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Lettre d’une AVS

Lettre d’une AVS…Une quoi ?
J’éprouve un besoin, une obsession, mieux une obligation.
Témoigner.
Je suis auxiliaire de vie scolaire.
Ce que j’éprouve n’est pas de l’aigreur ou de la fatigue mais plutôt un sentiment d’impuissance et d’injustice.
Je suis une femme, j’ai 37ans, je vis en couple et j’ai deux enfants en bas âges.
Je possède une maîtrise d’arts plastiques. J’ai travaillé dans le domaine du social tout en étant bénévole dans une association d’arts plastiques et en ayant passé un certificat d’art thérapie.
Depuis 8 ans je travaille en tant qu’auxiliaire de vie scolaire.
Vous savez ces personnes sans qui les enfants handicapés ne pourraient ou auraient de grandes difficultés à être scolarisés.
Vous connaissez ? Ces personnes qui sont embauchées avec un baccalauréat minimum, qui tentent d’adapter la pédagogie des professeurs au handicap de l’enfant qu’ils accompagnent, qui assistent aux réunions pluridisciplinaires pour mettre en place un projet d’accueil de l’élève dans l’école.
Vous savez ces personnes qui s’informent, se documentent sur le handicap spécifique de l’enfant dont ils s’occupent.
Ces personnes qui aident l’enfant à la bonne mise en œuvre de son intégration sociale avec ses camarades, avec le personnel de l’école, celles qui font le lien entre les parents et l’école, celles qui dialoguent, qui écoutent, qui essaient de comprendre, d’expliquer.
Celles qui aident l’enfant à aller aux toilettes, qui le nettoient, qui le recoiffent, qui le rhabillent, qui l’accompagnent dans toutes les activités scolaires extérieures à l’école.
Celles qui proposent avec l’accord de l’enseignant des ateliers, des activités pour tous les enfants de l’école.
Ces personnes payées une misère auxquelles aucun CDI ou titularisation ne peuvent être promis.
Et bien, ces personnes c’est moi et quelques milliers d’autres qui aiment leur travail, qui se sentent utiles et qui réfléchissent à leurs rôles professionnels dans leur établissement, qui s’adaptent aux différents enfants qu’ils suivent, qui sont surdiplômés par rapport à la fiche de poste qu’ils ont. Ce sont ces personnes qui depuis des années ont réfléchi et ont créé le métier d’auxiliaire de vie scolaire.
Après 6 ans de contrat d’un an, renouvelé tous les ans, je suis virée, non pas que je travaille mal, que j’ai commis une faute grave, non il s’agit de la fin de ce système de renouvellement qui mettrait l’éducation nationale en infraction si elle me proposait un autre contrat.
Deux ans de chômage où je vous passerai les détails pour trouver un emploi ou prétendre à une formation professionnelle. Puis un autre contrat, privé, en CAE-CUI. Qu’est-donc ?
Mon salaire est subventionné à 70% par pôle emploi pour permettre à un autre établissement de me recruter. Il s’agit à la base d’un contrat pour aider les plus démunis, les plus mal diplômés à être embauchés.
J’ai droit à ce contrat car cela fait 2 ans que je suis au chômage.
Quelle aubaine pour les principaux d’établissement qui peuvent embaucher à 20h, pas plus, au smic (675€ par mois) des personnes soit diplômées en psychologie, soit avec une expérience de plusieurs années dans le monde du handicap, soit ayant un master I, II etc.
Je ne les blâme pas, au contraire, eux aussi font ce qu’ils peuvent et reconnaissent nos compétences à leur juste valeur.
Ce contrat est valable 2 ans et ne peut être renouvelé.
J’ai fait une demande de validation des compétences pour obtenir le diplôme d’éducateur de jeunes enfants car je trouvais que les compétences requises et demandées étaient similaires à celles de l’auxiliaire de vie scolaire.
Première lettre, premier refus.
Je renvoie une lettre de recours expliquant exactement ce qu’étaient les fonctions d’un AVS (auxiliaire de vie scolaire). Deuxième refus : « en effet, les fonctions et activités ciblées pour établir le rapport direct précisant la dimension collective et non individuelle de l’accompagnement effectué par l’EJE. »
Ce que je fais pour un enfant, je ne peux le faire pour plusieurs avec une quotité d’heures de travail supplémentaire et un meilleur salaire!!!!????
D’autant plus que la VAE peut être acceptée partiellement et permet de valider les modules non recevables, par la suite, grâce à l’entrée en formation en IRTS (institut régional du travail social).
Voilà j’ai 37 ans, une famille, une expérience professionnelle qui n’est absolument pas reconnue, et quoi ? Il faut que je refasse 2 ans de chômage pour pouvoir être à nouveau rembauchée ? 675€ de chômage ça fait… Oups, à peu près 400€ par mois pendant 2 ans. Quelle aubaine ! (bis)
J’avais envie d’expliquer ma situation qui est semblable à beaucoup d’autre et encore, je peux prétendre avoir de la chance d’avoir un compagnon qui travaille.
Une collègue doit aller au resto du cœur pour nourrir sa fille. Elle rentre dans les statistiques des travailleurs pauvres surdiplômés. J’en deviendrais cynique si ce n’était pas à pleurer ! Comment être disponible et à l’écoute de tous ces enfants emprisonnés dans leur handicap lorsque l’on ne sait pas si son propre enfant mangera à la fin du mois ? Et pourtant, elle parle de son métier comme d’une passion.
Impuissance, injustice, dégoût, voilà mes sentiments, mes sensations face à l’immobilisme des pouvoirs publics. Ne me dites pas qu’ils ne savent pas, au vue des centaines de pétitions, manifs et autres revendications de notre part. Je crains que cette situation ne les arrange.
Non reconnaissance=emploi précaire=moins d’argent à dépenser devant la demande grandissante d’accompagnants scolaires=surtout ne rien faire! Ben oui c’est la crise, y a pas d’argent ! Enfin soyons raisonnable.
Voilà, je ne sais pas ce que je ferai de cette lettre, à qui l’enverrai-je, qui la lira, peut-être vous, et peut-être entièrement… Ceci est une réponse à un besoin, une obsession, une obligation. Une colère aussi!

