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Alerte intrusion

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Pour cette (presque) fin de vacances, la suite de notre publication estivale de quelques-unes des chroniques revigorantes de Véronique Decker.
N’oubliez pas de commander et lire son dernier recueil,
L’école du peuple.




arton1065-d1120-3.gif L’école du peuple
Véronique Decker
Collection N’Autre École / Q2C n° 9
Libertalia, 124 p., juin 2017
Prix : 10 € + 2,84€ de frais de port





Alerte intrusion

On a depuis longtemps des exercices d’alerte incendie, trois fois par an. Il y a partout des boîtiers sur lesquels il suffit d’appuyer fort pour qu’une alarme stridente se mette à sonner pendant plusieurs minutes, sans qu’il soit possible de l’arrêter. Tous les enfants sont donc exercés à descendre dans le calme, à fermer les portes derrière eux, et à se ranger avec leur enseignant à une place attribuée dans la cour.

Mais depuis trois ans nous avons en plus le Plan de prévention et de mise en sûreté (PPMS), c’est-à-dire l’exercice inverse : il s’agit de rester tranquillement dans le couloir entre les classes, loin des fenêtres, de boucher les aérations et d’attendre les consignes de fin de confinement. Nous avons estimé trois dangers majeurs justifiant ce PPMS : le déraillement d’un train de produits toxiques sur la voie ferrée qui longe l’école (très peu probable, nous avons confiance dans les conducteurs de la SNCF), l’explosion de la conduite de gaz à haute pression qui traverse le quartier (très peu probable également, notre confiance en GDF/Suez/Engie s’est un peu affadie, mais pas au point de penser qu’ils pourraient tout faire sauter), une tempête violente qui projetterait des objets tombés des balcons qui surplombent l’école, des branches d’arbres… (plus probable, si la tempête de 1999 avait eu lieu sur le temps scolaire, c’est ce qu’il aurait été raisonnable de faire).

Là, l’exercice est plus difficile, car je ne dispose d’aucun moyen de signaler. Je cours donc dans les couloirs et les bâtiments en criant « PPMS »… et dès qu’une instit a compris, elle prévient les autres enseignants de son couloir.

Difficulté accrue cette année, car le PPMS se décline en « exercice d’alerte intrusion » laissant penser que des extraterrestres viendraient prendre des enfants précisément dans notre école, et que nous devrions éviter qu’ils en prennent de trop…

Pas question de crier, toujours aucun système pour alerter, il faut boucler l’école, mais on ne sait comment, car ici, rien ne ferme bien, ni la grille de l’entrée (défoncée par un automobiliste il y a deux mois et toujours pas réparée), ni les portes de l’école (à quoi sert de fermer à clé les portes des classes, alors qu’un seul coup de pied suffit à les ouvrir…

Bon, mais tout de même, nous entraînons les enfants à se cacher sous la table en restant silencieux. On ne sait jamais de quoi l’avenir est fait.

Jour J, je reçois la commandante des forces de police de la ville, venue pour m’assister dans l’exercice. Elle constate en entrant que la grille d’entrée de l’école tient avec un petit fil plastique. Elle constate aussi que le porte-voix donné par la municipalité n’est pas audible. Elle constate enfin que les enfants sont bien entraînés, car à chaque classe prévenue, ils se glissent silencieusement sous les tables et restent tranquilles et sages. J’ai choisi de leur donner comme signal « exercice d’alerte ». Il s’agit de ne pas les stresser. La maîtresse ou le maître dit doucement « exercice d’alerte » et tout le monde pense qu’il s’agit d’un exercice, et non d’une réalité.

À la fin, lorsque tout le monde est bien caché, la commandante me demande ce que j’ai prévu pour arrêter l’exercice : maligne, j’ai prévu d’appuyer sur l’alerte incendie, comme cela tout le monde sortira, et c’est bien parce que c’est juste l’heure de la récré.

Pas de chance, le boîtier ne fonctionne pas. Là, je sens bien que la commandante n’est pas tellement contente. Elle pense écrire un rapport. Bonne idée. À force de bosser en banlieue, on s’habitue à ce que rien ne fonctionne normalement. C’est une bonne chose de réaliser que le réel reste toujours surprenant.

Il est temps de courir à nouveau dans les couloirs des deux bâtiments pour crier « fin de l’exercice d’alerte ».

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