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Trop Classe ! article du Parisien

Trop classe ! dans Le Parisien du 2 mars 2016.

Dans la foule des quelque 10 000 instits de Seine-Saint-Denis, elle ne passe pas inaperçue. Véronique Decker est du genre à ruer dans les brancards. Après plus de trente ans de carrière, cette enseignante a décidé de raconter sa vie de maîtresse dans un livre Trop classe !, qui sort ce jeudi aux Editions Libertalia.

Elle esquive « le pathos et les gémissements » de rigueur sous la plume d’un « prof de banlieue ». La sienne est enthousiaste. « J’ai toujours beaucoup aimé enseigner dans le 9-3 ». Le décor est planté dès les premières lignes. « Je suis venue d’ailleurs mais j’ai choisi de rester ici, d’y vivre, d’y travailler et je voudrais témoigner des plaisirs d’enseigner que j’ai rencontrés. »

Pourtant, difficile de passer à côté des constats accablants qu’elle dresse dans ce livre. Véronique Decker est directrice de l’école Marie-Curie, à Bobigny, « au pied des tours et au cœur des problèmes » de la cité Karl-Marx, entre une avenue du même nom et le boulevard Lénine. « Tout cela, au début, me parlait d’un avenir social radieux », plaisante-t-elle. Ironie du sort, son école, avec la rénovation urbaine, a dû adopter une nouvelle adresse : « Émile Zola ». Il n’y avait pas besoin d’un tel nom pour se sentir, parfois, « directement renvoyé dans le XIXe siècle. »

Directrice d’une école à la pédagogie expérimentale
Dans son école, Véronique Decker a mis en place la pédagogie Freinet. Une méthode où les élèves apprennent « chacun à leur rythme », par « le tâtonnement expérimental » et dans la « coopération ». Par exemple, chaque classe se réunit une fois par semaine en « conseil » pour gérer des projets, des conflits ou encore l’argent de la « coopérative scolaire ». Le « grand conseil des délégués » réunit deux élèves de chaque classe qui viennent avec des propositions de projets collectifs et des critiques. « Une vraie petite République des enfants », décrit la directrice.

Scolariser les enfants des bidonvilles
Dans ses classes, elle a dû scolariser les enfants des bidonvilles du coin. « Je n’ai pas choisi d’avoir des enfants roms dans mon école, précise-t-elle. Les campements se sont construits à Bobigny, plus qu’à Neuilly… » Normalement, la vie comme la racontait Zola, c’était fini, mais ces élèves sont arrivés « avec leur lot de misère, de rats qui mordent les bébés, de Cosette et de Fantine. »
Il y a eu Melisa, brûlée vive dans l’incendie du bidonville des Coquetiers, en février 2014, une expulsion, puis d’autres. À chacune, elle s’est battue « car ce n’est pas la peine d’enseigner la morale si l’on est indifférent aux drames de l’existence ». Véronique Decker a ouvert son école la nuit pour héberger des familles, appeler les médias. Salvi, 10 ans, a tout raconté devant les caméras : la traversée de l’Europe dans les bras de ses parents, l’enfance dans ces camps démantelés, une fois, deux fois, trois fois… Tenter en toutes circonstances de venir tout de même à l’école. Il y a eu des petites victoires et surtout, des échecs dramatiques.

« Je vais partir car ici les reculs sociaux sont d’une violence extrême », écrit-elle dans le dernier chapitre. À 58 ans, « et 167 trimestres », elle demande sa mutation dans une petite ville du Limousin. L’instit syndiquée en profite pour dénoncer « dix ans de régressions au sein de l’Éducation nationale : on manque de tout, de livres, d’enseignants, de subventions, de formation… » Et même, ces quatre ans de rénovation urbaine, « de bruit et de poussière » qui lui ont « abîmé la santé » sans rien réparer du tout, « comme si c’étaient les immeubles qui avaient des problèmes et pas les habitants ! » Alors, elle passe la main avec ce dernier message aux jeunes enseignants : « Syndiquez-vous, ne lâchez rien, formez des générations capables, enfin, de changer le monde ! »

Floriane Louison

Lire et commander le livre Trop Classe ! Enseigner dans le 9. 3.

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