nous est servie lors de chaque élection, quand les unes et les autres se servent du Front national comme marchepied, comme faire-valoir, pour s’acheter une image vertueuse à bon compte, se faire passer pour des humanistes et antiracistes, et gagner dans les urnes de notre fausse démocratie le droit de servir avec docilité les intérêts des gagnants et gagnantes de l’économie capitaliste, moyennant divers avantages pécuniaires et honorifiques que la République du Veau d’Or sait accorder en abondance à ses chiennes et chiens de garde…

Mais au-delà de la propagande, il y a l’envers du décor, la réalité des choses : les frontières de la France qu’on redresse et fortifie toujours plus pour empêcher qu’accèdent dans “notre” pays les personnes déracinées d’Afrique ou du Proche-Orient en quête d’un havre de paix, l’indifférence de nos élu(e)s soi-disant humanistes en ce qui concerne la mort chaque année de milliers de migrantes et migrants sur leurs routes de l’exode, les bidonvilles et les squats qu’on détruit régulièrement sans empathie ni humanité (de surcroit le plus souvent au mépris de la loi), les refus de demandes d’asile politique, les obligations de quitter le territoire (OQTF), les reconduites aux frontières, les expulsions (1)…

La MEL (Métropole européenne lilloise), assemblée des élus et élues communautaires de l’agglomération lilloise ne trouvait pas le tableau assez sombre. Elle a trouvé le mauvais goût d’y ajouter sa touche personnelle de discrimination supplémentaire.

Ainsi, depuis l’été 2016 et le vote par l’assemblée communautaire de la MEL d’un nouveau tarif des transports en commun pour la métropole lilloise, les personnes en situation irrégulière en France ne peuvent bénéficier du tarif dit solidaire. C’est le cas par exemple des enfants scolarisés des bidonvilles et squats (essentiellement des jeunes de nationalité roumaine et bulgare de culture rom(2) ) devant utiliser, pour se rendre en cours, le réseau de transports en commun TRANSPOLE géré par la société KEOLIS par délégation de service public de la MEL, qui se trouvent censés acquitter le tarif normal de 23,80 euros par mois (pour un abonnement de 10 mois) au lieu de pouvoir bénéficier du tarif réduit de 3 euros par mois accordé à toute personne de moins de 25 ans française ou étrangère en situation régulière, faisant partie d’une famille sans ressource ! Evidemment, aucune et aucun des parents de ces jeunes élèves ne sont capables de financer à ce prix des titres de transport, et si quelques bénévoles et associations de solidarité peuvent prendre en charge quelques abonnements au prix fort, cela ne peut se faire pour toutes et tous.

Pire, cette exclusion discriminatoire du tarif solidaire se fait en usant de stratagèmes hypocrites. Pour bénéficier d’un tarif solidaire, il faut en effet fournir un document de la CAF attestant d’un quotient familial réduit, attestation que ne peuvent bien évidemment pas fournir la plupart des familles roms, celles-ci n’ayant aucun droit à recevoir une allocation de la CAF.

Comme si cela ne suffisait pas, KEOLIS et la MEL ont poussé la perfidie encore plus loin : quiconque ne peut fournir une attestation de quotient CAF peut écrire au service de la tarification solidaire pour demander que soit calculé ce quotient et éventuellement bénéficier du tarif solidaire. Divers documents doivent impérativement accompagner une telle demande, histoire d’exclure tout de suite les gens les plus marginalisés et le plus grand nombre : avis de non-imposition, adresse légale de domiciliation, pièce d’identité. Il se trouve néanmoins que des dossiers complets sont parfois déposés. Quelle est alors la réponse type de KEOLIS-TRANSPOLE et de la MEL ?

“La composition de votre famille nous indique que vous seriez éligible au versement des prestations versées par la CAF mais que pour des raisons administratives qui ne nous concernent pas vous ne pouvez prétendre à une prise en charge au titre des allocations CAF. En aucun cas, il ne nous est possible de nous substituer à la CAF , le calcul de votre Quotient familial reste donc impossible.” Et comble de l’ignominie, il est précisé ensuite : ” Il vous est possible néanmoins de bénéficier des tarifs tout publics de votre catégorie d’âge.”

Autrement dit : si vous n’avez pas de quotient familial, faites nous la demande de son calcul… et nous vous répondrons que nous ne pouvons pas vous le calculer. Est-il possible d’inventer une démarche administrative plus stupide et incohérente ?

Le résultat ? Les enfants scolarisés trop loin de chez eux ne vont pas tous les jours à l’école (marcher 2 ou 3 km ou plus, par mauvais temps, quand on dort mal à 5, à 6 ou 7 dans un baraquement ne comptant qu’une pièce minuscule ou dans une petite caravane insalubre, quand on est toujours plus ou moins malade, quand on n’a pas l’eau courante chez soi et surtout pas l’eau chaude, quand on n’a pas toujours les chaussures et les vêtements adéquats, ça limite sacrément l’envie de se déplacer à pied pour aller en classe) ou empruntent les transports en commun sans titre de transport, toutes choses qui choquent les bien-pensant(e)s et entretiennent encore et encore les préjugés anti-roms.

