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Ecole et “déni de grossesse”

Il a été tout dit, redit, re-redit, depuis bien plus d’un siècle sur les méfaits de l’école. Il est impossible de collationner l’infinité de textes, d’ouvrages écrits à ce propos, qu’ils soient littéraires, scientifiques, politiques, humoristiques,… et même pédagogiques, qu’ils aient été écrits, chantés, joués par des auteurs célèbres, des intellectuels, des artistes, des philosophes, des sociologues, des qualifiés de « gauchistes » (encore que les gauchistes ne se préoccupent pas tellement d’école)… ou de simples praticiens, de modestes personnes ayant justement subi cette école. On ne peut même plus trouver quelque chose d’original à ajouter. Tout est dit depuis longtemps, dit et prouvé.

Curieusement, ce que disaient, écrivaient, analysaient, témoignaient ces innombrables personnes n’a jamais été vraiment contesté sur le fond par ce qu’on appelle maintenant les « réac-publicains ». Cela ressemble au phénomène que les psychologues et médecins appellent un « déni de grossesse », le déni qu’autre chose est en train d’advenir.

Certes, on peut se dire que seuls ceux qui étaient intuitivement convaincus d’avance se penchaient (et se penchent) sur ces analyses. Qui va lire Illich s’il n’a pas un peu souffert de l’école et surtout en avoir eu conscience ?

Certes on sait que depuis sa création les finalités de l’école qui lui sont assignées ouvertement ou moins ouvertement par les dirigeants sont éminemment politiques et idéologiques. Là aussi les analyses historiques, la succession de faits le démontrent.

L’énorme rouleau compresseur continue d’avancer sans que l’on sache comment couper le contact, si tant est que l’on ait l’envie de l’arrêter. D’ailleurs on n’ose pas le couper parce qu’on ne sait pas par quoi le remplacer, on ne sait plus imaginer. Il y a bien d’autres rouleaux compresseurs semblables qui écrasent tout : la finance, l’agriculture industrielle (la similitude entre système éducatif et système agricole) les « marchés » (qui n’ont rien à voir avec celui de Brive la Gaillarde !), l’extension des macrostructures, etc.

Savoir tout cela, vouloir s’en sortir, c’est très bien. Reste le comment ?

Beaucoup essaient en restant dans la machine et en pensant la transformer, c’est ce qu’ont fait les mouvements pédagogiques, en particulier le mouvement Freinet. Mais, s’ils ont pu réduire par endroits les dégâts sur les enfants, prouver l’erreur des croyances sur la transmission traditionnelle des savoirs, amorcer une autre organisation des relations entre enfants, entre enfants et adultes, la machine est plus forte : soit elle les broie (innombrables « affaires » depuis celle de Freinet), soit elle réduit leurs actions et leur portée en les obligeant à se conformer à ses rouages (programmes, évaluation…). N’est accepté du bout des lèvres que ce qui ne risque pas trop de l’enrayer (exemple des MOC, de la pédagogie inversée). Est dénigré et éliminé tout ferment véritablement dangereux pour le système (exemple de l’éradication des classes uniques).

Un certain nombre de plus en plus grand sort de la machine. Instruction en famille jusqu’au unschooling, écoles alternatives. C’est bien une gestation sociétale qui est en cours à propos de l’école depuis quelques années, d’où ma comparaison avec le « déni de grossesse ». L’ensemble du système essaie de ne pas la voir, d’occulter ce qui est démontré, la repousse comme une anomalie, la stigmatise comme n’étant qu’une réaction égoïste de privilégiés, de « bobos ». Il ne faut surtout pas que cela s’étende… au peuple qu’il est encore assez facile de laisser dans l’ignorance et de convaincre que ce n’est pas pour lui. Le système et ceux qui le font et le soutiennent s’aveuglent et aveuglent, ce qui est le propre de tout déni.

Mais le « déni de grossesse » n’empêche pas la grossesse et son terme l’accouchement. Il rend simplement celui-ci et la prime-enfance qui suit souvent plus difficiles et compliqués. Le médecin et le psychologue essaient d’expliquer à la mère en déni que l’arrivée d’un enfant ne va pas être catastrophique, que l’accouchement va être rendu plus facile par sa préparation, que l’arrivée de l’enfant va certes bouleverser un peu sa vie qui sera différente mais que celle-ci va s’enrichir, l’enrichir elle-même, mieux, qu’elle pourra alors en jouir.

J’ai beaucoup parlé de l’ingénierie de la transformation. Peut-être faudrait-il parler de la médecine de la transformation ou de l’accouchement d’une autre école et d’une autre société. C’est un peu ce que sont un bon nombre de propositions comme l’appel à rendre possible le choix d’une autre école, la suppression du bac, la protection des petites structures hétérogènes, etc. Il suffirait qu’elles soient prises simplement dans cette perspective : faciliter le passage à un autre paradigme qui est, quoi qu’on en pense, inéluctable sinon notre société court vers son suicide (et il n’y a pas que le climat pour l’annoncer).

Le problème, peut-être, c’est qu’il faudrait que ces médecins proviennent d’une autre planète ! C’est sûr que nos dirigeants ne proviennent pas d’ailleurs, mais nous y sommes pour quelque chose ! Je crois quand même que la gestation en cours aboutira nécessairement à l’accouchement, faudrait-il être suffisamment intelligent pour le rendre facile, paisible, général. Si on replaçait l’enjeu sur ce plan, il n’y a pas que l’école qui changerait.

1 Comment

  1. Claudia

    Ecole et “déni de grossesse”
    Merci pour ce texte Bernard, si juste et irrémédiablement optimiste quand même.

    “soit elle réduit leurs actions et leur portée en les obligeant à se conformer à ses rouages (programmes, évaluation…)”
    Ca m’a fait penser à ce que j’ai perçu de l’évolution d’André Antibi, dont j’avais beaucoup apprécié la “Constante macabre” il y a 15 ans. Ses propositions avaient abouti à une solution officielle très édulcorée dans des classes où les enfants recevaient le sujet en avance pour ne pas être pris au dépourvu : mais il y avait quand même des contrôles et des notes (c’est ce que j’ai compris d’une conférence de lui voilà 2-3 ans).

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