Agathe Goupil

2 Comments

  1. itteruz

    Lettre d’une AVS
    C’est à mon avis le grand scandale de la loi de 2005 sur l’intégration des élèves handicapé-e-s (je ne dis plus “en situation de handicap” – au diable les euphémismes quand on voit comment les institutions ne se paient que de mots mais si peu d’actes concrets !) : son application, ou plutôt sa non-application. On a créé des MDPH qui sont au handicap l’équivalent de ce que sont les Pôle-Emploi au chômage : des “regroupements” de services existants qui se révèlent de grosses machines vides et débordées par l’ampleur de la tâche. Et on a créé des postes d’accompagnant-e-s, mais sans statut, sans salaire, sans formation, sans avenir. C’est un énorme scandale vis-à-vis des travailleurs-ses concernée-e-s à qui cette fonction demande un investissement énorme (ne serait-ce déjà que sur le plan psychologique et affectif !) en échange d’une extrême précarité (675 € par mois !) et d’une totale absence de perspective. C’est aussi un énorme scandale vis-à-vis des élèves handicapé-e-s eux/elles-mêmes, et vis-à-vis de leurs parents !
    Bientôt 10 ans que ce scandale existe. Que faire ? Quelle campagne mener pour favoriser une prise de conscience générale de cette situation ? Je n’ai hélas pas de réponse.
    En attendant, sur Paris, des AVS se sont organisé-e-s en collectif et ont mené depuis l’an dernier plusieurs actions. Le prochain rendez-vous auxquelles elles et ils appellent est une AG mercredi qui vient, 7 décembre, à 13h30 à la Bourse du Travail, 3 rue du Château d’Eau (M° République), salle André Tollet (RdC). Tout le monde peut venir, bien entendu.
    Merci Agathe pour ta belle lettre. C’est important de lire des textes comme le tien, parce que le risque est de se blaser (les tracts nous semblent répéter toujours la même chose, même s’il faut bien entendu les répéter, “jusqu’à satisfaction de nos revendications”). Puisque la période est aux voeux, je te souhaite pour cette nouvelle année beaucoup de courage et un peu de chance aussi (c’est parfois utile).
    Et bonne année aussi et merci à tou-te-s les AVS pour leur travail quotidien auprès des élèves.

  2. josephine

    Lettre d’une AVS
    J’ai lu ce témoignage avec une grande attention. Il illustre bien le cycle de la précarité. Je vis une situation sensiblement analogue. J’ai décidé après quinze ans de CDD (en tant enseignante contractuelle et guide saisonnière) de (re) passer le concours de professeur des écoles parce que je sais que compte tenu de mon expérience dans la précarité que je n’accéderai jamais à un emploi stable sans cela. A chacun ses solutions, je voulais faire partager la mienne.

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