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L’école du peuple de Véronique Decker : revue de presse

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« L’école du peuple sera l’œuvre des éducateurs du peuple », Célestin Freinet.

Véronique Decker, directrice d’école à Bobigny, reprend la plume et livre 64 billets inspirés par son quotidien d’enseignante et de cadre de l’Éducation nationale engagée au service de ses élèves de la cité Karl-Marx.
Il y est question d’apprentissages lents, d’éveil au monde, de pédagogie Freinet, de fraternité, d’amour et d’empathie, mais aussi d’injustice et de casse de l’école, des quartiers populaires et des solidarités.
Celle qui entame ses dernières années d’exercice livre un regard rétrospectif tantôt sombre parfois cocasse, mais résolument combatif.

L’auteure
Véronique Decker vit et travaille à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Directrice impliquée, citoyenne engagée, formatrice, syndicaliste, elle propose ici un récit fort, après le succès de Trop classe ! en 2016.



arton1065-d1120-2.gif L’école du peuple

Véronique Decker
Collection N’Autre École / Q2C n° 9
Libertalia, 124 p., juin 2017,
Prix : 10 € + 2,84€ de frais de port







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Enseigner dans le 9-3

Véronique Decker
Collection N’Autre École / Q2C n° 6
Libertalia, 128 p., mars 2016,
Prix : 10 € + 2,75 € de frais de port
Descriptif







Presse, radio et TV


Véronique Decker était l’invitée du « 13 h » de Marie-Sophie Lacarrau sur France 2, le 21 juin 2017.


Rencontre avec Véronique Decker sur Brut./France Info (juin 2017) :
www.francetvinfo.fr/societe/education/on-a-de-plus-en-plus-deleves-sans-logement-une-directrice-decole-temoigne_2229755.html



Véronique Decker participait à l’émission Rue des écoles du 21 mai 2017 sur France Culture :
www.franceculture.fr/emissions/rue-des-ecoles/education-12-eleves-par-classe-est-il-possible







Publié le 19 juin 2017 sur mediapart.fr.
Véronique Decker raconte les misères de « l’école du peuple »

Un an après la parution de son premier livre, Véronique Decker raconte, dans un nouvel ouvrage baptisé L’École du peuple, son quotidien de directrice d’école élémentaire à Bobigny, en Seine-Saint-Denis. Aux premières loges, elle assiste au délitement des services publics et à la précarisation des habitants, qui ne peuvent plus se soigner, se nourrir ou se loger.

Les combats du quotidien, Véronique Decker en a cent. Elle vient, par exemple, d’essayer de convaincre une mère de ne pas faire manquer 15 jours de classe à sa fille dès la rentrée pour cause de vacances prolongées. Elle a dû lui expliquer que celle-ci serait handicapée dans son apprentissage en commençant l’année scolaire en retard. Elle est aussi habituée à aider des familles démunies à se repérer dans le dédale de l’administration française. Plus grave et plus rude, elle doit accompagner les enfants dont la nuit reste suspendue aux appels au 115 pour dénicher un hébergement d’urgence.

Contrairement aux apparences, Véronique Decker n’est pas assistante sociale mais directrice de l’école Marie-Curie à Bobigny, en Seine-Saint-Denis. Sa mission, et c’est pour cela aussi qu’elle l’aime, déborde du cadre purement scolaire. Voilà pourquoi elle milite pour que la réussite scolaire soit rebaptisée « réussite sociale », tant la professeure voit chaque jour à quel point leurs conditions de vie ont une influence sur le destin scolaire des enfants dont elle s’occupe. Les livres sur l’école pullulent. Souvent écrits par des théoriciens qui regardent leur objet d’une position en surplomb, sans donner la parole à ces acteurs courageux qui, chaque jour, subissent les décisions venues d’en haut et doivent composer avec des injonctions parfois ubuesques.

Dans son nouvel ouvrage, fort justement baptisé L’École du peuple (éditions Libertalia), elle réussit un tour de force. Piquante, elle parvient à évoquer la pauvreté à l’école, les ghettos urbains entretenus par la République, les petits désespoirs qui jalonnent ses journées, sans jamais verser dans le misérabilisme ou se départir de son humour. À tel point que cette lecture apparaît presque frustrante, tant elle donne envie d’en savoir plus sur la situation des protagonistes du récit et de creuser les multiples sujets évoqués. Par ailleurs, pour préserver l’anonymat des concernés et éviter qu’un enfant puisse se reconnaître et se sentir blessé ou trahi, l’auteure a veillé à brouiller tout repère temporel et topographique.

