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Dis-moi d’où tu viens… Chronique “Paroles d’élèves, pratiques de profs”

Avec ce texte Dis-moi d’où tu viens…, nous inaugurons une nouvelle chronique proposée par Jacqueline Triguel « Paroles d’élèves, pratiques de profs ».
Au fil de ces récits, nous entrons dans le quotidien de la classe (dans un collège de la banlieue parisienne), découvrons ce qui se dit – ou ne se dit pas -, ce qui « travaille » – les élèves et les profs – et « se travaille » pour construire des pratiques et une pédagogie qui nous aident à penser le monde au-delà de la classe et d’avoir prise sur notre réalité…


Dis-moi d’où tu viens…


Nous sommes début 2014. C’est ma 2ème année dans un collège qui accueille à la fois un dispositif ULIS et un dispositif CLA (maintenant UPE2A). Si l’ULIS m’était plutôt familière, je n’avais par contre jamais été confrontée à l’inclusion d’élèves allophones.
J’ai d’abord découvert ce public dans une classe de 6ème et je suis tombée dans le piège de vouloir leur faire des cours individualisés, totalement décrochés par rapport au reste de la classe ; une solution rassurante pour moi, peut-être pour eux aussi, mais on était bien loin de l’inclusion.
L’année d’après, plus à l’aise dans mon nouvel établissement, j’ai ressenti le besoin de penser davantage l’inclusion des élèves allophones, de travailler sur la dynamique de classe et sur les échanges entre les élèves – échanges de pratiques, de savoirs, de paroles – plus propices aux apprentissages de tous selon moi.

Dès la rentrée, j’ai proposé plusieurs travaux de groupes (sur le vocabulaire, sur la compréhension de nouvelles policières, par exemple). Comme d’ordinaire, je n’interviens pas dans la constitution des groupes. Au contraire, au moment où les groupes se cherchent et se forment, je reste le plus souvent en retrait pour les observer, car c’est toujours intéressant, et parfois très amusant, de voir les têtes se tourner fébrilement, les cous se tendre haut à la recherche du regard d’un camarade, les chuchotements comploteurs : « Viens on prend … avec nous. Vite ! Sinon ils vont le prendre ».

Mais cette fois-là, une phrase, saisie au vol, m’a interpelée : « Non pas lui, c’est un CLA, il comprend jamais rien, c’est chiant. ». L’élève qui a prononcé ces paroles fait partie d’un groupe de 4 élèves, toujours assis côte à côte, qui se mettent systématiquement ensemble dans les travaux de groupes, en tournant le dos au reste de la classe, comme s’ils se fermaient à toute entrée extérieure, à toute intrusion. Ces élèves se suivent depuis l’école maternelle, vivent dans le même village et ont tendance à ne pas se mêler aux autres, et surtout pas aux élèves de CLA.

A quoi est-ce dû ? Manque de maturité ; rejet de l’altérité ; confort de l’habitude dans les relations avec les autres ; peur de se confronter aux différences ; difficultés à communiquer ; ou encore timidité ? Peut-être est-ce aussi du côté de l’inclusion que la réponse est à chercher : lassitude de l’élève de ce petit groupe qui justement accompagne depuis 3 mois sa camarade de CLA, au détriment, dans son esprit, de ses relations avec les autres élèves ; image que les élèves ont de leurs camarades de CLA comme des élèves passifs, cantonnés à une posture de demandeurs d’aide et non pas d’acteurs dans la classe ; ou encore impression que, en raison de leur arrivée récente en France, les élèves de CLA ne sont pas à égalité avec eux et n’ont rien à leur apporter… ?

Quelles qu’en soient les raisons, cette phrase, prononcée sans malveillance certes, me dérange trop pour que je la laisse sans suite. Pour la séquence suivante, j’ai choisi de travailler sur la poésie du voyage. Pour moi, c’est l’occasion de changer d’optique dans l’inclusion des élèves de CLA, en leur donnant un rôle plus dynamique, plus central dans les groupes afin de montrer qu’ils peuvent tout à fait être partie prenante dans les activités et les apprentissages. L’idée me vient aussi grâce à l’un de ces élèves, qui a pris l’habitude de rester à la fin de notre cours du vendredi soir, pour me parler de sa famille, de son pays, de sa culture.

Je décide donc de mettre en place une écriture à plusieurs mains, en groupes, qui permettrait à chacun de livrer un peu de lui-même, un peu de ses origines. Les groupes se constituent mais j’impose cette fois qu’il y ait 5 à 6 élèves dans chaque groupe, et je fais en sorte que mes 4 réfractaires accueillent un élève de CLA. Chaque groupe doit créer un poème d’au moins 20 vers réguliers, rythmé par l’anaphore « Là d’où je viens » et dans lequel la voix de chaque élève doit se faire entendre. Les échanges sont donc obligatoires car, pour réussir leur production de groupe, les élèves vont devoir travailler de concert, s’interroger mutuellement, s’intéresser les uns aux autres pour trouver la bonne formule, le souvenir qui sera intéressant, qui fera voyager les autres, qui donnera de la force à leur poème… J’observe le déroulement des échanges et je me réjouis en constatant que les élèves font vraiment preuve d’attention et de bienveillance les uns envers les autres. Certains – dont l’élève de CLA qui m’a inspiré le sujet d’écriture – revendiquent même fièrement leurs origines et profitent des échanges pour présenter longuement, et avec un plaisir sensible et touchant, les coutumes et souvenirs qu’ils gardent de leur pays.

