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Lettre ouverte d’enseignant-es sur la caution au complotisme du journal de France 2

Michel Field
Directeur exécutif de l’information
France Télévision

Lundi 6 mars 2017
Objet : édition de 20 h du journal de France 2 / dimanche 5 mars / caution au complotisme

Monsieur,

Enseignant-es, nous avons regardé l’interview de François Fillon par Laurent Delahousse, dimanche 5 mars lors de l’édition de 20 h. Nous tenons à vous faire part de notre inquiétude quant aux manquements à la déontologie dont ce journaliste a fait preuve et leurs conséquences sur notre travail auprès des jeunes.
Une des difficultés de notre métier est de donner aux élèves les outils pour identifier et déconstruire les scénarios complotistes afin qu’ils prennent leurs distances avec. Nous attendons du service public de l’audiovisuel qu’il nous aide dans cette démarche, et au moins qu’il ne renforce pas l’état d’esprit qui aboutit à ces thèses. C’est pourtant ce qu’a fait le journaliste dans cet entretien.
Ainsi, une question posée par Laurent Delahousse cautionne-t-elle la vision complotiste de « l’affaire Fillon » que le candidat Les Républicains entretient. Sans aucun recul critique, le journaliste demande : « Avez-vous une idée de qui a orchestré tout cela? ». Que François Fillon préfère nourrir l’idée d’une conspiration contre lui plutôt que de présenter les preuves éventuelles du travail effectif de sa femme et de ses enfants est à la limite compréhensible – à défaut d’être très convaincant. Mais qu’un journaliste, tenu à une déontologie encore plus stricte quand il fait partie du service public, entretienne auprès du public par la formulation même des questions qu’il pose l’idée que le travail de la justice, quand il concerne des responsables politiques, serait orchestré par un esprit malin travaillant dans l’ombre, voilà qui est inacceptable.
De la même façon, François Fillon a affirmé que des chaînes télévisées avaient annoncé mercredi 1er mars le suicide de sa femme. Le journaliste ne lui a pas demandé de références précises, ne l’a pas relancé sur le sujet, cautionnant par son silence une nouvelle thèse complotiste dont la caractère mensonger a depuis été prouvé.
Ainsi donc le service public d’information a-t-il cautionné ce dimanche soir une vision conspirationniste de la justice, des médias et de la politique. Comment, dans ces conditions, exiger de nos élèves qu’ils et elles adoptent un recul critique face aux théories du complot qui peuvent les séduire ? Notre expérience le montre : ces théories séduisent notamment des jeunes qui sont curieux de notre monde, se posent des questions, ne trouvent pas toutes les réponses satisfaisantes à l’école et les cherchent dans des médias présentant des visions complotistes de l’histoire, de l’économie, de la politique ou de la justice. L’édition de 20 h de dimanche soir a alimenté ces fantasmes.
Nous vous interpellons donc afin que vous interveniez rapidement. Nous ne cherchons pas de chasse aux sorcières, mais ce journaliste doit être mis face à ses responsabilités, et averti clairement sur les conséquence de ce manquement à la déontologie. Une prochaine édition du 20 heures doit par ailleurs amener un correctif à ces cautions au complotisme, et permettre de présenter ses excuses, d’alerter sur la force séductrice du conspirationnisme et de rappeler que les questions d’un journaliste reposent sur une vision subjective sur laquelle Laurent Delahousse n’a eu aucun recul critique.
D’une façon générale, nous pensons et nous enseignons à nos élèves que la déontologie journalistique inclut la présomption d’innocence et le respect de la personne interrogée ; mais aussi la confrontation des points de vue et l’esprit critique. En renonçant à ces deux dernières règles et en alimentant les thèses complotistes, les journalistes doivent assumer qu’ils transgressent les règles que nos élèves pensent respectées – et que nous leur demandons de respecter. Pourquoi ce journaliste devrait-il être au-dessus de la déontologie ?
En espérant que vous comprendrez notre inquiétude et saurez y répondre rapidement et efficacement, nous vous prions d’agréer, Monsieur, l’expression de nos salutations distinguées,

Vincent Casanova, Grégory Chambat, Laurence De Cock, Hayat El Kaaouachi, Anaïs Flores, Éric Fournier, Fanny Layani, Florine Leplâtre, Jérôme Martin, Servane Marzin,
enseignantes et enseignants.

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