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Un élan populaire pour l’éducation !

Notre Billet de Une n’est pas un billet d’humeur et n’évoque pas l’actualité directe, mais l’histoire. Seulement, quelle histoire ! La nôtre, celle de mai-juin 36. Et de façon inédite, car vue du côté éducation (émancipatrice bien sûr).

Entretien avec Catherine Chabrun

Mai-juin 36, c’est l’élan ouvrier, la joie populaire. Sait-on comment le monde enseignant, à une époque où il était nettement moins nombreux et socialement plus séparé, et où il ne faisait pas grève, a-t-il vécu cette période ?
On peut en avoir une idée – au moins pour les enseignants liés à l’Éducation nouvelle et au Syndicat national des instituteurs, comme les enseignants du mouvement Freinet l’étaient – en parcourant la revue L’Éducateur prolétarien, notamment le recueil de textes « Freinet et le Front populaire » en libre accès (http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/46138).

Les commémorations sont souvent synonymes d’ennui et d’hypocrisie : comment peut-on parler du Front populaire en classe aujourd’hui, dès le premier degré ?
Pour parler du Front populaire en classe, il suffirait de ne pas se cantonner aux seuls congés payés et temps de travail hebdomadaire. Plutôt plonger les enfants et les adolescents dans les réalisations pour la jeunesse de cette période, ce qui va éclairer leurs conditions actuelles et permettre des débats. Temps de travail, devoirs à la maison, transmission des savoirs hors vie, examens… sont toujours en questions ! On peut aussi lire – faire lire – les reportages au cœur des occupations d’usines en 1936 de Simone Weil Grèves et joie pure que les éditions Libertalia viennent de republier (mai 2016).

Les conquêtes sociales du Front populaire sont connues. Dans l’enseignement, y a-t-il eu des avancées ?
Le mouvement du Front populaire a commencé bien avant la victoire électorale de mai 1936 et a continué jusqu’en 1938. Dans l’enseignement, il y a beaucoup d’avancées et ceci grâce à la volonté du ministre de l’Éducation nationale, Jean Zay. Qui a été un réalisateur plus qu’un réformateur.
Ses principaux objectifs : permettre aux enfants du peuple de recevoir plus d’instruction, d’accéder à la culture et de veiller à la santé de la jeunesse.
Les principaux changements :
– Prolongation de la scolarité obligatoire de 13 à 14 ans. Au lieu de définir aussitôt par circulaire le contenu et les programmes de cette année supplémentaire, il laisse « toute liberté d’initiative » aux instituteurs avec comme mission : complément d’instruction, initiation culturelle et orientation professionnelle.
– Pour lutter contre le surmenage scolaire, allègement des programmes et réduction des devoirs à la maison.
– L’enseignement primaire et secondaire devient le premier et le second degré.
– Le second degré commence par une année de classe d’orientation qui n’engage pas les familles. Elles pourront diriger leur enfant dans trois sections (classique, moderne, technique). Les nouveaux programmes permettent les passages d’une section à l’autre en cas d’erreur d’orientation.
– Le CEPE (Certificat d’études primaires élémentaires) est aménagé : il devient un examen de connaissances et un examen des aptitudes.
– L’éducation physique : entre 30 min et 1 heure par jour d’éducation physique (ou 1 après-midi par semaine) à l’école et il élabore un plan d’ensemble dans et hors l’école.
– La radio scolaire.
– Les vacances d’été fixées au 14 juillet (en lien avec les congés payés) pour permettre les départs en vacances.
– L’effectif des classes est fixé à 35 élèves maximum.
– La formation des maîtres : le bac devient obligatoire et la formation professionnelle sanctionnée par un CAP (Certificat d’aptitude pédagogique). Pour les professeurs du second degré, la formation professionnelle est assurée avec un CAP également.