Je suis évidemment attentive à mon petit groupe, que je sens sur la réserve au début. Mais l’un d’eux prend rapidement les choses en main et amorce ce qui ressemble à un interrogatoire maladroit : « d’où est-ce que tu viens ? qu’est-ce qu’il y a là-bas ? de quoi est-ce que tu te souviens ? ». Seulement voilà : ces questions, formulées aussi abruptement, n’incitent pas forcément leur camarade à répondre. Ils sont alors obligés de reformuler, de préciser, s’appuyant notamment sur les conseils des autres groupes : « Qu’est-ce qu’il y a comme fruits, comme nourriture ? Est-ce qu’il y a des animaux qu’on ne voit pas en France ? » A partir de là, commencent à surgir des « Ah bon ? » et des « Et c’est comment ? Et ça te manque, tu as envie d’y retourner ? » qui montrent que les réponses ont piqué leur curiosité et que ce qui n’était auparavant que la simple exécution de consignes devenait un véritable intérêt, une sincère curiosité pour leur camarade.

Au fil des échanges, les productions se construisent et se précisent pour donner naissance à la rédaction d’un poème polyphonique, que chaque groupe lit ensuite devant les autres. Chacun a ainsi pu se découvrir et découvrir ses camarades, et une autre forme de relation s’est établie avec les élèves de CLA, acteurs comme les autres dans l’activité.

Dans le groupe d’élèves qui m’a interpelée, l’un s’est progressivement ouvert aux autres et, très à l’aise dans sa scolarité, s’est même porté plusieurs fois volontaire dans l’année pour apporter son aide. Je le retrouve d’ailleurs maintenant en 3ème, avec un altruisme développé et très apprécié de ses camarades. Un autre élève a eu ses propres difficultés personnelles à surmonter. Les deux autres élèves faisaient bonne figure dans les travaux de groupe, mais ont reconstitué en parallèle un binôme aussi ostensiblement fermé aux autres qu’à l’origine, et ont quitté l’enseignement public dès la fin de la 5ème, ce qui m’a laissée assez songeuse…

Même si mes questionnements sont nés de la scolarisation d’élèves de CLA, ils concernent finalement tous les élèves. Il me paraît nécessaire que, dans nos pratiques, nous arrivions à créer ces situations où les élèves partagent un peu d’eux-mêmes, en groupe, en binômes ou en classe entière, afin que la classe devienne un lieu de vie. Un lieu de vie qui favorise l’inclusion des élèves de CLA et d’ULIS, certes, mais qui, au final et surtout, développe le sentiment d’appartenance de tous les élèves.

En 3ème, par exemple, ce peut être une séquence sur l’art engagé qui débuterait (1) avec un moment où chacun viendrait avec des recherches sur un artiste engagé de son choix et qui se poursuivrait avec un travail en binôme, où chacun interviewerait son camarade à propos de son artiste engagé (qui est cet artiste, pourquoi l’a-t-il choisi… ?). Les interviews pourraient ensuite être présentées à l’oral, ou affichées ou mises sur le site du collège, afin que chacun puisse avoir connaissance du choix de ses camarades et, certainement, découvrir de nouveaux artistes. En 4ème, lorsque l’on travaille sur le récit fantastique, ce peut être tout simplement des échanges sur des situations de peur et d’angoisse surnaturelles que chacun a vécues et qui pourraient servir d’amorces à l’écriture de récits fantastiques, seul ou à plusieurs, ou encore de points de comparaison avec les peurs rencontrées par les personnages des nouvelles fantastiques étudiées…

Autant de situations où les élèves, d’où qu’ils viennent et quels que soient leurs parcours scolaires, sont à égalité, dans le sens où ils ont tous des choses à dire, sans être soumis à la pression de la performance, du résultat ou de la compétition, des situations où leurs expériences et leurs cultures sont mises en avant et servent d’ancrages aux apprentissages scolaires, leur donnant ainsi plus de sens.

(1) Les deux projets ont été réalisés. Le 1er dans une 3ème avec Upe2a, et dans une 3ème « ordinaire » et va bientôt être repris dans une 3ème « ordinaire », par une autre collègue, ce qui va me permettre de voir son « effet » sur 3 classes différentes. – Le projet sur le fantastique a été mené en 4ème sans Upe2a mais avec un élève d’ULIS.

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