Bien entendu – et elle ne s’en cachait pas dans son premier ouvrage, paru en 2016 aux mêmes éditions Libertalia, Trop classe ! Enseigner dans le 9-3 –, la lassitude l’étreint après trente-trois années passées dans l’enseignement en zone prioritaire. Elle voulait souffler un peu avant de prendre sa retraite. Elle avait demandé à quitter l’école nichée au cœur de la cité Karl-Marx, à Bobigny, pour achever sa carrière au vert, en Corrèze. L’administration n’a pas jugé bon de satisfaire sa requête. Alors, Véronique Decker a continué d’écrire. Le premier essai était un livre d’adieu, le second, un livre de transmission. Si elle parvient à ne pas ployer sous la tristesse, c’est parce que le fait de raconter et de dénoncer ces situations lui permet de se dire qu’elle a au moins tenté de faire quelque chose face à des difficultés grandissantes.

En 64 billets courts et enlevés, la directrice explore l’école dans ces territoires que certains disent perdus pour la République. Il est facile de graver aux frontons des établissements scolaires de grands et beaux principes comme Liberté, Égalité, Fraternité. Encore faut-il que les faits s’accordent à cette devise. Véronique Decker ne baisse pas les bras et ambitionne de donner corps à des tranches de vies humaines souvent rudes, des situations sociales délicates. Sans jugement : « Je ne veux pas taper sur les gens. Oui, parfois les parents ne font pas ce qu’ils devraient, mais ils font du mieux qu’ils peuvent. Je ne suis pas là pour juger les instituteurs qui sont parfois mauvais comme les parents. Dans la vie, les gens font du mieux qu’ils peuvent. J’essaie de ne pas écrire quelque chose de stigmatisant et de faire émerger les raisons des vrais problèmes. »

Et parmi ces « vrais » problèmes, Véronique Decker n’inclut pas la religion, volontairement : « J’en ai ras-le-bol que le foulard devienne l’alpha et l’oméga de la banlieue. » Encore une fois, la professeure engagée, adhérente de SUD Éducation, férue de la pédagogie émancipatrice de Célestin Freinet, qu’elle applique dans son école, explique ne pas avoir la prétention de connaître « les banlieues », mais avoir des choses à dire sur la sienne.

Sans surprise, dit-elle, les habitants de ces quartiers sont emmurés dans des « ghettos » et subissent de plein fouet une intense « régression sociale ». Véronique Decker raconte avoir vu la dégradation des conditions de vie autour d’elle. Elle a vu aussi disparaître la mixité sociale. En consultant son vieux registre aux dates de ses premières années d’enseignement, elle constate qu’alors, cette banlieue connaissait « une véritable mixité de l’origine des élèves. Certes, la cité Karl-Marx est une cité HLM, donc on n’y croise pas de gens “riches”. Mais il y avait des ouvriers qualifiés, des employés, des instituteurs, des employés des postes, des descendants d’habitants de toutes les régions de France et de toutes les immigrations du XXe siècle ». Aujourd’hui, son école, écrit-elle, est devenue « un ghetto ethnique ».

Loin des caricatures des quartiers populaires, Véronique Decker relate par exemple comment, un soir à Bobigny, elle a croisé deux jeunes hommes noirs au corps imposant, sculpté par la musculation, tous deux encapuchonnés. L’archétype des jeunes qui font peur. « Les enfants des banlieues ne sont pas des sauvageons, et pour qu’ils ne soient pas notre épouvante, il ne faut pas les craindre », écrit-elle. Ni se laisser piéger par les préjugés.

Elle narre aussi les histoires de ces enfants si jeunes et déjà aux prises avec des responsabilités d’adultes. Elle se souvient de cette petite fille qui a dû s’occuper seule de sa petite sœur, tombée malade, alors que ses parents avaient laissé leur progéniture à un proche, qui s’est évanoui dans la nature, pour une visite au pays natal. Ou encore cet élève qui devait gérer pour sa famille analphabète des démarches administratives. Il s’alarmait de la baisse du salaire de son père, embauché sur un chantier. Le patron indélicat avait simplement décidé d’amputer le salaire de la prime de panier, au motif que, pendant le ramadan, les employés ne déjeunent pas. Véronique Decker a réparé la situation en un coup de fil, administrant ainsi en direct à cet enfant une leçon d’éducation civique.

Le témoignage de la directrice reste précieux. Elle a vécu les mutations sociales et les politiques scolaires. Elle relève les dégâts de la suppression par Nicolas Sarkozy de la formation initiale et continue. Elle a vu arriver des cohortes de jeunes professeurs, bardés de diplômes mais n’ayant aucune idée de la manière de tenir une classe et de réaliser des activités stimulantes pour des enfants d’un milieu social délicat. Le genre d’environnement qui plombe une scolarité et brise un destin scolaire.

