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1927… 2017, instruction ou éducation ?

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L’instruction avec son retour aux fondamentaux réduits aux seuls « lire, écrire, compter » est fortement recommandée par nombre de programmes politiques.
L’éducation au ban de l’école ! Avec ses ouvertures à la complexité du monde, elle serait responsable de son mauvais état et de l’ignorance de la jeunesse ! Les « hussards noirs », les anciens « maitres d’école » sont fantasmés…
Pourtant déjà en 1927, de nombreux pédagogues officiels ou non ne défendaient plus la seule instruction.

Célestin Freinet, dans un article de l’Ecole émancipée [1] :
« L’instruction
On a pendant plus d’un siècle idolâtré l’instruction. On pensait qu’enseigner à l’école les premiers éléments de la lecture, de l’écriture, des sciences, devait contribuer à l’élévation maximum des citoyens. […]
Cette grande valeur éducative qu’on attribuait ainsi à l’instruction n’est plus défendue aujourd’hui par aucun pédagogue sérieux. La grande revue officielle française elle-même, L’Enseignement public, dit sous la signature de F. V. (numéro de novembre 1928) : “L’école a plus et mieux à faire que de transmettre le savoir. Ce qui est grand, ce n’est pas le savoir, ce n’est pas même la découverte, c’est la recherche. L’esprit n’est pas un grenier qu’on remplit, mais une flamme qu’on alimente ; il n’est pas la connaissance possédée, la science apprise et assimilée, mais une activité toujours en éveil, qui, sans répit, se pose des problèmes nouveaux, invente, combine, organise les faits, suivant des rapports non encore aperçus.”
Faute d’avoir oublié cette mission sacrée, que définissaient déjà avec leur clair bon sens, les Rabelais, Montaigne, Rousseau et Pestalozzi, l’école s’est condamnée à une flagrante stérilité. Elle a pourtant instruit des générations. Qui pourrait dire, hélas ! qu’elle les a “élevées” ? Et la stupidité de la dernière Grande Guerre ne condamne-t-elle pas implacablement, aux yeux du prolétariat, le système d’éducation qui l’a permise, sinon préparée ? »

« Éducation
Il nous faut redonner au mot éducation le beau sens qu’il n’aurait pas dû quitter. L’éducation n’est ni gavage, ni dressage ; elle est élévation maximum de l’individu, et ne peut être déterminée ni imposée du dehors quelle que soit la perfection des procédés employés. […] Et voici la grande révolution éducative qui est en train de s’accomplir. Nous renversons les valeurs.
C’est l’enfant qui devient le centre de l’école ; l’école est le lieu ou de petits êtres humains s’éduquent et s’élèvent avec l’aide des camarades, de la nature, des livres, du maître, etc. »

Suivirent la crise économique et le chômage, la montée du fascisme, les horreurs de la Seconde Guerre mondiale… puis les espérances de la sortie de guerre, les avancées du Conseil national de la résistance, les « Trente glorieuses », l’Europe et la paix…

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Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, la crise économique bat son plein, le chômage explose, l’extrême droite frappe aux portes du pouvoir, les guerres s’installent hors de l’Europe, mais avec son armement…
Et l’éducation n’est pas la priorité des débats et des programmes politiques. Si les fondamentaux à l’école sont mis en avant, ils sont réduits à « lire, écrire, compter », rien sur la compréhension du monde, sur la complexité et l’articulation des savoirs, qu’ils soient historiques, géographiques, écologiques, sociologiques, économiques, juridiques, démocratiques…
Une grande nostalgie des règles et petits résumés appris par cœur, des longues séries d’exercices, des cartes de France… tout justes bons pour réussir une évaluation, voire un examen, mais certainement pas pour prendre place dans la société, de sortir de l’entre soi et voir ce qui nous entoure comme des objets et des sujets de connaissances.

L’autre devient étrange, surtout s’il est étranger[2]. La devise de la France « Liberté, Égalité, Fraternité » se réduira-t-elle à soi et à ses semblables ?
La France comme terre de la démocratie et de l’humanisme deviendra-t-elle un souvenir ? Un objet historique à découvrir dans les musées ?

Ses questions ne semblent pas prioritaires, car en 2017 l’instruction est remise en avant et les pédagogues sont stigmatisés sur le banc des accusés du déclin de l’école. Pire qu’en 1927 !

1] Extrait de Le maître insurgé, Editions Libertalia, octobre 2016. [http://www.editionslibertalia.com/catalogue/nautre-ecole/nautre-ecole-8
[2] Étranges étrangers est un poème de Jacques Prévert écrit en 1951 et paru en 1955 dans le recueil La pluie et le beau temps aux éditions Gallimard.

1 Comment

  1. Thierry FLAMMANT

    1927… 2017, instruction ou éducation ?
    Les deux mon capitaine !
    L’école n’a pas d’autre mission.
    Puisque l’éducation n’est ni un “gavage”, ni un “dressage”, pourquoi l’instruction le serait ?
    L’alternative évoquée dans le titre n’a pas de sens. Ce débat est stérile. L’émancipation passe par le savoir, les connaissances, donc l’instruction, et l’éducation pour autant que cette dernière s’écarte de la morale bourgeoise ou cléricale.
    Freinet n’est pas un auteur sacré il me semble.
    Qui instruira sinon l’école ? Les médias, le business, les religions ? Instruire et éduquer sont les deux faces de ce lieu unique qui s’appelle l’école.
    Eduquer n’est pas un métier. Apprend-on à éduquer ? J’en doute. Instruire en est un (ce qui ne signifie pas que chaque “instructeur” soit à la hauteur de l’enjeu).
    Remplacer l’instruction par l’éducation rendra service à tous ceux qui veulent en finir avec le savoir émancipateur et avec l’instruction publique. On est sur la bonne voie. L’employé des banques récemment élu va s’y employer, soyez en sûr ! Il pourra ainsi supprimer les emplois d’instituteurs, de professeurs, de documentalistes (c’est du savoir ça) et les remplacer par le personnel sous formé, sous payé, sous qualifié des T.A.P. municipaux. Ce sera cool l’éducation sauce Macron.
    Les résistants continueront d’instruire et d’éduquer afin que les élèves soient armés pour renverser ce vieux monde décrépi.

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