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Le texte de l’intervention de Mordillat hier, lors du débat Fakir.

“Les journalistes et les dessinateurs de Charlie n’ont pas été victimes d’un attentat mais exécutés nommément. C’est bien d’une exécution dont il “s’agit et d’une exécution politique comparable si l’on veut à celle de Jaurès, lui aussi journaliste, lui aussi directeur de journal. Ce sont des méthodes fascistes dont le discours religieux ou nationaliste n’est qu’un faux-nez.”
L’intégralité ici :
“Pour être clair : Charb, Honoré, Wolinski, Cabu, Tignous assassinés dans les locaux de Charlie Hebdo étaient mes amis. Nous avons travaillé ensemble, publié ensemble, milité ensemble, mangé ensemble, déconné ensemble depuis des années…
Je ne peux donc prétendre à aucune soi-disant neutralité.
Comme je suis écrivain et cinéaste, je veux m’arrêter sur des mots et des images.
Le premier mot sur lequel je veux m’arrêter est le mot ” attentat ” dont les médias se gargarisent depuis mercredi dernier. Je crois que ce mot est inapproprié. Le terrorisme est aveugle et les poseurs de bombes tuent parce qu’ils veulent tuer sans se soucier de l’identité des victimes dont seul le nombre compte à leurs yeux. Les journalistes et les dessinateurs de Charlie n’ont pas été victimes d’un attentat mais exécutés nommément. C’est bien d’une exécution dont il s’agit et d’une exécution politique comparable si l’on veut à celle de Jaurès, lui aussi journaliste, lui aussi directeur de journal. Ce sont des méthodes fascistes dont le discours religieux ou nationaliste n’est qu’un faux-nez. Il faut le dire haut et fort, les journalistes de Charlie ont été exécutés non par des musulmans, non par des islamistes mais par des fascistes.
Penons une image maintenant : celle de Mahomet qui a fait tant couler d’encre. Juste pour mémoire, il y a au départ les dessins publiés au Danemark et trafiqués par deux imams intégristes qui les diffusent partout dans le monde musulman mettant le feu aux poudres. En les publiant et en publiant ses propres dessins, Charlie hebdo témoignait de sa solidarité avec les dessinateurs danois…
C’est le point de départ. à l’arrivée il y a deux tueurs fascistes qui s’érigent en juges et bourreaux sous prétexte de ” venger le prophète “..
Mais venger qui et de quoi ?
Je ne doute pas qu’il y ait eu un prophète en Arabie au 7e siècle. S’appelait-il Mahomet, c’est une autre histoire. Comme le dit une grande islamologue, Jacqueline Chabbi ” c’est un peu trop beau pour être vrai “. Mahomet signifie ” le loué “, le ” louangé “, c’est un surnom, pas un nom. Peut-on injurier un surnom ?
Nous ne savons pas quand Mahomet est né ni quand il est mort. La tradition considère que c’est en 632 mais cette hagio-biographie a été mise par écrit près de deux siècles après la mort de Mahomet. C’est-à-dire qu’en réalité, historiquement, nous ne savons rien où presque de l’homme Mahomet ; et absolument rien de son aspect physique. Un Mahomet légendaire, paré de toutes les grâces et de toutes les vertus, naîtra plus d’un demi-siècle après sa mort sous l’égide du calife Abdel Malik qui en fera en quelque sorte son porte-parole.
Comment faire la caricature d’un homme dont on ne sait rien ?
Les dessins publiés par Charlie Hebdo ne sont pas des caricatures mais des portraits imaginaires, peut-être des portraits charge mais des portraits du prophète de l’islam ; ils sont aussi imaginaires que ceux que l’on trouve abondamment dès le XVe siècle dans la tradition ottomane et perse et jusqu’à nos jours dans la tradition chiite. Une partie des musulmans ne s’offusquent en rien que l’on représente Mahomet comme un homme du 7e siècle. La sacralisation de sa figure n’est qu’un diktat fondamentaliste venu au XIXe siècle du wahhabisme, et c’est cette figure légendaire qui réclamerait d’être ” vengée ” ?
Soyons sérieux.
Il est urgent et nécessaire que les autorités ecclésiastiques de l’islam rappellent qu’en République il est licite de caricaturer Mahomet comme on caricature Jésus, le pape, Jéhovah, les hommes politiques, vous, moi, etc. Cela s’appelle la liberté d’expression et c’est un des piliers de la démocratie.
