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Charlie, l’école et les valeurs

Janvier 2015 : après le massacre de Charlie, la ministre de l’Éducation nationale révèle les grandes lignes d’un plan pour l’enseignement des valeurs de la République, où laïcité et rites républicains –hymne national, drapeau, devise- occuperont une place centrale. Au même moment, le ministère de l’Éducation consulte les enseignants sur… l’enseignement moral et civique à l’école !

« Enseigner » à l’école : Liberté, Égalité, Fraternité ? Or, depuis qu’elle existe, l’école française est en réalité un instrument de domestication des individus, et son fonctionnement génère constamment une violence symbolique massive, diffuse et rarement conscientisée. N’oublions pas qu’en son temps, le projet scolaire de Jules Ferry était avant tout de mettre fin aux révolutions populaires qui ont émaillé le XIXe siècle, en généralisant l’école et en la rendant obligatoire dans le but de contrôler les savoirs accessibles au peuple, et donc ses possibles comportements. Instrument de domination, elle contribue à reproduire les hiérarchies sociales, à sélectionner silencieusement les élites, à former (formater) tous les individus et les préparer à leur vie sociale, en leur inculquant les valeurs qui devront être celles des futurs travailleurs, électeurs, consommateurs, éventuels combattants.

Qui peut croire en l’école d’une société dont les inégalités sociales sont encore le fondement et la caractéristique majeure : d’un côté une minorité de décideurs, de l’autre une majorité d’obéissants ? Une école dont la mission consiste à reproduire ces mêmes inégalités en conduisant à l’échec scolaire la majorité d’une classe d’âge ? Une école qui se contente d’alphabétiser la majorité de ses citoyens, réservant la maîtrise experte des outils conceptuels d’information et de décision à une minorité ? Que dire de l’école d’une république impuissante à mettre en œuvre une politique scolaire qui garantisse à chacun développement et émancipation (de l’emprise des idéologies, notamment) ? D’un système fondé sur la seule réussite individuelle alors que les mouvements pédagogiques ont largement démontré que l’idée de promotion collective n’était en rien une utopie ?

C’est pourtant la devise Liberté, Égalité, Fraternité qui sous-tend ce modèle de « l’école pour le peuple », école faite pour éduquer celui-ci aux valeurs « nécessaires », école qui s’impose à tous d’une manière implacable par le fonctionnement machiavélique et de nature systémique de nos institutions. Peu nombreux, en revanche, les militants pédagogiques promoteurs d’« une école du peuple », instrument d’émancipation de tous, d’une élévation collective, offrant à chacun
un statut de responsable et des outils de compréhension et de transformation réelles de sa situation. Notamment grâce à la maîtrise des outils intellectuels que sont la lecture et l’écriture expertes, sans lesquels on ne saurait concevoir de vie démocratique réelle.

Dominique Vachelard,
Association Française pour la Lecture

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