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Cour de babel : une semaine en classe d’accueil

Il y a quelques temps, la revue N’Autre école consacrait un numéro à l’école des “marges” : “Au ban de l’école” (pour feuilleter en ligne le n° c’est ici)

En voici l’édito et un article “Une semaine en classe d’accueil” pour accompagner la sortie du documentaire La cour de Babel.

Édito de N’Autre école n° 14

Notre éducation se revendique avec fierté « nationale ».
L’est-elle plus ou moins qu’ailleurs ? À voir, mais une chose est certaine, les particularismes locaux sont une constante des systèmes éducatifs dans le monde.

Pourquoi interroger la place de « l’étranger » dans notre école ? Les mobilisations récentes en faveur des élèves sans papiers ont démontré que cette notion d’étranger n’allait pas de soi quant il s’agissait d’éducation. Mais le regard de ces élèves questionne aussi fortement l’école. Quelle place leur reconnaît-elle ? Que nous apprennent-ils sur eux et sur nous-mêmes ? À travers ce dossier, c’est bien l’uniformité de l’école et les tentations du repli identitaire que nous avons voulu dénoncer.

Une semaine en CLA…

Ils ou elles viennent du Maghreb, de l’est de l’Europe, de Chine ou d’ailleurs… au gré des guerres ou de la misère, ils retrouvent leurs parents après des années de séparation ou bien connaissent la vie des foyers d’accueil. Le regard qu’ils portent sur l’école est ambigu : espoirs, illusions, méfiance ou rejet.
Enseigner dans les classes qui les reçoivent, ce n’est pas seulement leur donner des mots, c’est surtout leur apprendre à s’en servir. Et s’ils prenaient la parole…

Un début de semaine chargé

Lundi 8 h 30 – La semaine commence, tout doucement, le week-end a laissé des traces, il faut se remettre au travail. On voudrait parfois voir en nous des élèves modèles, avides de savoir, de culture, prêts à tout pour rattraper « le temps perdu » (sic!)… Si notre motivation est bien réelle, cela n’empêche pas les coups de barre… Pour certains d’entre nous, la vie n’a pas non plus été très facile, alors on a parfois la tête à autre chose qu’à l’école… Quelques-uns même découvrent pour la première fois l’école et ses règles en arrivant en France : tout un univers à apprivoiser.

Du coup, pour démarrer en douceur, le professeur avec sa curiosité vraiment mal placée, nous interroge les uns après les autres sur nos activités du week-end… Ces petits échanges de la première heure permettent de prendre la température du groupe… Des fois on cause, mais parfois la nuit a vraiment été trop courte… et on lui fait comprendre qu’il faudrait passer à autre chose ! Cette première heure est de toute façon consacrée aux plus « costauds », « soutien linguistique » y a-t-il marqué dans les enquêtes du rectorat 1, des élèves présents en France depuis plus d’un an. Le français « de communication », celui du quotidien, n’a plus de secret pour nous, mais la langue parlée à l’école, celle des professeurs, celle des contrôles, des manuels, reste encore bien souvent un mystère. Alors on commence la semaine en faisant nos devoirs ensemble. Des copains, coincés en salle de permanence, nous rejoignent pour nous épauler et expliquer avec leurs mots à eux l’exo de maths (ça c’est fastoche) ou les exos de français ou d’histoire (là c’est la vraie galère). À la fin de l’heure on se promet que ce coup-ci, l’exercice de maths, on l’a vraiment bien compris et l’on sera volontaire pour aller au tableau le corriger dans sa classe… 2

9 h 30 – Là, les accents sont plus rudes, les phrases plus hachées, normal, on vient juste d’arriver en France. Alors on bosse des situations quotidiennes, surtout, en ce début d’année, celles qui concernent la vie et le fonctionnement du collège. Un petit texte, des images, un Cd audio, quelques questions… On s’habitue à écouter du français, à lire surtout, à comprendre (le plus souvent à deviner) les consignes écrites. Pas facile de plaquer de la grammaire ou de la conjugaison là-dessus. Le prof sait qu’il faudrait le faire… mais c’est déjà bien compliqué de gérer l’apprentissage d’une langue avec des élèves qui ne savent pas encore lire et d’autres qui en demandent toujours plus (mais m’sieur, le Brevet, c’est à la fin de l’année !)… Une seule règle : tout le monde doit comprendre, et pas besoin de note pour vérifier que tout ça est bien acquis…

