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Sept propositions pour une pédagogie de l’empowerment

L’éducation nouvelle a voulu changer l’école en remettant en question la forme scolaire traditionnelle. Mais cela a conduit à ce qu’elle ne puisse se développer principalement que dans le cadre d’écoles alternatives. L’importance du socio-constructivisme dans la formation des enseignants depuis les IUFM n’a pas pour autant remis en question les pratiques traditionnelles des enseignants car ceux-ci restent mentalement et matériellement contraints par la forme scolaire.

Il est peut-être temps d’envisager le problème sous un autre angle, en développant une pédagogie de l’empowerment (de l’encapacitation).

1. Déconstruire les évidences de la norme scolaire

Les enseignants ont été des élèves et des étudiants qui ont appris dans le cadre de la forme scolaire et qui ont donc intériorisé la norme scolaire. Il s’agit dès lors d’interroger l’évidence de cette forme et du type de rapport au savoir qu’elle produit. Cette interrogation permet à l’enseignant d’éviter de reproduire les caractéristiques de la norme scolaire, qui conduit à qualifier paradoxalement un élève de très ou de trop scolaire.

En effet, les travaux sociologiques montrent que les élèves qui ont un rapport au savoir orienté uniquement par le fait d’avoir des bonnes notes et un bon métier ont un engagement dans la tâche qui est moins puissant que les élèves qui ont des motivations intrinsèques. De même, la norme scolaire conduit à ce que les compétences critiques et de créativité ne soient pas suffisamment travaillées avec les élèves : les travaux scolaires oscillent entre application et analyse/synthèse principalement.

L’interrogation sur la norme scolaire conduit également à expliciter les représentations des élèves dans leur rapport au savoir afin de pouvoir les déconstruire. L’un des objectifs de la formation des enseignants devrait être de leur permettre de prendre de la distance avec la forme scolaire, de les en désaliéner, et de leur permettre de développer leur puissance de critique et de créativité afin qu’ils puissent mieux ouvrir leurs élèves aux dimensions critiques et créatrices du savoir. En effet, la forme scolaire se caractérise par le fait qu’elle ne conduit à travailler principalement comme compétences intellectuelles de haut niveau que l’analyse et la synthèse.

2. L’apprentissage de la résistance à la norme scolaire

Certaines thèses pédagogiques soutiennent que l’enseignant doit être non-interventionniste et que c’est ainsi qu’il peut préserver la spontanéité de l’enfant. Mais une telle position fait abstraction du fait que l’enfant est déjà socialisé dans un milieu qui le contraint : normes de genre, normes de la société de consommation…

L’enseignant peut alors se donner pour objectif d’aider l’élève à résister à la norme scolaire pour qu’il puisse se construire comme un individu curieux, actif, critique et créatif. Cette figure de l’apprenant peut être appelée « apprenant authentique ». En aidant l’élève à ne pas intérioriser les limitations intellectuelles imposées par la forme scolaire, elle peut aider l’élève à développer les compétences critiques qui lui permettront de prendre de la distance avec d’autres normes : celles de genre, celles de la consommation…

Les parents et les élèves de milieux populaires sont d’ailleurs ceux qui associent le plus fortement l’école à la norme scolaire : être sage, bien écouter, recopier, apprendre par coeur, restituer…

L’enseignant aide les élèves à produire un autre cadrage de la situation d’apprentissage scolaire. L’élève doit apprendre à utiliser l’école à son profit. Il doit en faire un instrument parmi d’autres dans sa propre recherche de connaissance. De ce fait, il peut apprendre à développer des “tactiques » (Michel de Certeau) consistant à construire un sens personnel à ce qui lui est appris : que puis-je trouver d’intéressant pour moi dans ce qui m’est enseigné ?

