Ici, le refus d’imposer un rôle prédéterminé aux enfants et une fonction propre à chaque heure rend vaine toute tentative de définition d’un élève ou d’une journée type. On peut, certes, avec le temps, percevoir quelques habitudes, s’attendre à ce que tel enfant privilégie tel type d’activité jusqu’au jour où… Les footballeurs grimpent aux arbres à l’exception de deux pris d’une passion, aussi soudaine qu’impérieuse, pour la règle de trois. Filmer la Freie Schule Tempelhof est une gageure pour les raisons mêmes qui rendent son quotidien si intéressant. La contrainte et la routine se laissent beaucoup mieux montrer que leur absence. La disparition des normes, des règles que l’on illustre, donne quelque chose d’arbitraire au choix des scènes. Une solution consiste à multiplier les explications (entretiens, voix off, panneaux…) une autre, que j’ai décidé de privilégier, suppose l’acceptation de ces limites et de sa propre subjectivité. Renoncer à bien expliquer, bien justifier pour mieux partager le choc de la découverte. Si je n’ai pas cherché à éclaircir tous les points quelques réactions de spectateurs auxquels je montrais des rushes m’ont obligé à préciser quelque peu. Chez certains, dont j’attendais une condamnation sans appel de l’école, je ne rencontrais qu’une acceptation bonhomme fondée sur une accumulation de contre sens rassurants : les enfants de onze ans étaient perçus comme en ayant cinq, ceux de douze en avaient seize, on comprenait la Freie Schule mais plus difficilement mon choix de ne pas montrer les devoirs sur table ou les punitions… Sans être trop explicatif, il fallait mettre quelques points sur les « i ». Ce choix, ainsi que celui de tourner exclusivement ma caméra vers les enfants est aussi une tentative de traduire cinématographiquement la philosophie de l’école. Montrer l’usage que les enfants font de leur liberté au détriment de l’exposition des méthodes, contenus et objectifs pédagogiques correspond au refus des adultes de la Freie Schule de voir dans l’école un monde dont l’enseignant (et ses principes) serait le héros. Ici, le héros c’est l’enfant habitué à être respecté pour ce qu’il est et non en fonction de sa capacité à se plier à des exigences extérieures. D’où une étonnante indifférence au fait d’être filmé par un adulte. Indifférence à laquelle je dois d’amusantes révélations de « conneries » faites ou projetées et, plus généralement, une grande spontanéité d’enfants qui n’ont pas de rôle à tenir. □ (Rafaèle Layani)