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Un soir

Deux spectacles à la Cartoucherie de Vincennes ce vendredi 13 novembre : Bouc de là et Ronde de nuit.
Cinq classes d’UPE2A-NSA-LP, nous -leurs cinq profs-, les autres spectateurs.

Le premier spectacle se déroule à la porte d’un centre d’hébergement “quelque part en Europe”. Lorsque les spectateurs entrent dans la salle, ils passent cette porte, posée au milieu, puis vont s’assoir de chaque côté de barrières telles que celles qu’on utilise pour contenir les files serrées de personnes qui attendent dans le froid par exemple devant la pref, vous voyez ?.

Mais le centre ne peut héberger que 150 migrants. Les autres restent dehors et c’est leur personne, leur histoire qu’on découvre éberlués, entre le rire et les larmes, tout au long du spectacle.

Dans le deuxième, Ronde de nuit, un théâtre et son gardien traversent avec nous la nuit. Beaucoup de visiteurs y entrent et en sortent, parmi lesquels un quinzaines de réfugiés afghans dont on voit les rêves d’amour et les cauchemars de violence se matérialiser sous nos yeux alors que le gardiens a fini par les laisser dormir là, sur les matelas du théâtre.

Une vision crue de la vie que nos élèves connaissent bien. Comme le dit un élève “tout ça comme on a vécu, avec les choses mauvaises, et les bonnes”. La vie, avec son extrême dureté. Avec tendresse et beaucoup d’humour, aussi.

A la fin du spectacle on nous annonce qu’il s’est passé des choses graves à Paris. Un chauffeur de bus RATP à qui nous demandons conseil nous propose de nous accompagner jusqu’à Porte de Vincennes, parce qu’il n’y a ni bus ni métro. Nous entrons ainsi qu’une vielle dame munie de trois sacs plus grands qu’elle, remplis de bouchons de champagnes. Comme les informations que nous avons sur les possibilités de nous déplacer sont trop contradictoires pour prendre une décision, l’une de nous a l’idée d’appeler la police. “Nous ne contrôlons plus rien, il vaut mieux évier d’entrer dans Paris avec vos élèves” nous répond-on.

Le chauffeur fait demi tour pour nous amener de nouveau au théâtre.
La vielle dame et nous autre, les cinquante cinq, sommes reçus avec chaleur, thé, couvertures et matelas du spectacles et nous nous endormons dans la salle du spectacle où était placée la porte du centre d’hébergement. Les comédiens passent aussi la nuit là, avec les élèves, avec nous, discutent avec ceux qui ont trop peur pour dormir ou sourient à ceux qui sont trop chamboulés pour parler.

Au petit matin, ils nous préparent un mirifique petit dej et nous repartons vers Paris.

Bien sûr, il y a l’impressionnante similitude entre les spectacles que nous avons vus et la vie réelle, sans que l’on sache trop qui déborde sur qui. Mais surtout, dans cette similitude, la coexistence entre le pire et le meilleur de l’humain.

Si le souvenir de cette soirée est de mort et de peur, ils restera aussi pour les élèves et nous de solidarité et de chaleur humaine. Si les élèves ont pour certains d’entre eux déjà vécu ces nuits sur des matelas alignés, ces peurs et ces incertitudes, il me semble que cette fois, l’immense chaleur humaine des comédiens de la troupe de Caroline Panzera y a ajouté un ingrédient bien salutaire en cette journée de deuil et dont ils vont avoir grand besoin dans les jours qui viennent.

Merci à la troupe de la Baraque Liberté pour avoir prouvé à nos élèves ce dont jamais nos mots n’auraient pu les convaincre : malgré tout, cela vaut la peine d’être un humain.

Solène Lalfert

Notes :
-Les UPE2A-NSA-LP sont des classe d’accueil pour nouveaux arrivants de plus de 16 ans non scolarisés dans leur pays d’origine.
-Bouc de Là et La Ronde de nuit sont deux pièces respectivement montées par La Baraque Liberté et le Théâtre Aftaab et présentées au Théâtre du soleil du jusqu’au 13 décembre 2015. Allez-y !

4 Comments

  1. Cynthia Klapczynski

    Un soir
    Surtout, allez nombreux assister à ces spectacles d’une brûlante actualité : Bouc de Là et La Ronde de nuit.

    Oui, il faut rendre hommage à la troupe de La Baraque Liberté et à toute l’équipe du Théâtre du soleil, qui n’ont pas hésité un instant à nous héberger pour cette nuit bouleversante. Mieux, ils nous ont merveilleusement reçus chez eux et ont donné tout leur sens aux valeurs pour lesquelles ils s’engagent : la solidarité et la fraternité.