3. Un enseignant expert des stratégies d’apprentissage

Cet objectif fait que l’enseignant explicite l’activité cognitive et métacognitive qui permet de passer du novice à l’expert dans un domaine d’apprentissage. L’expert se caractérise en effet par son engagement dans la tâche et ses buts de maîtrise. Il possède de ce point de vue des caractéristiques de l’apprenant authentique.

Les travaux en psychologie de la motivation ont montré la supériorité de la motivation intrinsèque sur les formes extrinsèques de motivation. L’enseignant peut ainsi expliciter auprès des élèves les formes d’attitude mentale qui sont les plus favorables au développement d’un rapport authentique au savoir.

L’inégalité sociale fait que les élèves n’arrivent pas à l’école avec les mêmes dispositions concernant la capacité à mettre en œuvre un « cadrage instruit » (Carette). C’est pourquoi l’enseignant doit aider les élèves à développer les compétences qui permettent la mise en œuvre de ce cadrage. Cela passe par exemple par le fait d’entraîner les élèves à étoffer leur mémoire sémantique ou à faire des inférences.

De même, l’enseignant peut expliciter les activités mentales qu’effectue l’apprenant authentique durant un cours : il relie les connaissances vues à sa mémoire à long terme et en particulier autobiographique, il fait des liens entre les informations et les organise, il formule des objections, il effectue des inférences qui vont plus loin que le cours, il situe ce qui est appris dans des objectifs de maîtrise personnelle qui se situent au-delà du cours…

4. Un enseignant qui incite les élèves à aller au-delà du cours…

L’enseignant qui désaliène le rapport au savoir au-delà de la norme scolaire se caractérise par le fait qu’il permet aux élèves de ne voir son cours que comme une étape dans leur propre maîtrise des savoirs.

Il les incite par des lectures et des recherches personnelles à avoir une maîtrise des savoirs qui va au-delà du cours.

Il leur permet de parler en classe de ce qu’ils ont découvert par eux-mêmes dans leurs recherches personnelles.

5. Un enseignant qui favorise les capacités d’esprit critique

L’un des objectifs officiels de l’école est de favoriser la formation à l’esprit critique des citoyens. Pourtant nombre d’enseignants, parce qu’ils se coulent dans la forme scolaire, ne répondent pas ou peu à cet objectif.

Résister à la norme scolaire, c’est résister à la tentation d’éliminer les questions des élèves dès qu’elles n’ont pas un rapport direct au sujet ou d’éviter toutes les objections critiques des élèves. C’est entre autres prévoir un peu de temps pour des moments d’expression critique avec les élèves. Nombre d’enseignants s’abritent derrière le programme, la peur de ne pas terminer le programme. Mais pour certains cette crainte masque la peur plus profonde de ne savoir que dire et que faire ou encore d’être capable de rendre une séance intéressante avec des élèves s’ils n’ont pas un programme à traiter.

La résistance à la norme scolaire implique de proposer aux élèves à l’oral comme à l’écrit des travaux qui vont au-delà de la simple restitution de cours et qui permettent aux élèves de développer leur esprit critique.

Cela suppose également de faire travailler les élèves sur des situations problèmes qui leur permettent de transférer les connaissances vues dans le cadre scolaire pour analyser des situations complexes authentiques et significatives. Cela implique également de montrer aux élèves que les coupures entre disciplines sont artificielles et donc de les faire travailler sur des projets transdisciplinaires.

6. Un enseignant qui favorise les capacités créatives

Nombreuses sont les personnes, quelles que soient leurs appartenances idéologique, qui considèrent que l’enseignement doit favoriser les capacités créatives des élèves. Cette attente de créativité est également présente dans les compétences qui sont requises des enseignants : liberté pédagogique et innovation, droit à l’expérimentation…

Cela suppose que l’enseignant donne la possibilité aux élèves, dans les travaux qu’il leur propose, d’exprimer leur créativité. Les travaux ne doivent pas se limiter à une simple restitution de cours qui ne fait que travailler l’application et au mieux l’analyse/synthèse.