Sans oublier la saignée de l’ère Sarkozy, qui a vu 80 000 postes d’enseignants supprimés. L’équation est simple, écrit-elle : « Pour économiser les deniers publics, le gouvernement de droite a tenté de les supprimer. Beaucoup de postes ont disparu. Puis le gouvernement de gauche a décidé de les rétablir, mais sans embaucher pour rouvrir les postes supprimés, et même en continuant à supprimer les postes existants. Aujourd’hui, la seule différence entre la droite et la gauche, c’est que la droite annonce qu’elle va faire reculer l’école publique, alors que la gauche annonce l’inverse, mais sans faire ce qu’elle annonce. »

C’est aussi une directrice qui sature sous le poids des préconisations péremptoires, alors même que les moyens manquent. Elle s’agace du phénomène Céline Alvarez, la professeure qui a écrit un livre à succès dans lequel elle décrit sa méthode miracle pour vaincre l’échec scolaire. Avec ce détail qu’elle a bénéficié d’une débauche de moyens matériels et humains pour mettre en œuvre son expérimentation à Gennevilliers. À Bobigny, il n’y a même pas d’agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM), qui pourrait soulager les équipes pédagogiques. Difficile, dans ces conditions, de réaliser des prouesses hors norme.

En réalité, raconte Véronique Decker, c’est encore pire que tout, même l’alarme incendie et la chaudière ne sont pas en bon état de marche. Ce qui lui fait dire qu’« à force de bosser en banlieue, on s’habitue à ce que rien ne fonctionne normalement ».

D’autres manques sont criants et ont des conséquences dramatiques. La médecine scolaire est aux abonnés absents. Les parents n’ont pas les moyens d’aller consulter et leurs enfants souffrent en silence. De toute façon, les praticiens ont déserté la ville. « Ils s’installent là où les gens sont riches et où ils ne paient pas avec la CMU [la couverture maladie universelle], l’offre de soin s’effondre chez nous », explique-t-elle. Véronique Decker note le peu d’orthophonistes, de pédiatres et de psychologues qui ont installé leur cabinet à Bobigny.

Ses élèves ont des troubles de la vue et les bouches pleines de caries, résultat de leur alimentation beaucoup trop sucrée. « Les enfants de banlieue sont élevés au sucre », déplore-t-elle. Pour elle, le poids reste un marqueur social indéniable : « Quand vous regardez un rang d’élèves BCBG, ils sont tous menus et minces. Dans chaque classe en banlieue, il y a deux, trois ou quatre enfants obèses. C’est le signe que les gens laissent filer cela. Les parents voient bien que leur gamine pèse 70 kg en CM1. Mais ils ont tellement d’autres soucis plus importants… »

Elle appelle cela « l’addition des difficultés ». En 2015 pourtant, un rapport de l’inspecteur général Jean-Paul Delahaye a exploré cette thématique de la pauvreté à l’école. Il expliquait qu’environ 1,2 million d’enfants, soit un enfant sur dix, vivent dans des familles pauvres. Cette enquête mettait en évidence ce qui reste un tabou dans la sixième puissance mondiale, où les élèves ne devraient pas avoir faim ni se ruer sur leur repas à la cantine. Seulement, ce travail n’a fait l’objet d’aucune action politique d’envergure, juste quelques promesses incantatoires.

Au milieu de cette situation désespérée, des miracles se produisent. La directrice a par exemple réussi à scolariser des enfants roms des bidonvilles, qui n’avaient jamais mis les pieds dans une école. « Il a fallu leur apprendre encore plus que d’apprendre à lire et écrire. Ils ont découvert des choses très simples, comme le fait de devoir attendre son tour et d’être respectueux. »

Véronique Decker a aussi connu une période de relative opulence, difficile à croire aujourd’hui. La création des zones d’éducation prioritaire (ZEP), en 1982, par Alain Savary, a ouvert un horizon inattendu : « Nous avons eu des moyens. Quand j’ai commencé il y a 33 ans, j’avais 35 élèves dans ma classe. Avec l’arrivée des ZEP, les effectifs ont baissé à 23. On avait l’argent de l’État, du contrat de ville, de la mairie, qui arrivait pour financer nos projets. J’ai même eu une classe à projet artistique et culturel, ce qui était rare. Aujourd’hui, tout cela est fini. Ceux qui arrivent maintenant pensent que le manque de moyens est la norme. »

Aujourd’hui, Véronique Decker a le sentiment que l’école des quartiers populaires souffre et se meurt à cause d’abandons multiples. Les instituteurs sont moins impliqués, « moins syndiqués, moins militants ». Pour elle, même « les mômes issus de l’immigration ne veulent plus mettre leurs enfants dans le public. Ils veulent autre chose. Du privé, du Montessori et surtout ne pas se mélanger avec les nouveaux arrivants. L’égoïsme social triomphe. Chacun pense qu’il va s’en sortir seul. Je vois arriver la guerre et la catastrophe. Le seul espoir que j’aie, c’est de réussir avec ce petit livre à ce que la société ne s’apitoie pas sur le sort de la banlieue, mais réfléchisse sur les inégalités sociales ».

