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A l’école comme ailleurs, en finir avec le sang impur qui abreuve les sillons

Il y a quelques jours, à Calais, plusieurs centaines de manifestants descendaient dans la rue contre la présence des migrants dans leur ville, une manifestation – paraît-il – apolitique, même si la présidente du mouvement organisateur, « Calaisiens en colère » avait rencontré Marine Le Pen peu de temps auparavant. Contre l’immigration, les symboles nationaux étaient de sortie, drapeaux tricolores et Marseillaise braillée devant la sous-préfecture, le sang impur abreuvant les sillons prenant pour l’occasion une couleur toute particulière. Si, assurément, pour les manifestants de Calais, ces paroles font sens, il n’est pas interdit de s’interroger sur la signification qu’elles peuvent avoir – ou pourraient avoir – pour des enfants de 6 ans, l’âge de leur apprentissage obligatoire…


La Marseillaise jusqu’à l’overdose

La Marseillaise n’a jamais été absente des programmes scolaires, même s’il fut un temps, jusque dans les années 80, où elle savait se faire discrète ; la société ne s’en portait d’ailleurs pas plus mal. Alors que son grand retour dans les programmes officiels portait la marque de Chevènement (ministre de l’Education nationale de 1984 à 1986), tous ses successeurs ont fait preuve d’une imagination débridée pour assurer à l’hymne national une visibilité accrue, la gauche n’ayant rien à envier à la droite en ce domaine, comme par exemple lorsque le député socialiste Vallini (aujourd’hui ministre) suggérait en 2005 de faire chanter chaque matin la Marseillaise aux enfants des écoles. Si, pour l’instant, le rêve des politiciens ne s’est pas pleinement concrétisé, la Marseillaise occupe une place de choix tout spécialement à l’école élémentaire, dans le cadre des programmes d’EMC du cycle 2 (CP, CM 1, CM 2), rubrique « se sentir membre d’une collectivité », puis à nouveau dans le cycle 3 et enfin, pour les élèves qui n’auraient pas tout compris, en cycle 4 (5e, 4e, 3e), dans l’inépuisable fourre-tout sur « les valeurs de la république ». En 2012, en faisant adopter sa loi d’orientation, le ministre de l’éducation Vincent Peillon s’était fait lyrique : « Nous devons aimer notre patrie […] Apprendre notre hymne national me semble une chose évidente. »

« Notre patrie … notre hymne », des évidences ? Des évidences pourtant si peu incontestables que le législateur s’est senti obligé d’user de menaces et de coercition en instituant (en 2003) l’impensable délit d’ « outrage aux symboles nationaux », passible de six mois de prison et de 7500 euros d’amende, la république réputée laïque ressuscitant ainsi le crime de blasphème qui protégeait autrefois la religion d’état.


Quel hymne pour quelle communauté ?

De fait, la Marseillaise souffre d’une tare indélébile qui lui fait confondre deux registres inconciliables par nature : celui des croyances personnelles, d’ordre privé, sur lesquelles aucune instance politique ne devrait avoir autorité et celui des règles communes que tout individu vivant en société peut être amené à respecter. Alors que les secondes sont légitimes, le fait d’imposer par la contrainte, sans discussion, une sorte de dogme irrationnel – l’identité nationale – ne l’est plus. L’altruisme, la coopération, l’aide apportée aux plus faibles, le respect du travail des autres sont autant de valeurs, d’habitudes, dont la pratique régulière pendant toute la scolarité dispense d’avoir à recourir aux fétiches nationaux pour former des citoyens. Et plutôt que de se référer à une très hypothétique et très imaginaire « communauté de peuple », c’est à la construction d’une communauté d’élèves que doivent œuvrer les éducateurs, avec la garantie que cette dernière est potentiellement plus riche d’avenir que l’autre. De façon d’ailleurs très significative, le renforcement de la place des symboles nationaux à l’école, l’injonction patriotique qui cible cette dernière – tout spécialement depuis les attentats de janvier – accompagnent, dans toute la société bien davantage qu’à l’école, un incontestable délitement du lien social, une perte des repères collectifs, imputables, pour une bonne part, aux dérèglements d’un système économique et d’une organisation politique qui s’avèrent incapables de faire face à l’évolution du monde. Il est alors tellement plus facile de se rassurer en faisant chanter la Marseillaise aux enfants des écoles.