Alors que disait-on, que faisait-on dans le mouvement Freinet ?
Le mouvement Freinet a accompagné l’élan d’émancipation populaire des familles, des parents des enfants scolarisés. La volonté de contribuer à la transformation de l’enseignement a vite animé le mouvement, la condition de l’enfance devant être au cœur de ce nouveau projet de société.
Un appel aux parents prolétariens avec la prise en compte de tous les lieux que fréquentent les enfants en dehors de l’école et la coopération avec les parents et avec tous les acteurs de l’Éducation populaire. La pédagogie Freinet doit s’installer aussi dans ces différents espaces…
« Le succès éclatant du Front populaire pose avec plus d’acuité encore la question de l’organisation des Parents prolétariens. Parallèlement à ce puissant Front populaire, est en train de se constituer une solide Fédération de l’Enfance Ouvrière et Paysanne qui, en dehors de tout sectarisme de chapelle ou de parti, groupera toutes les associations d’enfants, toutes les Ligues scolaires ou post-scolaires qui intéressent la jeunesse. » (Juillet 1935)
– L’optimisme traverse le mouvement Freinet
« Ce regroupement des masses, cette levée étonnante de tant de défenseurs de la paix et de la liberté, sont pour nous éducateurs, les raisons réconfortantes d’un immense espoir. […]
Nous revivons !
Malgré les restrictions de crédits, malgré des décrets-lois draconiens, nous sentons que l’éducation prolétarienne dont nous avons été en France les initiateurs, s’affirme, se développe et s’impose : les municipalités de Front populaire ont une plus généreuse estimation de l’importance sociale et politique de l’école ; les colonies d’enfants s’inspirent de l’esprit nouveau ; le naturisme et le campisme prolétarien fixent leurs techniques et leurs buts ; un mouvement d’enfants unifié va se développer et nous nourrissons l’espoir d’animer bientôt un vaste Front populaire de l’Enfance qui groupera, pour des buts progressistes, tous les amis de l’école.
» (Octobre 1935)
– L’articulation entre militantisme pédagogique et militantisme politique est essentielle, les deux agissant simultanément et c’est une préoccupation persistante de Freinet de sensibiliser à la pédagogie nouvelle tous les travailleurs en même temps que tous les éducateurs.
« Nous avons dû mener une lutte opiniâtre pour faire comprendre et admettre notre conception d’une pédagogie nouvelle à base matérialiste, d’une pédagogie surtout dégagée de toute scolastique, largement ouverte à la vie et à l’effort social, d’une pédagogie qui ne néglige aucune des graves réalités qui sont déterminantes aujourd’hui pour l’orientation des destinées humaines. Aux grands discours, aux discussions soi-disant idéalistes, qui restent avant tout des jeux scolastiques et philosophiques, nous avons opposé le solide bon sens de la masse prolétarienne qui dénonce, brutalement parfois, certaines valeurs douteuses, mais qui sait d’instinct où elle va et ce qu’elle désire ; nous avons fait sentir la dignité et la noblesse d’un idéal nouveau, l’exemple émouvant de ceux qui s’y dévouent. » (Octobre 1936)
– L’élaboration d’une grande consultation auprès des anciens élèves et des parents, sans oublier les acteurs de la société (grands groupes humains, syndicats, coopératives, entrepreneurs…) pour construire une œuvre collective, une contribution pour transformer l’enseignement : un « Plan de travail », un « Plan d’études français »
« Ces plans seront donc des guides et des stimulants. Avec eux, nous réaliserons des normes nouvelles d’acquisition et d’éducation parce que nous ferons appel à des éléments nouveaux d’activités susceptibles de remplacer avantageusement la discipline aveugle des manuels, liberté dans le choix et l’exécution selon l’intérêt et les besoins du moment, tableaux de travail, normes d’activité qui stimulent l’effort et la compétition, guides méthodiques qui donnent à l’enfant l’impression qu’il sait où il va, ce qui lui manque et quel effort il doit fournir. » (Décembre 1936)
– L’appel à une collaboration permanente avec le Syndicat National pour réunir les forces.
Le mouvement n’est plus un petit groupe d’expérimentateurs, mais il est devenu un grand mouvement pédagogique. Un véritable mouvement et non pas un petit groupe mené par une personnalité ou un dirigeant, ce sont tous ses militants éducateurs qui prennent en main le changement de l’école et de sa pédagogie. C’est aussi une possibilité pour le mouvement d’entrer en contact avec de nombreux instituteurs.
« Il faut que cette collaboration permanente se généralise. Dans tous les départements, nos adhérents, qui sont en général les éducateurs les plus actifs pédagogiquement, doivent entrer dans les Commissions pédagogiques du Syndicat, en prendre même la responsabilité totale si possible, rédiger la partie pédagogique du bulletin, prendre l’initiative des manifestations pédagogiques. Par leur action sincère et totale au sein des syndicats, ils assureront indirectement mais de la façon la plus efficace et la plus souhaitable cette collaboration que nous avons reconnue indispensable. » (Mai 1937)
