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Clarifier les projets pédagogiques

Il règne une certaine confusion au sein des discours pédagogiques qui requièrent sans doute certaines clarifications.

La pédagogie à l’ère de l’économie capitaliste bureaucratique :

– La pédagogie traditionnelle, une construction socio-historique du capitalisme bureaucratique : La pédagogie traditionnelle constitue une construction socio-historique qui a été désignée ainsi par l’Éducation nouvelle pour définir ce qu’elle combattait. La pédagogie traditionnelle a été marquée par l’émergence avec la modernité d’institution disciplinaires organisées selon une « rationalité bureaucratique » (Weber). C’est en effet la même rationalité bureaucratique que l’on retrouve au sein « d’institutions disciplinaires » (Foucault) que sont les usines et les écoles. Cette volonté de rationaliser les méthodes d’enseignement apparaît par exemple dans le modèle des écoles de Frères Chrétiens de Jean-Baptiste de La Salle.

– L’Education nouvelle, un projet politique multiple : L’Education nouvelle s’est construite en assimilant la pédagogie traditionnelle à un ordre traditionnel dépassé caractéristique d’une société marquée par le pouvoir religieux auquel il s’agit d’opposer une pédagogie scientifique et rationnelle. L’unité de l’éducation nouvelle se fait sur ses pratiques, inspirées de l’expérimentalisme scientifique (méthode inductive, enquête…), mais son projet politique est ambivalent. En effet, il regroupe à la fois, par exemple, des tenants du libéralisme économique, comme Herbert Spencer ou Edmond Demoulins que des praticiens marqués par un idéal communiste libertaire comme Sébastien Faure ou Celestin Freinet, ou encore des démocrates radicaux comme Dewey… Néanmoins en dépit de leurs divergences idéologiques, ces différents acteurs se retrouvent à travers une vision modernisatrice où il assimilent l’ordre bureaucratique à une survivance autoritaire de l’État d’Ancien Régime, obstacle soit au libéralisme économique, soit à la démocratie, soit encore appareil de classe au service de la bourgeoisie.

La pédagogie à l’ère du nouvel esprit du capitalisme :

Avec l’économie de l’information a émergé une nouvelle économie dont les réquisits en termes de formation ne sont plus les mêmes que celle de l’économie industrielle. Cette dernière n’a pas néanmoins disparue : il continue à exister une forte demande et même croissante, pour une main d’oeuvre faiblement qualifiée à l’activité taylorisée. Mais en même temps, il devient nécessaire de former des cadres capables d’autonomie et d’esprit d’initiative.

– Une pédagogie technoscientifique taylorisée : Le versant technoscientifique de la pédagogie émerge aux Etats-Unis dans le sillage de la psychologie behavoriste et du taylorisme industriel. Ses déclinaisons actuelles s’appuient sur la psychologie cognitive et l’Evidence Based Policy (« politiques publiques par les preuves »). Elles visent à concevoir des programmes de formation permettant de faire acquérir les compétences de base aux élèves de milieux populaires. La forme technocratique de ces programmes permet de parvenir à une mesure de l’efficacité et de la performance de ces programmes dans le but d’optimiser les politiques publiques. C’est ainsi que les officines patronales comprennent l’expression « enseigner explicitement » dans le Référentiel de l’éducation prioritaire.

– L’Education nouvelle à l’épreuve du nouvel esprit du capitalisme : En revanche, pour les élites et les futurs cadres supérieurs, il s’agit de faire en sorte de développer des soft skills qui permettent l’innovation économique et des qualités qui soit adaptées à la nouvelle économie. De ce fait, les pédagogies issues de l’Education nouvelle apparaissent comme valorisées. Cet idéal est par exemple mis en œuvre dans Les écoles européennes qui s’adressent aux enfants des hauts fonctionnaires européens (http://www.eursc.eu/fr).

Pour une présentation de ce double projet, voir le rapport du MEDEF de 2012 : http://www.medef.com/fileadmin/www.medef.fr/documents/Ecole/PropositionsMEDEF-Ecole.pdf

Les critiques de la pédagogie capitaliste :

La sociologie critique « enseigner explicitement contre les pédagogies classistes » : La sociologie critique de Bourdieu et Passeron a mis en lumière dans un premier temps comment la pédagogie traditionnelle reproduit les inégalités sociales en s’appuyant sur des codes implicites maîtrisés de manière différentiel selon les classes sociales. Le socio-linguiste Basil Bernstein a pour sa part mis en lumière comment les pratiques pédagogiques issues de l’éducation nouvelle se trouvait en adéquation avec les pratiques issues des classes moyennes. La sociologie critique de l’équipe ESCOL a pour sa part conduit à montrer comment les pratiques pédagogiques inspirées par l’Education nouvelle (pédagogie du détour, constructivisme…) supposait une explicitation de la part des enseignants afin de ne pas reproduire les inégalités sociales. Dans ce cas, la demande d’ « enseigner explicitement » n’a pas le même sens que dans la pédagogie techno-scientifique, il ne s’agit pas de produire une pédagogie efficace adaptée aux demandes du marché, mais d’éviter des pratiques pédagogiques « classistes » qui favorisent la reproduction des inégalités sociales.

La pédagogie critique : Face à l’ambivalence politique de l’éducation nouvelle (dont le projet uniquement axé sur des pratiques favorise la récupération par le nouvel esprit du capitalisme), la pédagogie critique met en avant la pédagogie comme projet politique. Elle détache la pratique pédagogique d’une prétention à une justification scientifique pour en faire un projet politico-philosophique. Cela la conduit à effectuer une critique des pédagogies technoscientifiques taylorisées visant à produire une main d’oeuvre faiblement qualifiées à destination du marché.

Conclusion : Si la pédagogie traditionnelle est au service d’un ordre classiste et autoritaire, l’Education nouvelle en construisant son unité sur des pratiques n’a pas su lever les ambivalences de son projet politique. La sociologie critique s’est attachée à dévoiler les ressorts de classes contenus à la fois dans la pédagogie traditionnelle et dans l’Education nouvelle. De ce fait, la pédagogie critique, axée sur un projet politique de combat des rapports sociaux de classe, de sexe et de race, a ainsi constitué une rupture à la fois avec la pédagogie traditionnelle et l’Education nouvelle. La pratique dialogique de la pédagogie critique constitue, pour sa part, le coeur de son opposition à une conception bureaucratique, et donc autoritaire, de l’enseignement.

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