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Justice pour les enseignantes grévistes de la faim de Toulouse !

Un billet du blog d’Alain Refalo

Six enseignantes du collège Bellefontaine à Toulouse avaient participé à un mouvement de grève reconductible de trois semaines au mois de décembre dernier. Comme la majorité de leurs collègues (la grève avait été suivie à 75%), elles demandaient l’application des décrets de loi sur l’éducation prioritaire qui prévoit des moyens supplémentaires pour les collèges qui expérimentent la réforme REP dont le collège Bellefontaine était préfigurateur en tant qu’établissement pilote. Une longue grève pour faire appliquer la loi, une grève pour avoir les moyens de réellement travailler dans un environnement difficile.

Ce mouvement de grève a laissé des traces. Surtout au rectorat de l’académie de Toulouse qui, semble-t-il, n’a pas apprécié que l’on abuse ainsi de ce droit essentiel. Un dossier à charge contre plusieurs enseignants du collège, truffé de mensonges comme il se doit, a été établi par le principal de l’établissement, passablement dépassé par les évènements. Mais les enseignants n’ont pas eu droit à la parole ; ils n’ont pu réellement se défendre et plaider leur cause. Il n’y aura pas de commission disciplinaire, mais une décision expéditive d’autorité avec une sanction exemplaire. Le 18 juin, le rectorat prononçait la mutation de six enseignantes « dans l’intérêt du service ». D’un service qui doit toujours être aux ordres bien sûr. Car l’intérêt supérieur du service commanderait plutôt de maintenir dans leur collège des enseignantes appréciées, volontaires, porteuses de projets pédagogiques ambitieux et qui ont le soutien de leurs collègues et bien au-delà de l’ensemble de la communauté éducative. Mais le bon sens a-t-il jamais gouverné cette institution ?

Le 21 juin, l’une des six enseignantes sanctionnées, Laure Betbeder, professeur en Sciences et Vie de la Terre, entamait, seule, une grève de la faim. Elle s’est installée, jour et nuit, devant le rectorat de Toulouse, soutenue par de nombreux collègues et citoyens.

A insi à quelques jours des vacances d’été, une enseignante décide de se lancer dans une action dont les conséquences peuvent être dramatiques pour elle-même. Elle ne peut admettre que « sa dignité d’enseignante et son investissement pour ses élèves puissent être bafoués par la parole d’une seul chef d’établissement, qui, débutant et malveillant, a voulu se venger d’un mouvement social qu’il n’a su ni comprendre, ni gérer ». A elle seule, la décision de Laure de commencer cette action risquée témoigne par effet de miroir de tous les archaïsmes que l’institution véhicule sans jamais chercher à s’en départir. Archaïsme d’une gouvernance inadaptée, archaïsme de l’absence de dialogue, archaïsme du mépris des enseignants par ceux qui devraient les respecter, archaïsmes de laisser sans réponse leurs nombreux courriers pendant huit mois, archaïsme de décisions arbitraires, archaïsme du manque de cohérence entre les missions demandées et les moyens alloués….

Au 10ème jour de sa grève de la faim, Laure montait à Paris dans l’espoir de rencontrer la ministre de l’Education nationale. Qui l’ignorera superbement… La ministre fera dire qu’ »elle en a assez d’être saisie par les élus locaux sur le problème du collège Bellefontaine de Toulouse ». Nous serions tentés de dire que si madame la ministre en a « assez d’être saisie », alors qu’elle prenne les décisions nécessaires qui sont en son pouvoir et elle ne sera plus importunée par les menues affaires locales qui l’agacent vu de Paris ! C’est le député Jean Lassalle qui recevra Laure. Ce même député qui m’avait immédiatement témoigné sa solidarité et son soutien lorsque j’ai écrit à mon inspecteur la lettre « En conscience, je refuse d’obéir », le 6 novembre 2008 pour dénoncer les attaques contre l’école de la République et rester fidèle à l’éthique des missions qui me sont confiées. Il fut d’ailleurs le seul député avec Jack Lang à s’engager ouvertement pour la cause des enseignants-désobéisseurs du primaire et à les soutenir lorsqu’ils subirent pressions et sanctions.

Le 6 juillet, la rectrice de Toulouse est promue Chevalier de la Légion d’Honneur par la ministre de l’éducation nationale. Il est des hasards surprenants, qui révoltent bien sûr…, mais qui contribuent surtout à renforcer la détermination de celles qui luttent avec obstination et qui ne recherchent d’autre récompense que celle de pouvoir exercer leur métier avec dignité dans l’établissement qu’elles ont choisi. Le lendemain, la mère de Laure, Annick, entame à son tour une grève de la faim et s’installe devant le Rectorat aux côtés de sa fille.

