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2021 : contre l’éducation, le choix des dépenses militaires

Un récent rapport d’Eurydice, le réseau européen des systèmes éducatifs, confirme le très médiocre niveau de rémunération des enseignants français. En Europe de l’Ouest, délimitation géographique seule vraiment pertinente, ces derniers, avec un salaire de départ tournant autour de 27 ou 28 000 euros sont nettement moins payés que leurs voisins : 50 000 euros en moyenne en Allemagne, en Norvège et au Danemark ; entre 30 et 40 000 euros en moyenne en Belgique, aux Pays Bas, en Irlande, en Finlande, en Suède, en Ecosse, en Islande, en Espagne etc.

La constatation n’est pas nouvelle et rien ne laisse espérer une amélioration, au moins dans un proche avenir, au moins en 2021. Car en France, ce n’est pas une priorité. Les priorités sont ailleurs, comme le montre le projet de budget pour l’année qui vient. Face à une crise sanitaire inédite et dans un contexte de désordres environnementaux dont on n’a sans doute pas pris toute la mesure, l’augmentation significative des dépenses militaires atteste dans la société française d’un singulier aveuglement. Dans la société et pas seulement du côté des décideurs, ce choix politique, inlassablement renouvelé année après année, étant massivement approuvé dans un pays qui persiste à accorder à l’armée une confiance pourtant sans rapport avec les services réels rendus à la population. Et la ministre des armées, F. Parly, peut ainsi s’afficher « fière et heureuse de présenter un budget en hausse de 4,5 % » sans susciter la moindre réaction. Une augmentation qui – se réjouit-elle – permettra notamment à l’armée d’acquérir 157 blindés Griffon, 20 Jaguar, une nouvelle frégate multi-missions, 3 nouveaux avions Phénix etc, autant d’annonces qui certes, iront droit au cœur des industriels de l’armement mais dont on ne voit pas vraiment à quelles nécessités concrètes elles répondent, encore moins pourquoi elles sont aussi peu contestées.

Quel rapport avec le salaire des profs, demandera-t-on ? Ou avec celui des personnels hospitaliers ou le financement des services publics ou encore, plus généralement, l’intérêt général ? Il n’est pas nécessaire d’être un savant économiste (ces derniers, d’ailleurs, toujours muets sur le sujet), pour comprendre qu’à partir d’une richesse donnée, ce qui est attribué aux uns ne l’est pas aux autres. Et que le niveau des dépenses militaires de la France (près de 40 milliards d’euros en 2021, le plus gros budget militaire en Europe, le 5e du monde) se répercute mathématiquement sur les dépenses civiles. Si l’on reprend la liste des pays où les enseignants sont nettement mieux rémunérés qu’en France, on constate que, dans tous les cas, les dépenses militaires y sont nettement moins élevées : alors que la part du budget militaire dans le PIB est en France de 2, 3 %, elle est de 1, 2 % en Allemagne, 1, 6 % en Norvège, 0, 9 % en Belgique, 1, 3 % en Espagne, 1,2 % aux Pays Bas, 1, 0 % en Suède, 1, 3 % en Italie. En comparaison de sa richesse nationale, la France dépense pour son armée en moyenne deux fois plus que ses voisins.

Or, ce choix budgétaire et politique qui fait de la préparation de la guerre une priorité, non seulement n’est jamais remis en question mais il fait l’objet d’une surenchère sans fin autour d’une menace imaginaire héritée des manuels scolaires du passé : il faut bien se défendre, paraît-il, mais se défendre contre qui ou contre quoi ? En quoi les sommes colossales englouties par le budget militaire permettent-elles de protéger la population contre un virus meurtrier, contre les catastrophes environnementales, contre toute autre menace qu’on persiste à voir, en dépit des évidences, sous la forme de l’étranger, d’une armée d’invasion ? Mais c’est un tabou qui entoure en France les questions militaires, avec des choix jamais discutés, jamais soumis à la critique, un domaine confisqué le plus constitutionnellement du monde par un chef d’état qui, c’est vrai, a récupéré tous les pouvoirs des monarques d’Ancien régime… légitimés par le vote populaire.

A cette rentrée encore, dans un contexte pourtant propice aux remises en cause (on peut toujours rêver), un choix politique et économique objectivement absurde (et moralement indéfendable) est accueilli par un silence assourdissant. Dans l’opinion publique, dans les partis politiques, chez les syndicats où, décidément, les dépenses militaires s’avèrent comme un angle mort de la contestation sociale. Dans un registre voisin, le doublement des crédits de l’EN consacrés au SNU est passé sans encombre auprès des organisations professionnelles. D’autres préoccupations ? Peut-être, pourtant, avec 61 millions d’euros, on pourrait en acheter des masques…

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