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combattre la glottophobie


P. Blanchet est sociolinguiste et il présente dans un ouvrage de 200 pages un concept qu’il a forgé depuis quelques années. Il est des concepts, des idées, des dévoilements qui changent la façon de voir les choses, d’appréhender le monde : la glottophobie avec tout ce qu’elle entraine est de ceux-ci.
Pour faire court on peut dire que la glottophobie est l’ensemble des manifestations de domination (mépris, rejet, haine…) qui entraine une discrimination par la langue.

J’attendais ce livre depuis longtemps, depuis le temps où l’inénarrable Bentolila, linguiste médiatique et directeur de collection de chez Nathan, s’épanchait dans les médias de tout bord sur les sauvageons de banlieue, à qui il fallait donner des mots pour qu’ils ne donnent plus de beignes. Sa vision misérabiliste, la faiblesse de ses recherches pédagogiques et l’écoute bienveillante des politiques avaient abouti à un rapport ministériel et des programmes de primaire où l’acquisition du vocabulaire ressemblait à une posologie (1 ou 2 mots nouveaux par jour en grande section). Je me souviens qu’à l’époque j’étais atterré et je me sentais terriblement seul. Le misérabilisme a beaucoup de succès dans l’éducation. Heureusement quelques voix de sociolinguistes s’étaient élevées à l’époque dont celle de Blanchet et de Jo Arditty dans un superbe article: “La « mauvaise langue » des «ghettos linguistiques » : la glottophobie française, une xénophobie qui s’ignore”. Évidemment, le rapport entre domination et langue a depuis longtemps était montré (par Bourdieu entre autre). Mais là, avec ce concept de glottophobie on sentait bien que Blanchet avait levé un beau lièvre.

Dans ce livre tout y passe, les traces de sa condamnation dans les textes internationaux relatifs aux droits humains, la place compliquée que la France leur donne. L’histoire si particulière de la France et de ses langues. La place de l’école, des colonies (Jules Ferry), la pureté de la langue à défaut de la race… A chacune des pages, on retrouve ce que la sociolinguistique peut nous apporter de vérité, d’objectivité dans un discours sur la langue qui est envahi de croyance et d’idéologie.
Bien sur, dans le livre de Blanchet, l’école tient une place particulière: en tant qu’appareil idéologique d’état, elle inculque la croyance que les langues préexistent à leurs usages, que seules les langues standardisées sont légitimes et que la plupart des variations sont des fautes. Il fait un sort à cette terrible expression de « maitrise de la langue » qui suppose une réduction de la langue à un français standardisé, scolarisé, normalisé, limité, décontextualisé, atomisé. L’insécurité linguistique (tarte à la crème des thèses misérabilistes) n’est pas produite par le déficit linguistique de nos sauvageons accueillis dans nos écoles publiques mais par leur prise de conscience de la distance entre la langue qu’ils parlent et une langue prétendue pure, mythique et inaccessible. Prise de conscience parfois violemment imposée par des maitres pour qui admettre que les règles sont à la fois arbitraires et injustifiées entrainerait une dévalorisation de leur succès à les avoir eux-mêmes maitrisées. Le livre rend compte, malheureusement de quelques douloureux exemples, notamment autour des langues régionales, de l’accueil d’enfants étrangers, ou de jugement scolaire quand les enseignants se mettent à incarner l’institution (Blanchet cite le travail d’E. Brun, à paraître, qui montrerait comment l’être social de l’enseignant s’efface au profit de l’être corporatif, une piste prometteuse).

La langue pure, mythique à laquelle se réfère l’école va de pair avec un monolinguisme qu’elle a su imposer, le rapport entre les langues et l’école à une histoire celle d’un ethnocide. Elle a été l’acteur majeur de la disparition des langues régionales prônée par l’abbé Grégoire (député de la constituante) dont le rapport : Sur la nécessité et les moyens moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’Usage de la langue française, 1794, servit de plan à la politique linguistique de l’état français. Plan qui a parfaitement fonctionné. Lorsque Blanchet cite Calvet tout s’éclaire : « L’on peut dire que la France a fait ses premières armes de puissance impérialiste sur son propre territoire ». La figure emblématique de Jules Ferry n’est pas loin, celui qui représente encore pour beaucoup l’école francaise républicaine mais qui fut aussi le défenseur de l’expansion coloniale et dont le discours à la chambre en 1885 est aujourd’hui célèbre  :
Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures […][Remous sur plusieurs bancs à l’extrême gauche] parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures
(Ce même Jules Ferry auquel F. Hollande rendra hommage pour l’inauguration de son mandat).

Les politiques coloniale et linguistique de la france, promues par les même personnes à une même époque reposent sur les mêmes bases racistes. Ce constat étant fait Blanchet nous donne à lire toute l’actualité de cette idéologie dans un chapitre consacré à l’étude d’exemples. Mais surtout, et c’est en cela que ce livre est sans doute le plus remarquable, il invite à réinsérer la question linguistique dans un projet de société. Une sorte de pensée écologique de la linguistique qui en finirait une bonne fois pour toute avec l’idée d’une langue coupée des femmes et des hommes qui la produisent. Une langue qui ne serait pas à « maitriser » mais bien à créer par les situations qui fait qu’il faut les dire et les raisons que l’on a de les dire. Rien de passéiste là-dedans, si ce n’est peut-être à renouer avec des savoirs d’intercompréhensions et de multilinguismes qui sont encore bien présents pour 80% de la population mondiale (personnellement je fais partie des 20% restants).

Mais un autre monde (linguistique) est possible. Un monde où l’on adapterait les langues aux humains et à leurs besoins plutôt que de forcer les humains à s’adapter aux langues prédéfinies par celles et ceux qui s’arrogent le pouvoir de le faire et d’en faire un moyen de sélection et de domination.
P. Blanchet

“Discriminations : combattre la glottophobie” (Textuel)

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