Faïza Zerouala

L’École du peuple dans Le Parisien

9 juin 2017.

Elle raconte son « école du peuple »

Un an après la sortie de son premier livre, Véronique Decker relate dans un nouvel ouvrage son quotidien de directrice d’école.

L’écriture n’est pas devenue un virus, mais presque. Un an après la sortie de son premier livre, Véronique Decker, directrice de l’école Marie-Curie à Bobigny, a repris la plume. Dans L’École du peuple, qui vient d’être publié, elle relate la suite de son quotidien dans cet établissement situé au cœur de la cité Karl-Marx. « C’est mon éditeur qui m’a proposé de faire ce nouveau bouquin. Je n’étais pas convaincue au départ, mais quand j’ai appris l’été dernier, qu’après plus de trente ans de carrière dans le département, ma demande de mutation avait été refusée, je me suis consolée en faisant cet ouvrage. Il est moins anecdotique que le premier. Je partage davantage mon expérience, car il y a de nombreuses choses que je souhaite transmettre avant de partir à la retraite », raconte cette mère de famille de 59 ans, qui n’avait pas eu de retour sur son premier livre de la part de l’Éducation nationale.
Dans cet ouvrage, celle qui affirme avoir « toujours aimé enseigner dans le 93 », décrit un métier aux facettes multiples, où elle joue à la fois le rôle de directrice, assistante sociale, infirmière…
« Il n’y a rien d’ouvert dans le quartier à part l’école ! Alors forcément, les gens viennent nous trouver. » Mais elle raconte aussi une profession en perpétuelle mutation, où les réformes se font et se défont au gré des différents gouvernements. « L’Éducation nationale marche en zigzag, ce qu’il nous faudrait, c’est enfin un cap, une ligne droite ! » s’émeut la chef d’établissement qui tirera sa révérence dans deux ans.

Hélène Haus

Sur Slate.fr, le 2 juin 2017.

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Photo Yann Levy / Hans Lucas.

Une enseignante extraordinaire raconte ce que les enfants et les familles vivent aujourd’hui

Des livres sur l’école, j’en lis vraiment beaucoup, certains me marquent plus que d’autres. C’est le cas des deux ouvrages de Véronique Decker, directrice d’école à Bobigny, Seine-Saint-Denis. Le dernier est intitulé L’École du peuple, soit 64 récits tirés de son quotidien. Il est sorti le 1er juin aux éditions Libertalia et coûte 10 euros. Peu de pages, mais une immense émotion et une profonde réflexion sur l’école dans les quartiers populaires dans ce livre aussi précis qu’empathique. Il y est vraiment question des enfants, de leurs parents, de leur vie. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce constat révolte et réveille.

Enseigner dans les quartiers populaires, enseigner partout finalement, c’est se frotter à des réalités différentes des siennes. Parfois âpres, car tous les enfants de France ne sont pas élevés dans du coton, loin de là. Pendant la campagne présidentielle, l’Unicef rappelait ainsi que trois millions de mineurs vivent, en France, sous le seuil de pauvreté :

« La pauvreté des enfants ne baisse pas depuis la crise de 2008, l’école de la République ne parvient pas à résorber les inégalités sociales, des enfants vivent toujours en bidonville avec un accès plus que précaire aux services de base auxquels ils ont droit. Les chances de s’épanouir, d’apprendre, de réussir ne sont pas les mêmes pour tous et les inégalités s’accentuent. »

« On revient au XIXe siècle »

Si vous voulez comprendre comment on en est arrivé là, allez enseigner dans une classe d’un quartier populaire, rural ou urbain, vous y verrez des enfants dont l’existence est probablement terriblement plus compliquée que la vôtre. Cela commence avec la santé, explique Véronique Decker :

« Beaucoup d’enfants de mon école auraient besoin d’une visite chez le dentiste mais n’y vont pas malgré leurs carries. C’est trop compliqué de les y emmener. Une élève de l’école avait besoin de lunettes, sa mère, n’ayant plus de mutuelle, lui a simplement prêté les siennes. On revient au XIXe siècle ! »

Cela ravive en moi le souvenir d’un élève de quatrième dont j’ai été l’enseignante quelques mois il y a deux ans, il clignait beaucoup des yeux… Il avait des difficultés de lecture et je le croyais un peu ahuri. L’année suivante, j’ai appris qu’il avait une grave maladie qui allait le rendre malvoyant pour toujours. Personne n’avait pensé à l’envoyer chez un ophtalmo, pas de visite médicale, d’infirmière scolaire, on peut devenir aveugle comme ça, au XXIe siècle.