    Ce soir-là, la plupart des élèves que nous emmenions découvraient le théâtre. Ils n’avaient jamais assisté à ce type de spectacle et ne connaissaient pas cette manière de représenter le monde. Ils ont adoré ça !
    Mais, je me demande, comme Solène, dans quelle proportion la frontière entre fiction et réalité a pu se brouiller pour eux ; dans quelle mesure ils n’auront pas vécu la seconde partie de la soirée sur le même mode que la première partie, comme une sorte d’expérience théâtrale totale : nous les emmenons voir une pièce dans laquelle des réfugiés passent la nuit dans un théâtre pour se protéger du froid, et leur faisons vivre, juste ensuite, quasiment la même situation dans les mêmes décors…
    Ce qui est sûr, c’est que nous avons tous vécu une expérience du théâtre inouïe et une expérience humaine salutaire, et pour cela, chapeau bas !

    • solene

      Un soir
      Le commentaire de Dominique Seghetchian ayant été volatilisé par le mystère de l’informatique, je le poste à nouveau (avec nos excuses à son auteure pour cet incident !)
      solène

      Bonjour

      Vous craignez que, pour vos élèves, la frontière soit fragile entre le spectacle auquel ils ont assisté et la nuit réelle qu’ils ont passée. Mais c’est que le spectacle était aussi une représentation d’un réel. Réel ne veut pas dire réaliste. Le bon théâtre, la bonne littérature, qu’ils soient dits de jeunesse ou pas, sont ancrés dans le réel. Ils partagent avec chaque spectateur, chaque lecteur, une réalité sensible qui, par-delà le factuel, organise le dialogue des imaginaires et des sensibilités, c’est-à-dire un dialogue entre humains confrontés à ce qui ne dépend pas que d’eux-mêmes. Il permettent dès lors aussi d’interroger notre liberté et ce que nous voulons en faire.

      Comment ne pas se contenter d’être les consommateurs plus ou moins manipulés d’une démocratie de plus en plus limitée pour en devenir les acteurs incontournables ? Voilà, me semble-t-il une des questions du moment. Vos élèves ont découvert quelques réponses dans les spectacles, ils en ont expérimenté dans la réalité. Elles se ressemblent, mais est-ce simplement le fait du hasard ? C’est au moins que les acteurs du Théâtre du Soleil font vivre les valeurs qu’ils mettent en scène. Vous saurez accompagner vos élèves, j’en suis certaine, pour chercher d’autres réponses dans la Culture (= les cultures) c’est-à-dire dans ce qui est réellement humain. Vous avez là une opportunité magnifique de construire le complexe qu’il nous faut opposer aux réactions primaires à la frustration comme aux tentations totalitaires, racistes, xénophobes, antisociales…

      Dominique Seghetchian

  2. Madame Sylvie - Sylvie Brod, RESF, ADJIE

    Un soir, le matin d’après
    Un brouillage ? mais la réalité est irréelle.

    Vendredi soir, les SMS des mineurs isolés tombaient “slt madame Sylvie faites attention à vous”, “grand mère sylvie c’est Youssouf et Ousmane et mamadou qu’il y a attaque à Paris reste chez toi bonne nuit” “dite aux gents de ADJI si ils vont bien” Aucun ne parlait de peur personnelle, le lendemain c’était les anciens, ceux depuis au moins un an en France, qui faisaient tourner des messages à propos de bougies.

    Allait on ouvrir la permanence le lendemain ? j’étais impliquée dans la décision, c’est moi qui avais les clés. Public, de la Ville de Paris : c’était interdit.
    Quelques SMS bien passés, les jeunes n’étaient pas si nombreux.

    On empêchait les rassemblements, on les renvoyait, alors qu’ils avaient besoin de chaleur et de partage.
    Ils comprenaient bien, ce sera une autre fois, et je me souvenais du 11 janvier où ils nous avaient demandé de les accompagner en manif – je ne sais plus comment la discussion sur les évènements avaient tourné en un salutaire “mon corps est à moi”.
    Il leur faudrait un bon théâtre pour sublimer toutes leurs angoisses, tout le refoulé, porter leurs passions.

    Un jeune arrive en courant “j’ai besoin de téléphoner” “c’est ma prof, on a dormi avec elle, elle nous a emmenés au théâtre à la Cartoucherie et je serais tellement inquiet si je ne lui dis pas tout de suite que je suis bien rentré à la maison, et surtout elle dans sa famille”.
    La maison, il n’en a pas.
    Mais la France et ses valeurs, il les partage déjà.
    Il repart avec deux camarades, qui attendent leur scolarisation depuis six mois et boivent ses paroles, en leur racontant le théâtre et comment on dessine un Y.

    Lundi, 2 SMS à nouveau, pour me raconter comment réagit leur école. Ils sont émerveillés. De l’autre côté, les mails de mes collègues angoissés d’être débordés.Je suis lâchement contente de ne pas avoir à prendre de classe aujourd’hui, trop de mauvais souvenirs du 11 septembre où je n’avais pas de mineurs isolés pour amortir la parole des ados provocateurs.

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