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Tous pareil, tous en rang par taille !.

[(Seul le néant est réellement homogène ! [**] )]

Les casernes scolaires vont se remplir de mômes. L’école est une formidable machine à reproduire de la ségrégation sociale mais c’est aussi, dans son fonctionnement interne, une redoutable machine à produire du conformisme.

Voici un petit billet d’humeur suite à ma rentrée d’instite, au départ adressé à 2 potes également instites, et qui revient sur la logique d’organisation des classes ultra dominante dans les écoles : la répartition par niveaux : grosso modo tous ceux qui ont 9 ans on les isole et on les met ensemble sous l’appellation CE2 car quelqu’un a décidé que tous seraient prêts cette année et pas avant ou après à apprendre le passé composé, la division posée et les compléments circonstanciels.

Petite donnée contextuelle : j’ai quitté au bout de 3 ans ma classe de cycle 3 (CE2-CM1-CM2) pour tenter l’aventure dans une école maternelle avec une équipe humainement chouette mais qui reste pour l’instant convaincu qu’en dehors des simples niveaux il n’y a point de salut.

Renoncer à l’hétérogénéité… quel gâchis !

Avoir goûté à la classe de cycle me donne une vraie sensation de blocage pour les classes de niveaux même en maternelle. Renoncer à l’hétérogénéité propre à la vie pour recréer cet univers artificiel (tous au même niveau et au même rythme de développement) quel gâchis immense ! En petite section c’est une caricature de tout cela : 25 traumatisés qui vivent leur séparation et expriment leur malaise le même jour, à la même heure alors qu’il suffirait qu’un lot de 8 petits soit entouré par 17 moyens et grands pour atténuer tout ça et leur montrer qu’il peut y avoir une vie à l’école (J’ai passé des semaines et des semaines à m’épuiser en litanies, réprimandes et démonstrations pour que mon fils, 2 ans alors, se lave correctement les mains. Un copain se pointe avec le petit (7 ans) d’un voisin qui lui avait été confié. Ce dernier se lave les mains en même temps que mon fils qui le regarde admiratif, depuis il s’applique et revendique savoir se laver comme Clément – CQFD).

Il n’y a qu’à l’école qu’on considère que des gens du même âge, censés être au même niveau de développement, sont isolés et mis ensemble pour fédérer par l’ignorance plutôt que par la circulation des savoirs : en CP mettons ensembles 25 mômes qui ne savent pas encore lire et isolons-les de ceux qui savent lire afin qu’ils n’aillent pas chercher chez les copains ce que le maître veut lui transmettre. L’acte éducatif en milieu scolaire n’est clairement pas, pour reprendre Rancière, un processus de développement du savoir lui-même mais un processus de remplacement de l’ignorance de l’enfant par le savoir du maître. Qu’on ne s’étonne pas que l’école de la rue, qui elle vit sur cette hétérogénéité (les grands frères), soit plus efficace et séductrice que la nôtre.

Les intérêts particuliers des enseignants au détriment de celui des enfants.

Ce qui est intéressant lorsque j’en parle aux collègues (pour le débat car pour cette année c’est un peu tard quoique), ils ne me répondent que par rapport à eux et leur confort de travail (surcroît de taf, inquiétude) et l’enfant (ses besoins, son développement etc…) n’intervient jamais dans la discussion. Encore et toujours l’arbitraire des adultes qui du haut de leur position dominante traduisent leurs intérêts particuliers en évidences universelles et indépassables.

Les intérêts particuliers de l’enseignant : minimiser le nombre de notions à maîtriser en pensant que cela minimisera le temps de préparation (chimère car créer une situation artificielle demande plus de préparation qu’un fonctionnement qui se contente de s’appuyer sur les choses de la vie), minimiser les possibilités d’être bousculé par l’intelligence des élèves quitte à être bousculé physiquement par l’un d’eux qu’on aura trop ennuyé, maximiser son emprise sur ses mômes en s’assurant que l’enseignant sera le seul entre les 4 murs de la classe à en savoir beaucoup plus que l’élève).

Le jour où le droit des enfants sera appliqué, je tenterai un recours devant les tribunaux compétents.

