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A l’école, la république comme leçon de morale

Il faut vraiment qu’il se sente fort, ce ministre, pour faire réécrire les programmes scolaires – du moins une partie d’entre eux – moins de deux ans après leur entrée en vigueur, confirmant ainsi la brutalité et le dogmatisme qui l’autorisent à tenir pour négligeable le travail et l’investissement qu’ont demandé leur mise en œuvre dans les établissements depuis la rentrée 2016.

Pour ce qui concerne l’EMC (éducation morale et civique), le « projet d’ajustement et de clarification », imbuvable et improbable document de 34 pages commis par un CSP (Conseil supérieur des programmes) aux ordres (1), n’ajuste ni ne clarifie pas grand-chose, mettant au contraire à mal la logique des cycles (cycles 2, 3, 4 = primaire et collège) définie dans la précédente mouture. Si les « attendus de fin de cycle » sont officiellement conservés, ils se déclinent désormais en « repères de progressivité » annuels qui, dans la pratique, les vident de leur signification. Car c’est une idée fixe de Blanquer : comme tous les apprentissages, la morale et le civisme doivent faire l’objet de « traces écrites et d’évaluations » régulières, même si, comme c’est le cas ici, l’exigence tourne à vide et vire plus d’une fois au ridicule.

Exemple entre mille avec la Marseillaise, objet d’une dévotion jamais démentie à l’EN et dont l’apprentissage se décompose dorénavant en plusieurs étapes qu’on veillera à respecter scrupuleusement : en CP, les élèves apprennent à « reconnaître la Marseillaise » ; en CE1, ils apprennent un couplet ; en CE2, le même couplet mais par cœur ; en CM1, d’autres couplets. Et pour tous ceux qui n’auraient pas compris, révision générale en cycle 4 (5e, 4e, 3e), avec le drapeau, la fête nationale etc, autant d’incontournables « objets d’enseignement » au programme. Pour la suite au lycée, faisons confiance à l’imagination débordante du CSP.

Dans les programmes, cette référence obsédante aux symboles nationaux n’est pas une chose nouvelle, pas plus que la sacralisation du régime républicain. « Construire une culture civique » se confond avec « acquérir et partager les valeurs de la république », une finalité elle-même noyée dans « le sens républicain de la nation » (sic). La visée identitaire de l’EMC, qui semble sa fonction première, est encore renforcée par l’injonction de plus en plus insistante à faire participer les élèves aux cérémonies « mémorielles », en réalité patriotiques et militaires. De fait, l’éducation à la défense, qui, au fil des ans, s’incruste toujours davantage dans le cursus des élèves, doit aboutir à faire « comprendre le lien entre la défense de la République et la Défense nationale. » Un lien que les professeurs d’histoire-géographie le plus souvent chargés de ce pensum civique auront du mal à expliciter aux élèves : pas davantage que la notion de « défense » (on ne dit jamais « guerre »), celle de république ne fait l’objet d’une tentative de définition. Détail significatif : dans les programmes d’EMC, la République (avec majuscule), regroupe indifféremment tous les régimes qui, en France, se sont attribué cette étiquette depuis 1792, quel que soit le contexte historique, quelle qu’en soit la nature, quels que soient leur mérite… mais aussi leur passif, une république hors-sol en quelque sorte, à l’abri de tout questionnement, de toute remise en cause. Avec un régime politique réduit à sa devise et confondu avec ses symboles, l’éducation prétendument civique vise bien plus le respect de l’autorité et l’obéissance aux lois que l’émancipation des individus.

Dans ces programmes, la notion de respect fait l’objet d’une ahurissante distinction (pas moins de 68 occurrences en 34 pages !) et d’une instrumentalisation malhonnête. « Respecter autrui » : la première en titre des finalités de l’EMC mais surtout un commandement que Blanquer promène comme un mantra sur tous les plateaux de télévision, promue matière scolaire à part entière. On ne reprochera certes à aucune instance éducative de mettre en avant un principe sans lequel aucune vie en société ne serait possible, on ne reprochera pas aux programmes d’EMC de mettre l’accent sur la nécessaire « conscience de la dignité et de l’intégrité de la personne humaine, qu’il s’agisse de soi ou des autres » ou encore sur l’exigence « d’un cadre définissant les droits et devoirs de chacun. » De même il devrait aller de soi – sans qu’il soit besoin d’en faire un programme avec horaire dédié et évaluation officielle – que l’école soit le lieu où « on exprime son opinion et on respecte celle des autres (…), où l’on accepte les différences (…), où l’on apprend à coopérer. » Le problème est que cette prescription morale est d’emblée détournée de sa finalité – vivre en société – au profit d’une injonction règlementaire, celle de se conformer à un ordre politique et social considéré comme inattaquable, au-dessus de tout soupçon : « La morale enseignée à l’école – explique le document – est une morale civique en lien étroit avec les principes et les valeurs de la citoyenneté républicaine et démocratique (…) la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. »

Faire partager les valeurs de la république ? Les élèves seraient-ils naïfs au point de croire aux belles paroles sur le refus de la discrimination ou de la violence alors qu’ils vivent au quotidien, à l’école et dans leur quartier les effets de la discrimination et de la violence institutionnalisées ? Quand la république, ne respecte pas les valeurs qu’elle affiche, qu’elle n’est qu’une étiquette collée sur n’importe quel contenu, un étendard brandi sans scrupules par tous les politiciens, pourquoi faut-il dans ces conditions qu’elle fasse l’objet d’un enseignement obligatoire qui tient plus du dogme, de la croyance que de l’adhésion raisonnée ? Avec les valeurs de la république, il y a tromperie sur la marchandise : on fait semblant de parler liberté, égalité, fraternité mais en filigrane, c’est toujours à la défense d’un ordre politique et social immuable qu’on prépare les futurs citoyens, à l’obéissance aux détenteurs du pouvoir quels qu’ils soient puisque toujours « républicains ». Révélateur de cette dérive, le renforcement, ces dernières années, du message civique délivré/imposé à l’école parallèlement à la brutalisation (policière, sécuritaire) touchant toute forme de contestation.

(1) Souad Ayada, présidente du CSP, devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale (24/01/2018) : “le CSP est au service du ministère et articulé à une volonté politique.”

1 Comment

  1. Beranrd Defrance

    A l’école, la république comme leçon de morale
    Remarquable !
    Puis-je me permettre en complément deux questions ironiques (quoique…) ?
    1. a-t-on le droit, en France, d’être monarchiste ?
    2. est-ce que les enfants de diplomates étrangers représentant des monarchies (Belgique, Espagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark, Norvège, Suède…) ou d’agents économiques divers travaillant en France, scolarisés à l’école publique française, sont tenus de se soumettre à ces «programmes» ?

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