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Une autre école, vite !

Ouvrir un livre signé Gabriel Cohn-Bendit, c’est l’assurance d’une réflexion sans concession sur notre système éducatif, la promesse d’une lecture et d’une pensée joyeuse mais aussi le risque de passer par quelques phases – salutaires ! – d’agacements…

Pour une autre école, repenser l’éducation, vite ! répond à toutes ces attentes ! L’initiateur des établissements expérimentaux a pris l’habitude, et cela fait maintenant 30 ans que ça dure, de s’adresser à chaque nouveau ministre pour lui faire part de ses propositions concrètes pour révolutionner l’école. Et si la fameuse formule lancée en 1982 à Alain Savary – « Camarade ministre ! » – a aujourd’hui disparu, restent, heureusement, les salutations libertaires finales…

« Qu’une autre école soit possible ne fait aucun doute pour moi. » – ni pour nous ! Cohn-Bendit réactualise son analyse de l’école tout en rappelant que les pistes pour la transformer sont connues (suppression des notes, de la compétition, formation des enseignants aux pédagogies actives, prise en compte du milieu, production et non consommation des savoirs, etc.), que des expériences existent (Lycée expérimental de Saint-Nazaire, Lycée autogéré de Paris, Clept de Bordeaux, École Vitruve, etc.) et surtout que les ennemis d’une école émancipatrice sont bien identifiés parmi les réac-publicains et leur nostalgie d’une école inégalitaire au service d’une société d’ordre et de hiérarchie.

Nous partageons ces analyses et ces perspectives et, comme Gabriel Cohn-Bendit, nous ne renonçons pas à défendre une autre éducation et à lutter pour une autre école.

Cependant, en lisant ces quelques pages où revient régulièrement le conservatisme du corps enseignant comme facteur explicatif de la paralysie du système, on songe à la célèbre formule de Bertolt Brecht « Puisque le peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple. »

Ce n’est certes pas sans raison que Cohn-Bendit souligne la responsabilité et le rôle des professeurs dans l’état actuel du système éducatif (« L’école est faite pour les enfants d’enseignants qui, par générosité, laissent les enfants des autres y entrer… à leur risques et périls », formule qu’il nous rapporte et qui fait mouche) et Mao avait déjà bien relevé que « Le problème essentiel dans la réforme de l’enseignement est celui des enseignants » (quant à Marx, il invitait les révolutionnaires à « éduquer les éducateurs »).

On le voit, le diagnostic n’est pas nouveau, il est probablement juste. Mais doit-on se résoudre à une posture élitiste et convoquer les « 10 % » de pédagogues les plus conscientisés pour changer l’école ? Le paradoxe est là : on ne changera pas l’école avec les enseignants mais la changerons-nous sans eux ? D’autant que nous faisons aussi partie de ceux-ci… ? La distance sociale entre enseignants et enseignés se creuse. Mais ne négligeons pas une autre évolution de la profession, celle d’une progressive « prolétarisation », non pas comprise comme une paupérisation, mais comme un renforcement de l’aliénation, de la perte de sens et de prise sur le métier. Une piste qui serait à creuser et à croiser avec la question de l’engagement syndical.

Que les principales centrales soient – en dépit de leurs postures mondaines – opposées à une transformation en profondeur de l’école, c’est un fait. Que le syndicalisme puisse se résumer à ces caricatures que nous offre le paysage syndical enseignant est cependant une erreur.

Le pari du syndicalisme « authentique », celui qui se revendique des pionniers de la CGT révolutionnaire du début du siècle, des fondateurs de L’École émancipée (revue syndicale ET pédagogique) et qui n’oublie pas l’importance de l’engagement syndical de Célestin Freinet dans son cheminement pédagogique, ce pari, donc, c’est celui de l’action directe. Une formule dont Albert Thierry s’était emparé pour l’appliquer aussi au domaine de la pédagogie.

Cette boussole nous ouvrirait peut-être d’autres voies que celles empruntées par Gabriel Cohn-Bendit, tout en nous permettant de cheminer vers le même horizon. Il s’agirait dès lors, non plus de faire advenir par le haut la révolution éducative (on se souvient que l’expérience libertaire de Paul Robin, lancée sous l’aile bienveillante de l’administration, fut stoppée d’un trait de plume, une poignée d’années plus tard, en conseil des ministres) mais de l’impulser ici et maintenant, par le bas… Découvrant le titre de l’ouvrage, j’ai immédiatement songé à celui d’une belle revue, “N’Autre école”, et ce qui à la fois rapproche et différencie les deux formules…

Saluons l’heureuse conclusion de l’ouvrage et son appel aux pédagogues de toutes tendances à s’unir. Il est temps, en effet, mais souvenons-nous aussi que les dysfonctionnements de l’école répondent aux intérêts d’un système et d’un pouvoir économique et social qui s’en accommode et que nous ne devrons pas compter sur lui pour nous aider à le renverser.

Grégory Chambat, enseignant en collège, membre du comité de rédaction de la revue N’Autre école et du collectif d’animation de Questions de classe(s). Dernier ouvrage paru Apprendre à désobéir, petite histoire de l’école qui résiste avec Laurence Biberfeld publié aux éditions Libertalia, septembre 2013.


Pour une autre école. Repenser l’éducation, vite !, Gabriel Cohn-Bendit, coll. Haut et Fort, Editions Autrement, 80 p., 2013, 12 €.

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