Parfois même les constats les plus désabusés sont atténués par une petite lueur qui est venu aujourd’hui du côté de mon fils : j’apprends avec bonheur qu’il est dans une classe de cycle (Petit-Moyen-Grand). C’est vous l’aurez compris la raison pour laquelle je déverse sur vous toutes ces humeurs et cette rancœur contre ce fantasme d’homogénéïsation qui sert de logique générale à l’école.

En tout cas j’suis trop content pour mon bout d’chou et content de voir qu’il y a des écoles qui font parfois le choix du confort des mômes plutôt que celui des enseignants, quitte à bousculer les habitudes et le conformisme de ces derniers; ce qui est loin d’être injuste car n’oublions pas que les premiers sont contraints tandis que les seconds sont payés… par les premiers d’ailleurs

“Tous les enfants sont des prisonniers politiques.” Jean-Luc Godard

Amar

Sur le même sujet, voir le billet et ses nombreux commentaires « Sauver le soldat classe unique »

Premiers commentaires :

De Jean-Pierre Fournier :

Concret et senti le message !

Bernard Collot dans ses ouvrages prône les classes uniques qu’il a connu toute sa carrière – mais en milieu rural, très différent de nos réalités. A partir du site Questions de classe, je pense que tu retrouveras les références, ça vaut le détour.

Oui, il y a des écoles qui… J’en connais une qui du coup quoique située dans le 18° arrondissement bénéficie de demandes de dérogations positives car le climat se ressent de ces classes multi-niveaux.

Réponse de Amar

Oui Jean-Pierre je connais au moins 2 écoles dans le 18è arrondissement de Paris organisées en classe de cycle et non de niveaux : l’école rue Labori (où j’ai travaillé 4 ans dont 3 en cycle 3 entier) et l’école rue d’Oran à la Goutte d’Or. Et en effet je suis d’accord avec Bernard Collot sur l’idée que le principe d’hétérogénéité est de mon point de vue un principe universel : le mouvement, la vie supposent des combinaisons de forces contradictoires, des différences assumées logiquement estompées par des cohortes d’individus rassemblées selon l’année de naissance. Je pense qu’il s’agit même d’un principe qui dépasse l’être humain et est largement applicable à toute forme de vie car seul le néant est totalement homogène.

5 Comments

  1. Ricky

    Tous pareil, tous en rang par taille !.
    J’aimerais juste préciser que tous les enseignants ne sont pas identiques non plus, et que certains (dont je suis) réclament désespérément des classes uniques ou au moins à plusieurs niveaux !

    Dans mon école j’essaye depuis des années d’obtenir un cours à 3 niveaux, impossible, la directrice refuse au motif que cela perturberait trop la répartition des autres classes, et obligerait les collègues à avoir des doubles niveaux. 🙁

  2. Marie Gabrielle

    Tous pareil, tous en rang par taille !.
    Bonjour,

    Je suis juste une maman (orthophoniste…) ayant la chance d’avoir mis mes enfants dans une école à pédagogie alternative (Ecole Nouvelle, je vous recommande le site de l’ANEN pour en savoir plus). Petite écoleprivée, 100 enfants de la PSM au CM2, et uniquement des classes à double niveau. PSM/MSM – GSM/CP – CE – CM.)
    Les isntit’ ne changeant pas d’une année sur l’autre, les enfants ont le même adulte (et pas enseignant 😉 ) pendant 2 ans.
    Enorme travail d’apprentissage de la coopération: on demande d’abord au copain avant de demander à l’adulte (de la PSM où on demande au “grand” de MSM de montrer comment fermer son manteau, aux “tuteurs” qui aident dans telle ou telle matière les autres enfants qui ont besoin d’une aide, d’un conseil, d’une vérification). L’adulte n’intervient qu’en dernier recours. Et pas souvent du coup…

    Education scolaire mais aussi éducation relationnelle et sociale sont les conséquences de cette façon de faire. Ceux qui ont des difficultés en math par ex, peuvent être forts en conjugaison et donc être “tuteur”… Enorme valorisation des élèves, confiance en soi, solidarité, coopération…