10 h 30 – Il est temps de changer de lieu, une petite troupe (une dizaine d’élèves, précédée d’un adulte un peu honteux de croiser des classes à 25/30…) traverse la cour : direction le CDI. « Initiation à la recherche documentaire ». Plus exactement, l’espoir d’apprivoiser un lieu mystérieux, une des clés qui mènent à « l’intégration » scolaire… À la fin de l’année on saura tout sur les fictions, les documentaires, leur place dans les rayons et leur cote. Experts en « BCDI » et en réalisation de panneaux exposés sur les murs, sera-t-on pour autant devenus des « habitués » du lieu ? Osera-t-on venir lire une BD ou un documentaire sur le sport à la prochaine heure de « trou » ? Saura-t-on s’emparer de ces trésors sagement alignés sur des étagères austères… Une fois le prof nous a demandé de ramener pour la classe un livre de notre pays. On était à peine la moitié à en avoir chez nous.

11 h 30 – Les ventres gargouillent. On avance moins vite… On se lasse un peu, on s’éparpille. Il faut ralentir le rythme. Cette année on travaille sur les contes. On en lit (d’Afrique, de France ou du Tibet…) parfois, ça réveille quelques souvenirs, les langues se délient… Et puis, au bout d’une demi-heure, direction la salle informatique, trop spacieuse pour nous (25 postes pour une dizaine d’élèves)… Notre conte, celui qu’on essaye d’écrire, on va le mettre sur un Cd-rom qu’on fabrique nous-mêmes ! C’est plein de couleurs, de pages qui tournent, d’images piquées sur internet, de fautes que l’ordinateur souligne en rouge. Bien pratique, sauf quand ce sont des noms de notre pays qu’il se refuse absolument à reconnaître (Microsoft semble allergique à Mohamed, Abou, Inty ou Rostam…).

Garder le rythme

Mardi 8 h 30 – Revoilà les « soutiens linguistiques ». On lit des livres ensemble, on essaye de comprendre, de faire des hypothèses à partir de la couverture, des illustrations. On fait semblant de ne pas avoir vu l’âge des lecteurs sur la 4ème de couverture… C’est comme en cours de français (normal, le prof de CLA, il est prof de français 3). Mais on prend notre temps, on peut lire à haute voix plus souvent, et répondre à des questions plus simples à comprendre. Les histoires nous concernent un peu, en ce moment c’est L’Œil du loup, un petit garçon et un loup qui tous les deux ont été déracinés… et qui rêvent de retrouver leur pays.

9 h 30 – ça tourne ! Les « anciens » cèdent la place aux « nouveaux ». On se dit tous bonjour dans notre langue : en arabe, en tibétain, en anglais, en portugais, en russe, en turc… Curieusement, plus on parle sa langue, plus on a envie d’échanger aussi en français ! Le professeur est vraiment très mauvais en prononciation, les élèves arabes s’énervent un peu, cherchent une formule plus simple à prononcer. Heureusement que c’est écrit en phonétique sur les murs de la classe… Avant on ne faisait pas ça. Interdit de parler dans notre langue… Depuis que c’est autorisé, on dirait qu’on se sent mieux, ça ne nous empêche pas de parler français, au contraire, et puis ça nous rappelle qu’on a tous des choses à apprendre aux autres et à apprendre des autres. Ensuite, on se remet au gaulois, en jetant un coup d’œil sur la montre, combien de minutes avant de retrouver les copains en récré pour parler de l’OM, du PSG ou de 50 cent…