Ce serait licite de caricaturer Mahomet mais ” offensant “. Le mot offense revient sur beaucoup de lèvres pour reprocher aux dessinateurs de Charlie d’avoir fait ce qu’ils ont fait. Cette ” culture de l’offense ” est en train de se propager comme les métastases d’une tumeur. Désormais tout le monde s’offense pour un oui pour un non ! Les chrétiens intégristes s’offensent d’une pièce de théâtre mettant en scène Jésus, les juifs de la même eau s’offensent de toute critique du gouvernement israélien gangrené par les religieux d’extrême-droite, les musulmans s’offensent de voir leur prophète à la une d’un journal satirique… Toutes ces belles âmes réclament la censure et qu’on impose le silence aux offenseurs. Mais qui leur imposera le silence à eux qui offensent quotidiennement mon athéisme en m’assommant de leurs sornettes superstitieuses et en prétendant gouverner ma vie au nom d’une chimère ?
En caricaturant Mahomet, Charb, Cabu et les autres auraient commis le délit de ” blasphème “. Combien de fois faudra-t-il répéter qu’il ne peut y avoir de blasphème que dans une théocratie ? Dans la République il est parfaitement possible d’écrire, de crier, de proclamer qu’on emmerde Dieu, Jéhovah, Allah, Nanaboso le Grand Lapin, Bouddha, le Père Noël, Mickey, Harry Potter et toutes les dieux inventés par les hommes pour conjurer leur peur de la mort.
Dans les médias, mais aussi dans la rue, on entend formuler trois accusations contre Charlie : le journal serait islamophobe, âpre au gain et provocateur.
Charlie serait islamophobe… parce qu’il se moque des intégristes et des fondamentalistes musulmans. A ce compte, il est aussi christianophobe parce qu’il se moque des grenouilles de bénitier et des punaises de sacristie, de Jésus, du pape et de toute la quincaillerie bondieusarde chrétienne. Ajoutons qu’il est aussi vraisemblablement judéophobe parce qu’il se fout de Moïse et des prophètes. Et, pour faire bonne mesure, sans doute antisémite puisqu’il critique la politique du gouvernement israélien massacrant les populations civiles palestiniennes qui font tache sur ” la terre sacrée “…
Tout cela n’est que faux procès.
Charlie est tout simplement anti-clérical.
Par l’humour, la satire, l’ironie, il lutte contre tous les clergés : qu’ils soient chrétiens, musulmans, juifs, bouddhistes, shintoïstes, zoroastres, raéliens, j’en passe et des meilleures. Et si l’on regarde ce que publiait la presse française au moment de la séparation de l’Église et de l’État en 1905 on peut trouver que ses caricaturistes sont plutôt timorés comparés à leurs anciens… Le seul respect que l’on doive aux religions est le respect au sens étymologique : tenir à distance.
Charlie ne publierait ses dessins que pour attirer le chaland que par une cupidité absolue, gouverné par l’idée de faire du fric, toujours plus de fric ! Inutile de souligner le grotesque de cette accusation quand on regarde la situation financière du journal et celle de ses journalistes. La sagesse des nations l’a dit une fois pour toutes : ” Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage “.
Enfin Charlie serait ” provocateur “, irresponsable, criminel en somme et récolterait ce qu’il a semé. C’est là le plus odieux des retournements de langage. Ou alors c’est provocateur par nature de dire le réel, de l’affronter, de le mettre en lumière. En leur temps Spinoza pour le judaïsme, Richard Simon, Renan, Loisy pour le christianisme et de nombreux auteurs musulmans des premiers siècles, Abou Navas, Al Hallaj, Al Razi ont été eux aussi accusé d’être des provocateurs et ostracisés. A leur mesure les journalistes de Charlie Hebdo sont dans le même sillage… celui de la raison critique, de l’intelligence contre l’obscurantisme.
On présente le monothéisme comme un progrès par rapport au polythéisme ; espérons qu’après le monothéisme et son dieu unique un autre progrès nous conduise à l’athéisme. Il ne suffit pas d’en finir ” avec le Jugement de Dieu ” comme le préconisait Antonin Artaud, il faut en finir avec l’idée de dieu et le fleuve de sang qu’il charrie derrière lui. Encore et toujours le curé Meslier : ” l’homme sera libre lorsque le dernier des rois sera étranglé avec les boyaux du dernier prêtre.”
Gérard Mordillat, 12 janvier 2015

1 Comment

  1. Favand

    Le texte de l’intervention de Mordillat hier, lors du débat Fakir.
    Merci pour cet article.
    A force je me demandais si j’étais fou puisque j’étais seul à penser ça. Mais non, c’est bon, on n’est pas fous puisqu’on est au moins 2.

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