    Je rêve d’un avenir encore meilleur…

    Ma fille rentrera en 6ème sans un an… La chute sera brutale, mais je sais qu’elle aura acquis des compétences relationnelles importantes et assez ancrée pour qu’elle se sente bien au collège… collège que j’aurais souhaité avec le même type de pédagogie que celle de son école… Mais on ne peut pas tout avoir et la société a encore beaucoup à faire pour avancer sur la voie de l’apprentissage des enfants…

    La grande phrase de cette pédagogie c’est “L’enfant ne fait pas ce qu’il veut, mais il veut ce qu’il fait”…
    A méditer…

    En tous les cas, merci pour ce témoignage!!! Ca conforte de voir que partout, il y a des instit’ qui veulent faire bouger ce système encrouté qu’est l’EN et a compris que c’est l’enfant qui est au centre des apprentissages, et que ce n’est pas une oie à gaver de connaissances… Qu’il en a lui-même et qu’elles doivent être cultivées et respectées…

    Je m’emballe mais je vous soutiens pleinement!!!!

  3. Hervé

    Tous pareil, tous en rang par taille !.
    Bonjour,
    Juste une objection : Cela va contrela sacro-sainte égalité que pronent tous les instits de gauche … De ce point de vue, je partge votre avis.

    Cependant, je ne partage pas du tout votre position que

    >L’acte éducatif en milieu scolaire n’est clairement pas, pour reprendre Rancière, un >processus de développement du savoir lui-même mais un processus de remplacement >de l’ignorance de l’enfant par le savoir du maître.

    On les connaît ces pédagogistes qui veulent révéler la connaissance immanente de l’enfant. Sauf que les tables de multiplication ne sont pas innées. Et du coup votre non-dit intellectuel est, comme Peillon, qu’il faut _arracher_ l’enfant à tous les déterminismes et qu’on aura encore un enfant (ca nie Aristote et son “animal politique”). C’est en fait la thèse “humaniste” qui croit en l’existence de l’Homme. je ne crois pas en un tel essentialisme.Et ceux qui ont cru que l’Homme existait, indépendamment de toute société,classe, … ont toujours mal fini. En totalitarisme. Mais pour moi c’est justement si on prend l’enfant _tel qu’il est_ et qu’on l’ouvre à des humanités (et non à la communication moderne qu’attend tellement notre société du spectacle), qu’on en fera un citoyen qui ne sera pas là pour ‘adapter au monde tel que _nous_ pensons qu’il sera (ou devra être ?), mais qui envisagera de faire le monde

  4. Pierre

    Tous pareil, tous en rang par taille !.
    Merci beaucoup pour ce très bel article qui met des mots sur des choses dont je commence à prendre conscience (grâce aux rencontres et à ce type de lectures). J’approuve sans réserve les bienfaits des multiples niveaux mais j’en émettrais quelques unes sur les raisons pour lesquelles les enseignants les dénigrent. À mon avis il faut y voir la représentation de ce qu’est et doit être l’école. Même si on se rend bien compte que beaucoup d’enfants décrochent complètement et qu’on s’use en remédiations (quel vilain mot) et en réprimandes de toutes sortes pour “récupérer” les enfants, je crois réellement que pour beaucoup c’est la seule façon de fonctionner parce que … ils n’en connaissent pas d’autres :
    “Voilà, l’école c’est comme ça, les enfants entrent à 8h30, en sortent à 16h30 et “faire classe” ça consiste à écouter patiemment l’enseignant et à faire ce qu’il ordonne.”
    Pour le vivre, je trouve que c’est extrêmement difficile, même en ayant conscience ou en percevant les limites du système dominant, de sortir des schémas connus pour se laisser aller à d’autres façons de faire. J’ai beau être extrêmement intéressé par ces sujets, je me retrouve parfois à faire de l’autoritarisme primaire et à me “réfugier” dans des fonctionnements que je réprouve de plus en plus (allé, vous faites cet exercice là, peu importe que ce soit facile ou infaisable pour vous).
    Pour l’instant, je suis content que le droit des enfants ne soit pas pleinement appliqué (j’aurais peut-être des circonstances atténuantes ?) 🙂

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