– Le mouvement Freinet souhaite que le gouvernement entreprenne rapidement des réformes scolaires et que le mouvement y prenne part activement. Il propose dix suggestions. Des techniques nouvelles, des outils nouveaux doivent entrer dans les classes et les mouvements pédagogiques en sont créateurs. Ils doivent également pénétrer la nouvelle formation.
« Il ne s’agit pas de renverser révolutionnairement un ordre scolaire que nous estimons désuet, mais de faire comprendre pourquoi il est désuet et de préparer les voies d’adaptation et de rénovation, dans le cadre normal de nos lois, de nos institutions, avec le personnel actuellement en exercice et dont nul ne peut nier le dévouement.
Que tous nos camarades fassent connaître autour d’eux, qu’ils portent au sein de leurs organisations ce projet de Plan d’Études Français. Nous ne prétendons pas qu’on l’admette tel quel. Mais nous avons suffisamment d’expérience au sein de notre Groupe de l’Imprimerie à l’École pour affirmer que ce sont des bases sages, modérées, possibles pour l’action de rénovation dont le peuple entier sent aujourd’hui la nécessité.
» (Juin 1937)
– Le Certificat d’études primaires (CEP) « Le bachot des gueux »
Un rapport sera envoyé aux auteurs de la réforme. Un contrôle des connaissances avec l’aptitude à les utiliser pour tous les enfants et un examen des aptitudes à poursuivre au second degré. Des classes d’orientation permettraient de préparer cet examen. On trouve dans ce rapport des propositions de modalités de l’examen, la réécriture de l’arrêté, le contenu des épreuves, l’organisation pratique… Le tout pensé en lien direct avec la réforme des programmes qui est en projet également.
« La réforme du Certificat d’Études Primaires, depuis longtemps souhaitée par l’ensemble des Éducateurs, devient d’une impérieuse nécessité – conséquence de la Réforme de l’Enseignement annoncée par le projet de loi Jean Zay.
Si ce projet Zay n’était, semble-t-il, un premier schème général de la réforme, on pourrait s’étonner que la modification du C.E.P., n’y soit déjà annoncée. L’exposé des motifs du projet stipule pourtant : “Nous proposons de rendre obligatoire la possession du C.E.P. et d’exiger ainsi, de la part des futurs élèves de nos lycées, collèges, Écoles primaires supérieures et techniques un minimum de connaissances et d’aptitudes.”
Les termes “connaissances” et “aptitudes” semblent indiquer qu’on se propose de demander au C.E.P. d’être à la fois la sanction d’études terminées et un moyen de déceler les aptitudes à profiter des études à venir. D’où une question préalable de première importance ! Le nouveau Certificat d’Études, doit-il – ou peut-il – être à la fois un examen de contrôle des connaissances et un examen d’aptitudes ?
» (Juillet 1937)
– La réduction des horaires dans les écoles primaires
Une école plus performante sans toucher aux visées d’éducation et à la vie des enfants est possible.
Une nouvelle organisation du temps : 30 heures d’éducation, dont vingt-quatre d’enseignement proprement dit, trois heures d’éducation physique et trois heures de loisirs dirigés avec les classes promenades. Ainsi, l’apport de la vie et du milieu environnant entrent à l’école et les techniques du mouvement Freinet en seront les outils essentiels. Le mouvement doit participer pleinement à ces expérimentations et les faire connaître.
Freinet met en garde, même les meilleures circulaires, telles celles de 1923, peuvent être détournées de leur but, donc il faut rester vigilants et tirer le maximum des prescriptions ministérielles.
« Nous ne voyons donc pas seulement, dans l’expérience de la réduction des horaires et des loisirs dirigés, un frein officiel à la folie croissante de la surcharge des programmes et des examens. Le Ministre suggère déjà, prudemment certes, mais incontestablement, la solution à ce grave problème, solution qui ne peut être que dans le sens de l’éducation nouvelle.
Nous ne voudrions pas avoir l’air d’encenser un Ministre Front populaire, mais nous devons affirmer cependant notre satisfaction presque totale à la lecture de la circulaire.
» (Novembre 1937)
– Les « trente heures » de travail scolaire
Freinet appelle à défendre l’enfant de l’abrutissement quotidien des devoirs et des leçons et à diffuser une motion à mettre au vote de la Chambre des députés qui interdit de donner des devoirs hors des trente heures légales de cours.
« Le gouvernement de Front populaire a libéré l’ouvrier du travail abrutissant et l’institution des 40 heures et des congés payés est considérée comme une des grandes révolutions de notre époque.
Cette même révolution n’a pas encore été réalisée pour les enfants et le père qui fait ses huit heures admet fort bien que ses fils travaillent encore le soir tard, alors qu’il lit paisiblement son journal ou soigne ses choux.
Il y a là une mesure urgente à prendre et il est excellent que ce soit nous qui en ayons l’initiative.
» (Décembre 1937)
