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Ken Loach : le défi aux puissants

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Difficile de résumer la carrière du réalisateur britannique Ken Loach en quelques mots tant elle est prolifique. Plus d’une quarantaine d’œuvres pour le cinéma ou la télévision, longues ou courtes, (après avoir travaillé pour le théâtre) parmi lesquelles : Land and Freedom, Le vent se lève, The Navigators, Kes, etc. Des sujets aussi variés que la guerre d’Espagne, la jeunesse britannique, le whisky ou encore Éric Cantona ! Des quantités de récompenses dans les festivals, Palme, Lion et Ours d’or, César, passons !


Article extrait du n°2 (nouvelle série) de la revue N’autre école / Questions de classe(s), automne 2015.

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Pourtant, ce qui ressort le plus souvent lorsqu’on parle de Ken Loach, c’est l’impossibilité de dissocier art et politique, tant les deux s’enchevêtrent dans sa carrière et dans sa vie.

C’est ce lien permanent que se propose d’explorer cet entretien entre Loach et Frank Barat aux éditions Indigène (auxquelles on doit le fameux Indignez-vous de Stéphane Hessel) dans la bien nommée collection « Ceux qui marchent contre le vent ». Bien que la première partie se concentre sur les processus créatif et technique de la réalisation, tandis que la deuxième développe plus les convictions politiques, on se rend rapidement compte qu’on ne pourra pas évoquer l’un sans évoquer l’autre.

Ken Loach fait du cinéma pourf aire bouger les choses. Mais il faut éviter l’écueil de la démonstration, d’où le rôle essentiel qu’il reconnaît au scénariste. Des liens très forts se sont d’ailleurs créés au cours de sa carrière, particulièrement avec Paul Laverty. De simples histoires, ils arrivent à faire des films parlant à son public, par cette volonté de s’intéresser plus aux personnages qu’au contexte.

On comprend alors l’importance du choix des acteurs et actrices et de leur direction. L’origine sociale, les convictions politiques, l’accent vont par exemple contribuer à restituer une manière de parler la plus fidèle possible au portrait du personnage.Il fait donc essentiellement appel à des comédiens peu connus, voire amateurs, à de très rares exceptions près. Celles et ceux qu’il appelle les « stars hollywoodiennes » ont trop de bagage filmographique pour que le spectateur puisse s’en départir. On se souvient, dans Land and Freedom, d’une longue scène sur la collectivisation des terres. Les acteurs professionnels étaient mélangés à des amateurs venant de la région. Toutes et tous étaient proches de ces convictions politiques, pouvant ainsi défendre leurs idées avec beaucoup de liberté, c’est-à-dire des lignes directrices bien plus qu’un texte écrit précisément. La prise de risques pour le réalisateur, les incertitudes amènent finalement à plus de justesse dans l’interprétation, pour peu que la manière de filmer soit honnête et intègre. Ken Loach, par exemple, tourne le
film dans l’ordre de l’histoire, pour que les comédien-ne-s la découvrent petit à petit.

Dans sa manière de filmer, le cinéaste britannique imagine l’objectif de sa caméra comme une prolongation de l’œil. Le spectateur doit pouvoir s’imaginer proche de la scène, des personnages,sans effets de caméra factices tels que les plans serrés qui n’existent pas dans la vie. Que le théâtre de l’histoire soit géographiquement proche (la Grande Bretagne) ou éloigné (l’Espagne, le Nicaragua, etc.), contemporain ou historique (l’Irlande dans les années vingt), il faut trouver chez les personnages des aspects auxquels s’identifier, ce que les grandes fresques cinématographiques ne permettent pas.

Impossible de parler de l’équipe du film sans évoquer les conditions de travail. Ken Loach n’oublie pas, comme c’est trop souvent le cas dans lemonde du cinéma, que ce sont avant tout des travailleurs-ses. L’occasion pour lui de dénoncer les travers de l’industrie du cinéma : autoritarisme des réalisateur-rice-s, exploitation des comédien-ne-s,salaires délirants des stars…

La fin du livre laisse la place aux analyses politiques de la société. Loach y parle d’anticapitalisme, de la télévision comme appareil d’État, de syndicats et de partis politiques. Le spectre de Margareth Thatcher n’est jamais très loin.

Finalement, au-delà du processus créatif de Ken Loach en particulier, on en apprend beaucoup sur le langage cinématographique en général en explicitant le message politique et les manières de le faire passer à chaque étape de la création, on comprend à quel point chaque « rouage » est important. Étonnante est l’analogie que l’on peut faire entre une équipe de tournage et une classe impliquée dans un projet. Chacun-e apporte sa pierre à l’édifice, son savoir en totale coopération, le réalisateur comme un-e professeur-e jouant bien plus un rôle de coordonnateur, de guide, que de maître.

Cette capacité de Loach à raconter sans démontrer, de manière très pédagogique lui a (presque) toujours évité l’écueil de l’ennui, faisant de lui non seulement un artiste majeur, mais aussi un homme attachant par sa fidélité sans compromis, dans la vie comme à l’écran, aux valeurs de liberté, d’égalité, de solidarité et de coopération. ?

Nicolas Hernoult, Sud Éducation 92

Ken Loach, avec la collaboration de Frank Barat, Défier le récit des puissants, Indigène Editions (Ceux qui marchent contre le vent), 2014, 48 p., 5 €.

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