Dans son ouvrage, Véronique Decker s’inquiète aussi du surpoids de nombre des enfants qu’elle considère « élevés au sucre ». L’obésité est aussi une maladie sociale : la Croix-Rouge nous apprend ce mercredi 30 que pas moins de 13 000 étudiants parisiens sautent 4 à 6 repas par semaine. En même temps, où sont les médecins scolaires qui assurent la prévention ? Manifestement, pas aux endroits où on a le plus besoin d’eux, comme à Bobigny :

« Nous devrions avoir trois médecins scolaires à Bobigny, mais ils ne sont pas pourvus et nous n’avons qu’un demi-poste. Les salaires sont tellement bas… Il faudrait être un fou républicain pour venir travailler ici comme médecin scolaire. »

« On a les problèmes sociaux, on peut pas tout avoir »

Cette pénurie de moyens humains s’étend aux emplois sociaux. Dans L’École du peuple, Véronique Decker souligne à quel point les assistantes sociales sont en nombre insuffisant pour les familles de Seine-Saint-Denis : « Il n’y en qu’à Paris ! Nous, on a les problèmes sociaux, on peut pas tout avoir », rigole-t-elle, amèrement. Dans les écoles, le boulot des assistantes sociales, c’est parfois le personnel scolaire qui doit le faire, continue la directrice :

« Je passe beaucoup de temps à faire des tâches d’assistante sociale parce qu’on manque de moyens humains. Et puis la dématérialisation de l’aide sociale est délirante : pour obtenir l’aide du département à l’entrée au collège (200 euros), il faut scanner un justificatif de domicile et obtenir un code auprès du collège. Il faut être connecté, bon lecteur et bien au fait des procédures administratives pour s’y retrouver, les familles qui en ont le plus besoin finissent par abandonner, cette aide profite à ceux qui en ont le moins besoin et pas aux autres. »

Lire le petit livre de Véronique Decker, c’est entrer dans la peau d’une directrice d’école qui voit des gamins sans domicile fixe. Parce que la rénovation urbaine en banlieue a abouti à la destruction de beaucoup de logements sociaux remplacés par de l’accession à la propriété, explique la directrice. Des familles se retrouvent en carafe, logés de manière précaire chez des parents et, un jour, des élèves n’ont plus d’endroits où dormir (on est toujours en France, en 2017). Vous vous verriez dire « à demain » à un enfant de 8 ans qui ne sait pas où il va dormir ? C’est ce que doivent faire certains enseignants, plus nombreux qu’on ne le pense. À lire le livre, on a les larmes qui montent aux yeux et on ne peut s’empêcher d’éprouver une énorme colère. Véronique Decker répète comme une comptine le message d’attente du 115 de la Seine-Saint-Denis, qui met tant de temps à répondre :

« J’ai de plus en plus d’élèves pour qui on appelle le 115 – et dans toutes les catégories d’origines géographiques, plus seulement des élèves roms. On a cassé des tours à Bobigny, elles étaient moches d’accord, mais où doivent aller les gens ? C’est nous à l’école qui récupérons les cas d’enfants mal logés. Comment apprendre dans de telles conditions ? »

Et il n’y a pas qu’en banlieue que les enfants souffrent de la crise. Dans le documentaire Les Enfants du terril, diffusé récemment sur France 2, le réalisateur Frédéric Brunnquell, bien loin des banlieues, montre deux enfants qui habitent à Lens, dans un quartier désindustrialisé, paupérisé, des enfants pour qui l’école ne représente pas le moindre espoir. Là aussi, on est interpellé par le sentiment que la pauvreté se transforme en malédiction et que les filets de sécurité qu’on imagine encore exister en France fonctionnent mal, ou à peine.