10 h 30 – On traverse le couloir, direction la classe des 4e M (élèves de Segpa). On fait un « Idd », un truc qu’est plus à la mode mais qui permet de faire travailler 2 classes en même temps avec 2 profs. Le nôtre il observe comment on réagit dans une classe « ordinaire ». Cette année on fait vivre un immeuble qu’on a inventé, c’est une simulation globale. Il arrive plein de trucs aux habitants et on joue les scènes puis on se filme, après on se voit à la télé. Il faut parler fort et pas trop rigoler… Les profs se trompent tout le temps de bouton sur le caméscope… à « midi pile » on sort, c’est une expression qu’on aime bien, on la retient tout de suite. Les deux profs s’enferment une demi-heure encore avant la sonnerie de 12 h 25. De quoi ils peuvent bien parler ? De nous ? Du projet ? Du menu de la cantine ?
13 h 30 – Pendant deux heures on va faire notre « revue de presse ». D’abord on choisit un numéro d’un journal pour collégien, Mon quotidien (enfin, on se chamaille un peu parce qu’il n’y en a pas assez pour tout le monde !). On feuillette, on regarde les images, ah oui, regarde, ça je l’ai vu à la télé ! Après avoir échangé sur les sujets qui nous intéressent (la planète Mars, l’Arc de Triomphe, les présidentielles, les animaux…) on prend une photocopie pleine de questions, toujours la même, ça nous énerve, pour noter les évènements du jour en France, dans le monde, la Une… Et en plus faut donner son avis… Ce truc-là on comprend pas trop pourquoi le prof il s’obstine à nous le faire faire chaque semaine. À quoi ça sert ? Il doit souvent s’expliquer (se justifier ?) : on lit, on écrit, on apprend du vocabulaire, la civilisation, on devient des petits citoyens… On dirait que le message ne passe pas très bien. Faudrait qu’il retravaille son truc s’il tient vraiment à continuer ! Ça se finit en salle informatique : on met en page notre travail comme de vrais petits maquettistes (on dirait que le prof a l’habitude…) : la date, les évènements, des titres, un petit texte pour expliquer, notre avis… tout ça autour des illustrations que l’on a découpées pour les coller après sur les feuilles et avoir de la couleur (sinon ce serait en noir et blanc à cause de l’imprimante…). Vite ça va sonner, on court au CDI juste à côté, on décroche la revue de presse de la semaine dernière, on installe la nouvelle (encore 5 minutes de récré de perdues…). Il paraît que les élèves du collège aiment bien venir voir notre travail…

On voit le bout…

Jeudi 8 h 30 – Là c’est du sérieux : « orientation », que va-t-on faire après le collège ? À cette heure-là, il n’y a en CLA que des élèves en 4 e ou en 3 e… Il faut comprendre comment marche le système éducatif en France, comment faire son dossier d’orientation, comment faut faire pour devenir footballeur professionnel ou top-modèle 4 … C’est compliqué et ça fout les boules. Il y a Moussa, qui était là l’année dernière, en septembre il n’avait pas d’affectation… Pourtant, élève très sérieux, il avait un bon dossier, il avait trouvé un employeur pour ses stages… mais au CFA, ils aimaient pas trop sa couleur… C’est comme CAP coiffure, quand on est noir(e) vaut mieux éviter. Allez vérifier chez votre coiffeur !

9 h 30 – Vidéoprojecteur, grand écran… On apprend en regardant des films ! C’est une nouveauté de cette année et c’est sympa. Ça nous permet de parler de plein de trucs, et surtout de les voir. Le prof refuse de nous passer Spiderman II ou Star Wars, c’est dommage, mais bon, ce qu’on voit c’est quand même pas trop mal…

10 h 30 – C’est à nouveau l’Idd parce que pour cette activité on est divisés en 2 groupes : ceux du mardi et ceux du jeudi.