Depuis octobre 2017, l’Association humanitaire William Penn, au nom du Collectif Roms 59/62, a décidé d’interpeller les autorités publiques pour faire évoluer les choses. Des courriers ont été adressés aux différents groupes politiques de l’assemblée communautaire de la MEL, aux députés de l’agglomération lilloise, au président de la MEL : D. Castelain et à son adjoint aux transports : G. Darmanin, ainsi qu’à la société KEOLIS et au service de la tarification solidaire. Deux députés : A. Quatennens (France insoumise) et L. Pietraszewski (République en marche), et une élue communautaire de la MEL : L. Daleux (EELV) ont décidé de soutenir cette action. (Aucune nouvelle des autres partis politiques en revanche, forcément pas de cette droite-qui-ne-partage-pas-les-valeurs-du-FN-sauf-quand-ça-l’arrange, mais ni même de ces chantres habituels de l’antiracisme que sont les communistes d’Etat, les pseudos socialistes et les centristes. L’attachement affiché de certains partis politiques pour l’égalité des droits ne doit pas valoir pour tous, et en tout cas pas pour les Roms.). Le journal local La Voix du nord a été sollicité et a réalisé deux articles sur cette question. Du coup, D. Castelain a semblé un temps vouloir faire bouger les choses : des échanges téléphoniques a priori fructueux avec la MEL ont eu lieu jusqu’à ce que fin décembre une réunion obtenue de haute lutte avec des directrices de KEOLIS-TRANSPOLE laisse espérer l’établissement de cartes de transport, au plus tard fin janvier-début février, pour une soixante de gamins et gamines scolarisées habitant dans des squats et bidonvilles lillois, tandis qu’une évolution officielle des conditions d’accès au tarif solidaire était promise pour toute personne pour juin (possibilité d’attester de sa pauvreté par l’admission à l’AME ou à la CMU-C et non plus par le quotient familial, sans condition de situation régulière ou non).

Ce n’était finalement qu’une nouvelle mascarade. Le président de la MEL, D. Castelain, a finalement mis son veto : pas de carte de transport au tarif solidaire dès cet hiver pour les enfants roms pauvres, plus aucune réponse adressée aux relances de l’AhWP, toutes choses faisant penser que la situation d’apartheid instaurée dans les transports en commun de l’agglomération lilloise par D. Castelain et sa majorité depuis 2016 n’était pas due au hasard, n’était pas involontaire. Sinon, pour sûr, tout aurait été fait pour y remédier au plus vite (3) …

Faute d’avancée, l’Association humanitaire William Penn, au nom du Collectif Roms 59/62, a saisi le Défenseur des droits en mars 2018, l’a signalé à la MEL et à TRANSPOLE-KEOLIS, et s’est efforcée de médiatiser à nouveau cette sale affaire.

Cette fois, la MEL et TRANSPOLE-KEOLIS, comme par miracle, sont sorties de leur silence et, dans le journal la Voix du nord, se sont dites pressées de corriger les conditions d’accès au tarif solidaire lors d’un vote à venir en conseil communautaire en juin…

S’il ne s’agit pas d’une nouvelle promesse fallacieuse (4) , il aura donc fallu 2 ans à ces bonnes personnes au discours officiel convenu et politiquement correct en matière de respect des Droits de l’être humain et des Droits de l’enfant, pour en finir avec une ségrégation évidente, occasionnée par leur fait, et pénalisant les personnes les plus marginalisées de notre société !

Auront-elles désormais encore, malgré cela, l’hypocrisie et l’indécence de venir pleurer le 8 mai ou lors d’autres commémorations sur le sort des victimes passées des discriminations ethniques, dont plus de 200 000 personnes roms tuées par la barbarie nazie (5) ?

Frédéric Béague – (Représentant légal de l’Association humanitaire William Penn)

1) En France , en 2017 : 32 011 attributions de l’asile pour 100 412 demandes , 18 157 éloignements forcés , 537 764 demandes de visas refusées (chiffres du Ministère de l’intérieur – 16/1/2018) ; Projet de loi “Asile et immigration” ; 3 100 migrantes et migrants noyé(e)s en Méditerranée ; 11 309 personnes expulsées d’un squat ou d’un bidonville en France en 2017 (Romeurope) ; le tribunal administratif a condamné la ville de Lille et la Préfecture le 6 février 2018 pour la destruction d’un bidonville lors de la trêve hivernale (L’AhWP était parmi les associations plaignantes à côté des familles concernées)

2) En France depuis le début des années 90, on compte entre 15 000 et 20 000 personnes roms, venant essentiellement de Roumanie et de Bulgarie, quelques autres de pays de l’ancienne Yougoslavie, vivant dans des bidonvilles et squats. La France, 5ème pays le plus riche du monde, avec sa population de 67 millions d’habitants, se révèle incapable d’héberger dignement 0, 0003 % de sa population ! Problème de capacité ou de volonté politique ?

3) La MEL a su pourtant, par exemple, décider dans l’urgence d’une subvention de 500 0000 euros pour accueillir la finale de la Coupe Davis à Lille en 2017…. Accorder 60 cartes de transport à des enfants serait plus complexe ?

4) En cas de nécessité, l’AhWP saisira le tribunal administratif.

5) Claire Auzias, Samudaripen- Le génocide des Tsiganes, Editions L’esprit frappeur

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