« J’ai connu l’époque où la situation s’améliorait »

Si l’école souffre, elle aussi, d’une diminution des moyens, cela n’a pas toujours été le cas, souligne Véronique Decker :

« Je suis en Seine-Saint-Denis depuis 33 ans ! J’ai connu l’époque où la situation s’améliorait. Dans les années 1980, d’année en année, on avait plus de moyens, d’aides et de formation pour nous les profs. Et, même après la grande grève en 1998, nos moyens avaient encore augmenté – on avait même eu 4 000 postes dans le 93. En 2003, on a pris une claque après l’augmentation de l’âge du départ de la retraite – je vais faire neuf ans de plus que ce que je pensais quand on m’a embauché, ce n’est pas un “petit effort”. À partir de 2005, les moyens ont diminué de plus en plus. On a perdu des assistants d’éducation, des emplois de vie scolaire. Quand Sarkozy a supprimé la formation des enseignants, on a eu des vacataires sans formation qui enseignaient avec leur souvenir du Petit Nicolas de Sempé pour tout bagage pédagogique. »

L’école finit par reculer au lieu d’avancer. Faute de crédits municipaux, c’est maintenant vers des associations privées qu’il faut se tourner pour acheter… des livres pour la bibliothèque de l’école.

À l’heure où la pédagogie Montessori est tant à la mode, où la méthode de Singapour est encensée pour les résultats en mathématiques qu’elle permet d’obtenir – Véronique Decker rappelle que, pour faire des sciences et des maths, le matériel de manipulation est essentiel… or son école ne peut pas se le payer :

« Cela fait quinze ans qu’on est liés par les appels d’offre de la mairie qui ne permet pas d’acheter du matériel adéquat de manipulation pour les maths et les sciences. On est revenu aux idées que l’école c’est cahier/crayon/manuel ! Là aussi c’est une fondation privée qui m’a aidée à me procurer le matériel pédagogique adéquat. »

Est-ce une parole de militant ? C’est la parole de ceux qui fréquentent le terrain. Pour avoir travaillé comme professeure, mais aussi grâce à mes reportages dans des zones d’éducation prioritaire, je vois ce à quoi Véronique Decker fait référence, et je reconnais des élèves croisés dans mon parcours à travers les portraits qu’elle dessine. L’enseignante se défend d’ailleurs des a priori dont on pourrait taxer une enseignante engagée comme elle l’est – dans un type de pédagogie (Freinet) et appartenant à un syndicat (Sud éducation). Mais, pour écrire, elle est partie de ses observations :

« J’essaie de réfléchir à partir du réel et de ne pas plaquer des schémas. Quand on est prof, on voit aussi la violence sociale à travers l’expérience des enfants, on voit la réalité du monde. Les questions que je me pose c’est celle que me pose et qu’a me posé la réalité tout au long de ma carrière. J’ai des convictions mais jamais contre la réalité. C’est d’ailleurs la logique de la pédagogie Freinet que d’être dans le tâtonnement expérimental. »

Véronique Decker n’a pas de méthode miracle à vendre, elle n’a pas de solutions toutes faites, elle est armée de son humour – je l’ai entendue parler à une mère d’élève lors de notre entretien, c’était réjouissant – et de beaucoup d’optimisme. C’est l’un des invariants pour les adeptes de la pédagogie Freinet, l’optimisme. Je me suis donc dit que si elle-même était optimiste, nous ne devions pas être pessimiste, mais au moins réalistes. Cesser de parler des enfants de milieux populaires seulement à travers des inégalités d’apprentissage, comme si toutes les écoles avaient des moyens similaires, comme si les parents ne faisaient pas assez bien leur boulot de parents, comme si la violence économique ne comptait pas, comme si c’était seulement le problème de l’école. C’est le problème de tous.

Louise Tourret

La Lettre de l’éducation (hebdomadaire du groupe Le Monde destiné aux professionnels de l’éducation), 22 mai 2017.
Dans la vraie vie de l’école

L’affaire est entendue : on ne fait pas un système éducatif qu’avec des professeurs exceptionnels, charismatiques et lumineux, laissant un souvenir impérissable à leurs élèves. On le fait avec des gens « normaux ». Il n’empêche : dans ce vaste univers scolaire, où ne manquent pas les défis les plus âpres, les fortes personnalités sont nombreuses, et elles comptent pour beaucoup dans la bonne marche – ou la marche tout court – des choses. Véronique Decker, directrice d’école en Seine-Saint-Denis depuis des dizaines d’années, pédagogue Freinet, syndicaliste, intraitable protectrice de la scolarité des petits Roms que malmènent les expulsions, est l’archétype de l’enseignante engagée… dont la constance et les formes d’engagement inspirent le respect à ceux qui ne pensent pas comme elle ou ne partagent pas toutes ses colères. À ces caractéristiques, elle ajoute un talent de conteuse qui se confirme, avec cette deuxième livraison (après le succès, en 2016, de Trop classe !) de ses chroniques d’école. On peut lire ce livre dans l’ordre ou l’ouvrir au hasard : à tout instant le lecteur est dans la vraie vie, réjouissante ou poignante, de cette « école du peuple » dont elle décrit et décrypte le quotidien. À lire pour quiconque veut comprendre quelque chose à ce qui se joue derrière les mots de « banlieue » et d’« éducation prioritaire ».