13 h 30 – Lecture, mais tout doucement, parce qu’on a encore un peu de mal. De là où on vient bien sûr l’école existe, mais c’est parfois loin, ou bien surchargé et le prof te laisse dormir au fond de la classe. C’était aussi très facile de sécher les cours… Alors le retard en lecture s’est accumulé. On est peu nombreux, du coup d’autres élèves du collège, des vrais « gaulois » viennent aussi parce qu’ils ont les mêmes difficultés que nous. Pas très syllabique tout ça, on regarde des documents, on devine, on globalise (c’est la mondialisation !). Pas de risque que le prof se fasse taper sur les doigts, un inspecteur de CLA ça n’existe pas… Il monte son échelle à l’usure, à l’ancienneté (et comme il fout un peu la merde au collège, il est à chaque fois en grève, c’est pas sa note administrative qui le fait grimper).

Allez, fin de la semaine. Le prof rentre chez lui, avec deux petits blonds à la maison, il est à temps partiel – on l’envie ! Nous, on repart en classe, on retrouve les copains, mais on n’a plus le droit de se lever ni de demander de l’aide aux autres…, les profs veulent nous mettre des notes (enfin, ils essayent) et ils nous parlent bien trop vite. Au milieu de 25 autres élèves, on peut se reposer un peu, le prof a pas trop le temps de se consacrer à nous, de nous faire faire des activités « adaptées »… On voit bien que ça le dérange un peu, il ira voir notre prof de CLA pour lui demander conseil… Sauf que celui-ci n’a toujours pas trouvé de solution ! 

(hiver 2007 / des choses ont changé depuis, à commencé par le nom des classes d’accueil devenues UPE2A – Unité pédagogique pour élève allophone arrivant. Beaucoup de choses ont aussi évolué dans mon organisation de la semaine…))

Grégory Chambat, enseignant en CLA depuis 2001, CNT éducation 78

1. Les CLA accueillent en priorité les nouveaux arrivants. Au bout d’un an de prise en charge ils rejoignent à temps complet une classe de collège en fonction de leur âge. Un accompagnement de quelques heures est mis en place après cette première année, le « soutien linguistique ».

2. À leur arrivée les élèves sont inscrits dans une classe « ordinaire ». Ils fréquentent la CLA pendant quelques heures (14 heures sont attribuées), ils sont alors « sortis » de cours. Le reste du temps, ils le « passent » dans leur classe de rattachement. Ils sont intégrés prioritairement en EPS, arts plastiques et musique.

3. En collège, les intervenants en CLA sont des profs qui n’ont pas suivi un cursus particulier. Un petit stage de 4 jours, et hop, il faut se démerder tout seul avec une vingtaine d’élèves, d’âge et de niveau très différents. Ça relativise l’hétérogénéité des classes de collège…

4. « PAM », le logiciel qui gère les affectations en CAP et BEP ne comprend que les notes… les élèves de CLA ne sont souvent pas évalués, en tout cas pas dans toutes les matières. Il faut donc tricher et rentrer des fausses notes… Ensuite, le système éducatif français repose toujours sur une culture théorique. Même expert en mécanique, un élève qui n’a pas de bons résultats aux épreuves écrites du CAP sera recalé… Un sacré handicap pour les élèves non-francophones, surtout ceux qui arrivent à un âge avancé.

3 Comments

  1. Jean

    Cour de babel : une semaine en classe d’accueil
    Des collègues, de deux académies différentes me rapportent que ce dispositif sera supprimé dans leur établissement à la rentrée 2014-2015, les nouveaux arrivants seront donc intégrés en classe “standard” avec des heures de français en plus…
    S’agit-il d’une décision d’ampleur nationale? Je n’ai rien trouvé sur le net à ce sujet…
    Merci de votre réponse…

  2. Questions de classe(s)

    Cour de babel : une semaine en classe d’accueil
    Bonjour
    Tout peut arriver… mais là quand même ça ressemble à une rumeur. De quelles académies s’agit-il ?
    Greg

    • Solène

      Cour de babel : une semaine en classe d’accueil
      Oui, c’est vrai. Cela va dans le sens de la circulaire sur l’inclusion parue l’année dernière. Une pétition “Sauvons les classes d’accueil” circule sur internet. Elle concerne l’académie de Créteil. On ne peut qu’être pour l’inclusion mais si celle-ci est prématurée elle risque bien d’être synonyme d’échec et, donc, d’exclusion.

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