Trois jours plus tard, à l’issue d’une rencontre, le Rectorat évoque l’idée d’interrompre et d’annuler les sanctions si les enseignants ne contestent pas leur mutation au tribunal administratif… Merveilles d’une langue de fer qui jamais ne cède, qui jamais ne reconnaît ses torts et dont l’absence d’humanité nous rappelle qu’il s’agit en réalité d’un monstre froid, d’un état dans l’état qui sanctionne le plus souvent en dehors de toute règle élémentaire de droit. Nous en avons aussi fait l’expérience en 2009…

Au 19ème jour de la grève de la faim de Laure (le 10 juillet), la médiatrice de l’Education nationale discutait longuement avec Laure et indiquait, selon son comité de soutien, qu’elle comprenait « la violence du traitement infligé aux professeurs de Bellefontaine depuis huit mois ». Cette violence qui n’est autre que la violence d’un système qui méprise depuis trop longtemps les personnels enseignants, y compris lorsque ceux-ci appellent au secours l’institution. Et il y en eut des appels au secours depuis huit mois et des messages d’alerte… Ils sont restés sans réponse, par indifférence aux problèmes soulevés, mais souvent par méconnaissance du terrain. Signe d’une grande incompétence et d’une grave irresponsabilité qui n’ont certainement pas leurs pareils dans aucune autre institution éducative en Europe.

Le 15 juillet, deux collègues de Laure, Claire Fédérici, professeur de technologie et Bakoly Ramangalahy, professeur de lettres, entamaient à leur tour une grève de la faim. Ce mouvement s’inscrit donc dans la durée. Les autorités n’auront pas de répit, malgré la fermeture toute prochaine du Rectorat pour cause de vacances. Pendant ce temps, la ministre annulait sa venue à Toulouse justement pour inaugurer les nouveaux locaux du Rectorat de Toulouse flambants neufs… Un bâtiment neuf, mais une hiérarchie d’un autre temps avec des méthodes répressives du passé… La refondation tant annoncée ne concerne toujours pas la gouvernance au sein de l’institution qui est pourtant l’une des clés de sa réussite.

On ne peut que louer le courage de Laure, de sa mère Annick et de ses deux collègues Claire et Bakoly de persister dans leur action, alors que la canicule sévit tout particulièrement dans la ville rose. Folie, inconscience… diront certains. Lucidité, ténacité, répondront les autres. C’est une action qui certes nous fait perdre nos repères habituels et qui vient quotidiennement nous déranger à l’heure où les enseignants voudraient profiter d’un peu de repos et oublier les soucis du métier. Mais je le dis avec gravité, cette grève de la faim n’est autre qu’un signal d’alarme, un cri silencieux de la conscience qui concerne l’avenir de notre système éducatif au bord de l’épuisement et de la déroute. Plus largement, elle est peut être, à cette heure, un « signe des temps » pour une société qui a perdu ses repères vis à vis de son école et qui, espérons-le, n’attend qu’un déclic pour se ressaisir. Je veux croire que l’action des enseignantes de Bellefontaine sera ce déclic.

Pourquoi une grève de la faim ? Laure et ses collègues ont épuisé tous les moyens qui étaient à leur disposition pour plaider l’injustice qu’elles subissent. Elles ont décrété l’état d’urgence. Elles refusent de donner encore du temps au temps ; elles affirment que le temps a assez duré et qu’elles n’ont plus le temps. Elles ne veulent plus tolérer l’intolérable. Elles veulent donc accélérer le temps en prenant le risque, un risque mortel à terme, de conjuguer la volonté de justice au présent et non au futur. Face à l’injustice qu’elles endurent depuis des semaines, elles ont recours à une action juste. Elle est juste parce que décidée en conscience et en responsabilité au nom de l’intérêt général, de l’intérêt de leur collège. Au coeur d’un système éducatif toujours plus déshumanisé qui engendre inégalités et échecs scolaires, elles portent l’espérance d’un métier qu’elles ont à coeur et dont elles ne veulent pas désespérer. Elles incarnent aussi, dans leur fragile condition, l’humanité qui s’indigne et résiste, qui persiste et signe, qui espère contre toute espérance. Elles sont aujourd’hui l’honneur de l’Education nationale.

Elles ont pris leur décision en toute connaissance de cause. Les risques qu’elles prennent, elles les assument pleinement. Elles seules peuvent décider de poursuivre ou d’arrêter leur action. Le rectorat a pris, si l’on peut dire…, ses « responsabilités » en toute irresponsabilité, elles ont pris les leurs en toute conscience. Nous ne pouvons rester spectateurs de ce face à face. Il appartient désormais aux citoyens, à l’opinion publique, à toutes les femmes et les hommes de bonne volonté, de se mobiliser pour accentuer la pression sur le rectorat et le ministère. Car les enseignantes de Bellefontaine, au-delà de leur juste cause, défendent les droits de tous les enseignants, de tous les salariés face au rouleur compresseur du management libéral qui n’épargne plus personne, y compris l’institution scolaire. Elles défendent également les droits de tous les jeunes de ce pays à bénéficier d’un enseignement de qualité au sein d’une institution qui doit enfin substituer la confiance à la méfiance, la bienveillance au mépris. Pour toutes ces raisons, elles méritent notre reconnaissance. Pour toutes ces raisons, c’est un devoir civique d’être à leurs côtés. Pour toutes ces raisons, il est temps qu’elles obtiennent gain de cause.

Et ce sera justice.

Alain Refalo
Professeur des écoles (Colomiers, 31)

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