Luc Cédelle

« Le Café pédagogique », 31 mai 2017.

Vous connaissez les haragas ? Véronique Decker, directrice d’une école Rep+ (éducation prioritaire) les connaît. Elle les présente dans son second livre, L’École du peuple, qui sort le 1er juin. Les haragas sont ces enfants rétifs à l’école, qui la traversent sans en profiter. Enfants de familles précaires, de foyers où l’insécurité règne. « Pour chacun d’eux il nous faudrait le double de temps, le double de personnel, le double de qualifications », explique-t-elle. La suite de Trop classe, paru l’an dernier, nous ramène ainsi à l’école de Bobigny. Véronique Decker n’a pas eu sa mutation et garde le gouvernail de sa grande école secouée par les vagues de la précarisation des familles… Un reportage tendre mais lucide d’une école qui sombre dans l’apartheid.

Ce nouveau livre nous fait toucher du doigt le quotidien d’une école de quartier populaire. Ce n’est pas forcément un quotidien triste. Il y a ces enfants qui viennent dire « merci » pour un bon moment passé à l’école. Il y a les anciens élèves qui n’ont rien oublié. Il y a tous ces petits regards qui brillent d’intelligence. Et toute l’empathie de Véronique Decker.
Mais c’est un quotidien misérable. Véronique Decker raconte le médecin scolaire absent, le Rased démantelé, la chaudière qui claque et l’école qui manque de tout.
Elle raconte aussi l’institution Éducation nationale. Il faut lire les pages qu’elle consacre au Plan de lutte contre les difficultés scolaires lancé en 2011. « On doit “poursuivre la mobilisation”. Pas eu le sentiment non plus d’une mobilisation générale… On doit “recevoir des préconisations”, mais on en a tout le temps, et souvent contradictoires au point d’avoir le tournis… Il faut. Il faut. Il faut. Je suis d’accord avec une bonne partie des préconisations… Mais je suis saturée de préconisations qui ne sont assorties d’aucun autre chemin que celui d’obéir à des ordres infaisables. » Tout est dit, non ?
Véronique Decker : « Ce qui est important c’est que les enfants soient élevés ensemble »

C’est quoi être directeur aujourd’hui dans un quartier populaire ? Véronique Decker montre comment l’école publique sombre. Pire. L’école publique semble condamnée à devenir l’école des pauvres. Regarder l’école c’est regarder une société se défaire…

Le livre raconte, au fil du souvenir, le métier de directrice d’une école Rep+ à Bobigny (93). Comment définiriez-vous aujourd’hui le rôle d’une directrice d’école en Rep+ ? C’est un travail d’assistante sociale ?

Je ne le définirais pas comme cela. Le travail du directeur c’est faire en sorte que l’école fonctionne. Et pour cela il faut se tenir au milieu d’un nœud de problématiques et il faut être capable de trouver les bonnes ressources pour les régler. Le souci du directeur c’est que ces ressources ont diminué. Donc le directeur se retrouve souvent seul face aux problèmes.
Il y a une vraie déperdition de l’entourage social de l’enfance. Or c’est ça qui faisait la grandeur de l’école publique. Les écoles avaient le sou de l’école et les municipalités étaient fières de donner à l’école. Aujourd’hui les élus ne le font plus.
On est entré dans la société du chacun pour soi. L’école publique est devenue l’école des autres, pas celle des enfants des élus. On est dirigé par des gens qui ne connaissent pas l’école publique. Macron par exemple ne la connaît pas. Il ne lui doit rien. Gageons qu’il ne l’aime pas.

On sait qu’il y a eu un plan et des millions versés pour la réforme de l’éducation prioritaire. Mais quand on vous lit, on a l’impression qu’à Bobigny, dans votre école, rien n’a changé. C’est vraiment le cas ?

C’est pire. Paradoxalement mon école REP+ a moins de moyens qu’avant quand elle était une simple ZEP, même pas ECLAIR ou RAR. Les moyens pour l’école se sont effondrés depuis les années 1990.
Je disposais de deux assistantes administratives et deux assistants d’éducation. On pouvait financer des projets grâce à des fonds venant de l’académie, du ministère de la Ville et de la municipalité. Aujourd’hui on ne reçoit plus rien de l’académie ou du contrat de ville. Je n’ai plus d’assistant d’éducation. J’ai quelques jeunes en service civique mais très peu formés. Quant à la ville de Bobigny elle ne donne que 7 500 euros pour toutes les écoles. Bobigny est une ville de 50 000 habitants…

Et sur le plan pédagogique ?