– Le mouvement Freinet salue les dernières publications ministérielles qui donnent raison aux maîtres qui ont tenté d’autres pratiques pédagogiques. Le nouveau certificat d’Études répond aux préconisations du mouvement. Même si tout n’est pas parfait dans cet examen, les techniques du mouvement y préparent efficacement. Les programmes du cours de fin d’études sont imprégnés de l’esprit du mouvement, ils « rompent complètement et délibérément avec la tradition scolaire et visent à rapprocher l’école de la vie » (extrait du texte institutionnel). Par ses pratiques, le mouvement est préparé, le chemin tracé ; il lui suffit de montrer son organisation, d’apporter ses conseils, ses directives, le matériel adapté et de développer ses éditions (bibliothèque de travail, fichiers, brochures, dictionnaire).
« Que d’efforts, parfois valeureux, rebutés jusqu’à ce jour parce que les natures généreuses s’étaient toujours heurtées, seules et vaincues d’avance, aux grandes forces mercantiles au service de la tradition ! Que de projets partiellement réalisés, et qui auraient fait tellement avancer la pratique pédagogique sont restés enfermés dans les tiroirs de l’école !C’est parce que nous avons enfin trouvé le moyen de mobiliser ces bonnes volontés éparses que nous sommes actuellement la plus importante force pédagogique de notre pays.
De plus en plus notre mouvement prend sa vraie figure : un groupe d’éducateurs travaillant coopérativement, et sans but lucratif – en sacrifiant temps et argent – à l’adaptation définitive de notre enseignement et à la mise au point du matériel nouveau que suppose cette adaptation. Et nous avons acquis aujourd’hui la puissance commerciale qui nous permet de réaliser nos rêves, de fabriquer du matériel, d’éditer des brochures, des fiches, de mettre debout, selon une technique jamais encore pratiquée, le véritable dictionnaire des enfants du peuple.
Nous convions à cette œuvre les milliers d’éducateurs qui s’accommodent mal de la routine traditionnelle, qui sentent la nécessité de la recherche et de l’effort, qui comprennent qu’il y a quelque chose de plus réconfortant que le profit personnel et le mortel égoïsme : la joie enthousiasmante de mêler son effort, pour des buts connus et désirés, à ceux de milliers d’autres camarades qui ont entrepris, et déjà en partie réalisé, en commun, une œuvre pédagogique à la mesure de notre grandiose et tragique destinée prolétarienne.
» (Mai 1938)
– Les activités dirigées
Le mouvement apprécie les objectifs de formation du ministre Jean Zay : une introduction progressive des méthodes de l’École nouvelle. Il salue sa ténacité ministérielle face à la réaction, mais met en garde à propos de l’utilisation de ces nouveaux temps qui ne doivent pas se réduire à du bricolage, de l’occupationnel et être un vrai travail en lien avec le temps d’enseignement.
Quelques extraits des instructions ministérielles relevés par Freinet (novembre 1938)
« Il s’agit de mettre à profit les leçons qui se dégagent de toutes les expériences pédagogiques faites en France ou à l’étranger au cours de ces dernières décades. De toutes ces tentatives que l’on groupe sous le nom général d’école nouvelle et qui visent à faire un appel direct à l’activité spontanée de l’enfant, nous avons beaucoup à tirer. Nous souhaitons que la curiosité des maîtres soit orientée dans ce sens. »
Les trois heures d’activités dirigées « doivent fournir les acquisitions les plus solides qui serviront de fondement à un enseignement moins formel et plus proche de la vie. […] Ce sont enfin et surtout les initiatives de l’élève isolé ou du groupe d’élèves que l’on recueille, que l’on stimule, dont on favorise l’éclosion et le développement dans une atmosphère de liberté réglée. L’enfant devient l’artisan de sa propre éducation en même temps que son sens social se développe. »
« Et les vingt-quatre heures d’enseignement qui restent se trouvent dégagées et vivifiées. »
« Toute éducation doit aussi être joie »
« L’utilisation des trois heures de libre activité pédagogiques selon les ressources du lieu et de la saison, l’appel plus large aux libres initiatives de l’enfant, ne se conçoivent pas sans un grand effort de renouvellement des instituteurs. Nous avons conscience d’avoir restitué aux maîtres beaucoup plus de liberté que nous ne leur enlevions en apparence. »

1 Comment

  1. Colsaet Françoise

    Un élan populaire pour l’éducation !
    Je ne suis pas une spécialiste, mais l’article comporte des erreurs (grossières) : au moins celles ci :
    – même s’il avait des projets en ce sens, Jean Zay n’a pas supprimé les ordres primaire et secondaire. Ils n’ont disparu qu’après la guerre, par étapes. Les Ecoles Primaires Supérieures ont été supprimées par Vichy en 1941, les Cours complémentaires ont subsisté jusqu’en 1959.
    – il n’a pas non plus rendu obligatoire le baccalauréat pour les instituteurs : cela n’a été fait qu’en 1946.

    Sources :

    http://www.parisschoolofeconomics.com/grenet-julien/Memos/Institutions%20scolaires.pdf (qui s’apppuie sur Prost et Lelièvre)

    http://collectif-cape.fr/content/la-formation-des-enseignants-0

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