Une pétition contre un tabou

Dans la bouche d’enfants, l’hymne national est d’ailleurs d’autant plus indécent qu’il est bâti sur des paroles dont la brutalité, l’extrême violence devraient en toute logique le maintenir à l’écart des lieux d’éducation. Le débat sur les paroles de la Marseillaise n’est pas nouveau mais toutes les tentatives visant à les humaniser quelque peu ont été repoussées avec indignation tant le sujet, en France, est tabou. Tranchant singulièrement avec ceux de ses collègues qui, sans état d’âme, préparent leurs élèves aux cérémonies patriotiques, une institutrice de Bretagne avait, il y a quelques mois, dans la foulée des attentats de janvier, lancé une pétition sur ce thème (une pétition toujours ouverte, qui attend les signatures) :

« Liberté, égalité, fraternité […] Peut-on réellement se réclamer de ces valeurs et chanter sans état d’âme des paroles qui distinguent sang pur et sang impur, qui distillent la peur et la haine des ennemis, ces féroces soldats, ces barbares qui viennent jusque dans nos bras égorger nos fils, nos compagnes ? […] Finissons-en avec la haine de l’autre, de l’étranger ! A la tyrannie sanglante, opposons l’état de droit et la justice pour tous ! Face à la tentation du repli identitaire, ayons le courage de pousser la porte de ce voisin qui ne nous ressemble pas et construisons ensemble une démocratie saine et généreuse. La France se veut porte-parole des droits de l’Homme. Elle ne peut plus se permettre cette incohérence entre ce noble dessein et cet hymne national au goût de sang. »

La réfutation généralement avancée par les thuriféraires de la Marseillaise se réfère le plus souvent au contexte révolutionnaire qui expliquerait ses paroles, leur donnerait un sens perdu depuis. Argumentation spécieuse : outre que le combat pour les droits de l’homme ou pour n’importe quelle idée ne légitime en rien la violence contre l’autre, le mythe d’une France fondée sur les droits de l’homme pour la promotion des droits de l’homme ne résiste ni à l’analyse historique ni au constat sur leur état actuel. On a même l’impression que plus la république est brutale, plus elle éprouve la nécessité d’agiter ses symboles.

Argumentation spécieuse, donc, mais aussi passablement ridicule : c’est à des enfants de 6-7 ans ( !) qu’est imposé l’apprentissage de la Marseillaise, « en comprenant le contexte de son écriture », précisent les programmes officiels…

L’histoire d’Evelaine, l’instigatrice de la pétition, est d’ailleurs peu banale : déçue par le faible nombre de signatures récoltées, mais obstinée, elle poursuit son combat, depuis la rentrée scolaire, en marchand sur les routes, quelque part entre Saint-Malo (la plage du Sillon…) et Marseille où elle devrait arriver dans quelques jours. Bénéficiant d’un mi-temps annualisé, elle s’est lancée seule dans ce voyage, non pas pour répandre la bonne parole mais pour rencontrer, écouter, témoigner, creusant un sillon qui n’est pas celui du sang impur. Cette aventure humaine (qu’elle relate sur son blog) ne lui rapportera pas les palmes académiques mais permettra peut-être de faire bouger les consciences. Et quelles richesses, aussi, elle fera partager à ses élèves.

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1 Comment

  1. Laure P

    A l’école comme ailleurs, en finir avec le sang impur qui abreuve les sillons
    J’ai eu la chance de grandir dans la France des années post soixante dix: pas de notes, pas de classement pas de Marseillaise et pas de drapeaux.
    Nous chantions Moustaki , Graeme Allwright… Les temps ont bien changé.

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