7. L’enseignement comme engagement militant favorisant la conscientisation sociale

L’enseignement d’éducation morale et civique demande aux enseignants de valoriser l’engagement dans l’espace public. Mais comment un enseignant qui n’a pas lui-même d’engagement dans l’espace public peut-il parler de manière crédible à ses élèves de l’engagement ?

En formant à l’esprit critique, l’enseignant doit développer chez ses élèves la capacité à résister à la soumission à l’autorité, au conformisme de groupe, aux normes dominantes (de genre, xénophobes, consuméristes…)

L’enseignant doit outiller les élèves pour les aider à lutter contre l’aliénation de leur existence par le capitalisme et la société marchande.

Mais l’engagement de l’enseignant va au-delà dans un système scolaire qui reproduit les inégalités sociales. Or la France est le pays de l’OCDE qui reproduit le plus les inégalités sociales à l’école.

L’enseignant doit avoir suffisamment de conscience sociale pour aider les élèves à acquérir eux-mêmes une conscience sociale et des outils qui leurs permettent d’analyser leur situation sociale.

L’enseignant doit être en capacité de mettre en lien l’aliénation de l’existence avec les conditions sociales de celle-ci.

Annexe :

Charte des droits des élèves
à un enseignement non-aliénant et un rapport authentique au savoir

1.Le droit à la curiosité intellectuelle : L’élève a le droit à ce que l’enseignant prenne en compte ces questions même si celles-ci n’ont pas un lien direct avec le programme.

2. Le droit à l’esprit critique : l’élève n’a pas uniquement à recevoir un savoir sans avoir le droit d’en faire la critique.

3. Le droit à la liberté intellectuelle : les élèves ont le droit à un horizon intellectuel au-delà du cour de l’enseignant.

4. Le droit à l’imagination créative : les élèves ont le droit d’utiliser leur imagination créative à l’école.

5. Le droit de comprendre le monde : l’élève a le droit à ce que les savoirs que lui enseignent ses professeurs lui permettent de mieux se comprendre et de mieux comprendre le monde dans lequel il vit.

6. Le droit d’exprimer ses passions : l’élève a le droit à l’école de pouvoir faire partager ses passions aux autres élèves.

7. Le droit de ne pas travailler juste pour la note : l’élève à le droit de ne pas travailler uniquement pour la note, mais parce qu’il veut mieux maîtriser des connaissances.

8. Le droit à un travail scolaire non-aliénant : l’élève à le droit à un travail scolaire intéressant et non pas uniquement composé d’exercices répétitifs d’application.

2 Comments

  1. Anonyme

    Sept propositions pour une pédagogie de l’empowerment
    J’ai trouvé passionnant tout ce que vous disiez. Sur la motivation extrinsèque qui réduit durablement la motivation intrinsèque, même quand on se met à faire confiance à la capacité d’apprentissage de l’enfant, j’ai été très intéressée par le livre (et les travaux en général) de Alfie Kohn, “Aimer nos enfants inconditionnellement”.

  2. Fabien P

    Sept propositions pour une pédagogie de l’empowerment
    Très intéressant. Finalement, l’éducation devrait être un mouvement d’accompagnement de l’apprenant et non pas une marche forcée. C’est vrai que le cadre scolaire fait que l’on “casse” critique, initiative et créativité des élèves au nom du programme (cette espèce de sainte bible qui devient une excuse à tout). En le disant c’est bête, mais on a l’impression que c’est le bon sens même, prendre ces jeunes êtres et partir d’eux pour suivre leurs chemins, et non pas les guider dans un chemin pensé pour eux (et donc intrinsèquement inadapté à eux). D’ailleurs cela me fait même penser à ce vieux dicton : “l’élève a dépassé le maître”, cela n’est possible que si le maître accepte l’idée qu’un jour il sera dépassé et qu’il autorise de fait les moyens à l’élève de le dépasser, en prenant d’autres chemins.

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