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Chirac ad nauseam

Ils sont tous là. Tous ceux qui n’ont cessé depuis un demi-siècle de se promener dans les jardins et sous les lustres des palais de la République, une main dans le dos serrant le poignard qu’ils n’hésiteraient pas à planter dans la nuque de quiconque entraverait leur marche vers le pouvoir.

Tous là
ceux qui trahirent sans hésitation et ceux qui furent trahis à leur tour sans la moindre vergogne. Tous là ceux qui furent condamnés pour avoir, d’une manière ou d’une autre, puisé dans la cassette de la République et ceux qui ne le furent pas, pas encore, mais qui le seront un jour si la justice ne faillit pas.

Tous là
, bien vieillis maintenant, ou portant encore un reste de jeunesse, venus honorer de leur présence ce « bal des masques » lui même célébré pour honorer l’un des leurs, celui qui plus que tout autre ne cessa pendant quarante ans de se frayer un chemin vers le plus haut des sommets, sabre au clair, frappant de taille et d’estoc.

Tous là venus honorer celui qu’ils ne cessèrent de moquer et parfois d’insulter, de traiter de fainéant quand ce n’était de menteur. Certains étaient venus de loin, avaient franchi des océans et des terres immenses pour rendre hommage à leur comparse d’antan, comparse en politiques de toutes sortes et comparse en affaires raffermissant des dictatures de toutes sortes et les dictateurs étaient là eux aussi non loin des hommes d’affaires et des nouvelles générations de politiciens. Et alors que bourdonnaient les cloches, que grondaient les orgues et s’élevaient les voix vers les voûtes immenses, ils prenaient des mines de circonstance ou simplement baillaient sous un ennui souverain.

Comment ne pas être révulsé à la vue de cet aréopage dont le moindre vêtement coûte ce que gagne un ouvrier en un mois et sans doute beaucoup plus, à la vue de ces corps portant « manteaux et rubans en sautoir » comme dit le chant des Canuts et dont la distinction ostentatoire ne parvient pas à masquer la vulgarité ricanante, à la vue de ces prêtres inénarrables et chamarrés dans leurs « chasubles d’or » comme dit encore le chant des Canuts ?

Comment ne pas être révulsé quand, sous cet accoutrement, l’officiant prononce ces paroles terribles lues dans l’Évangile de Mathieu : « javais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli… Ces paroles qui à peine prononcées sont oubliées de la plupart de ces petits ou grands gouvernants qui dans un instant regagneront leurs palais ou leurs demeures somptueuses dans lesquels les attendent leur domesticité et n’auront pas un regard pour cette ombre qui sur le trottoir tend la main dans laquelle, peut-être, se souvenant de Mathieu, ils poseront une piécette charitable et s’en iront alors le cœur léger sans penser un instant que contrairement à ce que chante l’officiant à la chasuble d’or, la charité n’efface pas la main tendue, ce qui la distingue de la solidarité.

Comment ne pas être révulsé par tant de vulgarité
, tant de mépris, tant d’hypocrisie et tant de cynisme ? Comment ne pas méditer alors cette parole non pas d’une quelconque divinité mais d’un homme simple, d’un simple homme, Eugène Varlin :

« Tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines ».

Nestor Romero

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