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Chroniques bretonnes, épisode n°6

Ancien instituteur, Erwan Hupel livre un regard cru sur la maternelle. Au fil de la lecture, son humour grinçant laisse percevoir un accueil singulier des élèves, tendre même, attentif à leurs dires, à leurs gestes mais aussi à ceux de leurs parents. Il a publié ces chroniques en langue bretonne sous le titre Yudal ! aux éditions Al Liamm en 2013. Sa chronique est publiée chaque mois sur le site Questions de classes.

Quand elle serait grande, elle ferait la classe comme moi. Elle m’avait dit ça alors que j’étais en train de la gronder avec tout le reuz1 qu’elle avait mis en classe dans le coin des poupées. J’aurais du être vraiment sans pitié pour la gronder plus encore. J’étais sans pitié.
Mais Erwan…
Il n’y a pas de « mais ». Range. MAINTENANT

J’étais inquiet quand même. Moi aussi je voulais devenir instituteur quand j’étais petit… Instituteur, pompier, vétérinaire… Personne ne voulait devenir notaire, huissier ou banquier à quatre ans. Des personnes étaient venues entre temps me dire qu’il y avait de meilleurs métiers à faire. D’autres personnes viendraient leur dire la même chose. J’étais inquiet quand même. Quel était l’aiguillon ? Pourquoi j’étais encore instituteur ? A force d’entendre les philistins à la télé et à la radio, j’aurais pu croire que je ne faisais rien si ce n’est d’attendre l’heure de la retraite. Et pour casser définitivement mon envie de faire classe il y avait eu les repas du Dimanche. Et un verre de vin « met-en-un-autre-Marie-tous-des-fainéants-payés-par-nos-impôts ».

Je leur avais demandé ce qu’ils voulaient faire quand ils seraient grands. Pas de réponse. J’étais allé chercher ma boîte à images. J’en avais pris une dans la catégorie des métiers et demander :
Qui sera… (le temps de lire la carte) astronaute ?

Personne. Le mot avait une odeur de margarine en breton.
Qui sera policier ?

Tous les garçons avaient levé le doigt. Fleur ne savait pas si elle devait lever le doigt ou faire comme toutes les autres filles.
Qui sera instituteu… rice ?

Bien sûr, on avait dessiné une femme pour ce métier. Tout le monde avait levé la main.
Qui sera médecin ?
Bien sûr, c’est un garçon pour le médecin et une fille pour l’institutrice, dit Sonia2.

Nous étions devenus comme un vieux couple. Aigris.
Et pour le métier que tu fais toi il n’y a même pas de carte.

S’il y avait eu un inspecteur dans la classe il aurait dit que j’aurais du regarder les cartes avant de les montrer aux élèves. Il aurait eu raison. Il était quatre heures et demie. Ce soir-là, à la lueur de ma petite lampe, j’avais peaufiné une autre journée de travail. J’avais fabriqué de nouvelles cartes. Pour les métiers hautement qualifiés j’avais mis autant de filles que de garçons. Je m’étais un noir de temps à autre. J’avais oublié de mettre des jaunes, des femmes noires, des gens moches, des gens mal habillés. Je n’avais trouvé aucun dessin qui représentait un directeur d’école qui parlait breton. À une heure du matin j’étais allé dormir. Chaque nuit c’était veillée d’armes.

Il y avait vingt-sept Spiderman. Trente-deux princesses, dix-sept Darth Vador, onze chevaliers et un Zorro dont aucun enfant ne savait qui c’était. C’est normal je leurs dis : personne ne sait qui est Zorro, mis à part Bernardo. Parmi les institutrices il y avait quatre hippies et deux Bigoudènes qui avaient mis un rouleau de papier sopalin sur leurs têtes. C’était Mardi-Gras. Nous avions fait le tour du bourg et un certain nombre de parents suivaient derrière pour prendre des photos de leurs mômes. Il était fier comme des poux.

J’avais honte d’avoir proposer à mes élèves des métiers si fades.

Traduction : Gildas Kerleau & Tomaz Laken

1. reuz : terme employé en Basse-Bretagne, en français également, pour parler du bazar
2. Sonia est l’atsem

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