Je disposais de postes de Rased : un poste et demi de maître E, un demi-poste de maître G et un demi-poste de psychologue. Aujourd’hui j’ai un tiers de poste E. Le maître G on le voit de temps en temps. Le psychologue est seul pour 3 grands groupes scolaires… C’est la même chose pour le médecin scolaire : on est passé de 3 médecins à un demi-poste. Du coup il n’y a plus de visite d’entrée en CP pour les enfants. Et il n’y a plus d’assistante sociale. C’est Paris qui a les assistantes sociales. Nous on a les problèmes sociaux…
C’est la même chose pour l’environnement médico-social. Il y a plus d’un an d’attente pour un rendez-vous en centre médico-psycho-pédagogique. On n’a aucun pédopsychiatre en ville alors que beaucoup d’enfants ont vécu la guerre ou ont des histoires fracassées.
On a aussi beaucoup de problèmes d’orthophonie car de nombreux parents croient bien faire en parlant français à la maison mais le parlent très mal.

J.-M. Blanquer a annoncé le dédoublement des CP en utilisant les maîtres surnuméraires. C’est possible dans votre école ?

On est ravi d’avoir un poste de maître surnuméraire. Elle n’intervient déjà qu’en CP et CE1. L’enlever ce serait vraiment n’importe quoi ! C’est un dispositif intéressant qui permet de faire des petits groupes pour mener un projet. On décloisonne les classes et on entre en projet par exemple en lecture pour tous les CE1. En sciences, par contre, on a fait de la co-intervention. Cela a permis de mutualiser nos pratiques et de les harmoniser. Ce dispositif permet vraiment aux enfants de progresser.
Mais s’il s’agit de mettre deux enseignants en permanence dans la même classe c’est autre chose ! Je suis une instit Freinet. Si on me met dans la même classe qu’une instit traditionnelle je fais comment ? Où est la liberté pédagogique ?
D’autre part, il faudrait créer dans l’école 3 à 4 classes. Je ne sais pas où on prendra les enseignants. Vont-ils embaucher davantage de contractuels ?

Il y a aussi le projet de faire faire les devoirs à l’école. Qu’en pensez vous ?

Tout le monde a conscience que l’enfant qui rentre chez lui et qui vit dans un environnement sain avec des parents disponibles et éduqués n’a pas les mêmes conditions pour faire ses devoirs que celui qui vit dans un cadre malsain avec des parents en situation précaire.
Mais qui doit régler les inégalités sociales ? Est-ce l’école, en ne donnant plus rien à apprendre à la maison, ou la société en donnant des conditions de vie saines à tous les enfants ?

Faire le travail à l’école c’est une façon de régler ce problème d’inégalités…

Mais le faire avec qui ? N’est-il pas préférable d’avoir des études gratuites avec les enseignants de l’école comme cela existe déjà ? Le gouvernement envisage-t-il de décourager les jeunes professeurs ? Aujourd’hui ce sont eux qui font ces études du soir. Cela leur rapporte un modeste supplément de salaire versé par la mairie qui est indispensable pour vivre en Île-de-France. Si le ministère enlève cela aux mairies qui paiera les professeurs ? La moitié de mes jeunes professeurs vivent en colocation faute de pouvoir payer un loyer.
C’est quelque chose qui n’a même pas été perçu au ministère. Il prend des décisions nationales sans tenir compte des écarts sur le territoire. Nous, on est fatigué des zig-zags à chaque changement de gouvernement qui nous empêchent d’anticiper.

Ce nouveau livre s’appelle L’École du peuple. Pourquoi ce nom ?

C’est évidemment une référence à Vers l’école du peuple de Freinet. Mais j’ai pris aussi ce titre pour dire que l’école publique doit être l’école du peuple et pas seulement des pauvres. Il faut un vrai projet d’école unique pour le peuple.
L’important ce n’est pas la question de la réussite de chaque élève. Ce qui est important c’est que les enfants soient élevés ensemble. Qu’ils sachent qu’il y a des gens différents d’eux. Certains de mes élèves croient qu’il y a une mosquée dans chaque village en France…
Freinet d’ailleurs ne parle pas de réussite. Il parle de réflexion, d’émancipation et de solidarité. Je crois à ça. On s’en sortira tous ensemble ou pas du tout.

Propos recueillis par François Jarraud

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