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Une « Répliques » de trop

Nous relayons in extenso le texte suivant posté ce mardi 13 octobre sur Mediapart et dont des membres de QdC sont signataires :
http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/131015/une-repliques-de-trop

Considérant que les propos tenus par Georges Bensoussan, responsable éditorial du Mémorial de la Shoah, lors de l’émission Répliques, sont racistes, un groupe d’enseignants, chercheurs, et journalistes (1) demandent au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel d’intervenir en condamnant ses propos.

L’émission “Répliques” a une fois de plus franchi, ce matin du samedi 10 octobre, le seuil du tolérable. On sait que, depuis des années, son philosophe-animateur Alain Finkielkraut s’échine à mettre en scène un semblant de débat démocratique, en invitant des intellectuels aux positions antagonistes. Bien qu’il ne sorte souvent pas grand-chose de ces face-à-face, certains se plaisent encore à y trouver quelques références, et l’opportunité d’un débat d’idées policé. Mais de fait, cette émission est devenue depuis longtemps l’antichambre faussement feutrée de la banalisation des idées les plus réactionnaires.

Jusqu’ici, nous nous contentions d’en regretter l’audience et la publicité. Mais lors de l’émission consacrée au « sens de la République », les propos tenus par l’un des invités, Georges Bensoussan, historien, rédacteur en chef de la Revue d’histoire de la Shoah et responsable éditorial au Mémorial de la Shoah, ont très largement dépassé le cadre de ce que le service public peut accepter en son sein.

À la 28e minute, Georges Bensoussan, souhaitant étayer son hypothèse d’un antisémitisme généralisé des populations dites « musulmanes » en France, prononce ces mots : « Aujourd’hui nous sommes en présence d’un autre peuple au sein de la nation française, qui fait régresser un certain nombre de valeurs démocratiques qui nous ont portés. (…). Il n’y aura pas d’intégration tant qu’on ne se sera pas débarrassé de cet antisémitisme atavique qui est tu, comme un secret. Il se trouve qu’un sociologue algérien, Smaïn Laacher, d’un très grand courage, vient de dire dans le film qui passera sur France 3 : “C’est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes, en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère”. » À cet instant, nous assistons en direct au glissement assumé d’un racisme culturel à un racisme biologique, condamnant au délit, sans distinction, une partie de la population française dès la naissance.

Nous souhaitons remercier vivement son interlocuteur, l’historien Patrick Weil, qui a fort opportunément répondu : « C’est une honte que vous puissiez dire une chose pareille parce que vous condamnez quatre millions de nos compatriotes », avant d’argumenter avec ténacité, malgré d’incessantes interruptions et interpellations vindicatives — il fut ainsi accusé de se livrer à un « véritable terrorisme intellectuel », de ne pas effectuer de « travail de terrain » ou de ne pas maîtriser son sujet.

Mais nous tenons surtout à exprimer notre colère face à ces généralisations proprement racistes, à ces paroles haineuses, juridiquement condamnables, politiquement et moralement insupportables, et surtout totalement indéfendables pour celles et ceux qui connaissent réellement le terrain et travaillent sérieusement ces questions. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) l’écrit par exemple dans son dernier rapport : « La France issue de la diversité n’est pas plus antisémite que la moyenne, elle l’est autant ».

Qu’il soit possible aujourd’hui, en France, sur une radio de service public, de prononcer impunément de telles paroles, teintées de complotisme et sans le moindre fondement scientifique – Georges Bensoussan rappelant plusieurs fois lui-même que ce dont il parle n’est pas quantifiable – nous paraît d’une extrême gravité. Que ces propos émanent d’un historien pleinement associé à la mission éducative du Mémorial de la Shoah est proprement sidérant. Enfin, qu’un membre de cette institution, partenaire agréé du ministère de l’Éducation nationale, dont les nombreux stages de formation rencontrent un succès croissant et justifié, puisse ainsi porter l’étendard de la stigmatisation xénophobe nous semble entacher gravement sa mission d’« endiguer cette montée de la haine et des préjugés qui sévissent dans notre pays ».

Georges Bensoussan a tout à fait le droit de penser ce qu’il veut, de refuser d’analyser la complexité de notre société et de reprendre à son compte les discours les plus simplistes et les plus nauséabonds. Il a tout loisir de jouer de l’intimidation intellectuelle et de crier à la censure dès qu’il rencontre une contradiction argumentée. Il n’est ni le seul, ni le premier. C’est même devenu aujourd’hui le meilleur moyen d’attirer l’attention lorsqu’on s’exprime publiquement. Rien que de tristement banal, en somme.

Néanmoins, il est de la responsabilité du service public de lutter contre ces propos qui entretiennent des divisions artificielles dans notre société. Ainsi, nous demandons une condamnation ferme du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, dont c’est la responsabilité que de réguler ces dérapages, et affirmons haut et fort que la violence de tels propos ne fait pas honneur à notre mission collective de prévention des dérives de cette nature.

(1) Signataires :

Tewfik Allal, militant associatif; Gregory Bekhtari, enseignant; Hervé Bismuth, enseignant-chercheur en littérature; Vincent Capdepuy, enseignant; Zoé Carle, enseignante; Grégory Chambat, enseignant; Nathalie Coste, enseignante, élue à Mantes la Jolie; Vincent Casanova, enseignant; Laurence De Cock, enseignante; Sophie Ernst, enseignante; Eric Fournier, enseignant-chercheur en histoire; Stany Grelet, enseignant; Alain Gresh, journaliste; Hayat El Kaaouachi, enseignante; Fanny Layani, enseignante; Erwan Le Nader, enseignant; Laurent Lévy, essayiste; Gilles Manceron, historien, LDH; Philippe Marlière, politiste (Londres); Servane Marzin, enseignante; Shlomo Sand, enseignant-chercheur en histoire (Tel Aviv); Véronique Servat, enseignante; Christophe Tarricone, enseignant.

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