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Tisser les solidarités du quotidien pour entrevoir un autre monde possible que celui de la haine…

L’élection de Trump suscite une quantité de commentaires, est-il utile que Questions de classe(s) en rajoute un ? C’est si facile de s’indigner, de « dénoncer », de redire que c’est un xénophobe, un raciste, etc., etc.

Quel intérêt ? Qui connait une seule personne qui ait été convaincue par une indignation anti-Trump, ou, ici, anti-Le Pen  ? On sait maintenant que les propos violemment sexistes du démagogue lui ont plutôt attiré des voix, en tout cas ne lui en ont pas fait perdre.

Quant au discours qui consiste à dire que c’est la fausse gauche qui fait gagner la vraie droite, s’il est juste, il n’a jamais dissuadé quiconque de voter pour cette droite-là.

Ce qui compte pour nous, enseignants engagés, c’est ce que nous pouvons faire. Et là, « facing the truth », il faut bien commencer par deux constats difficiles :

– notre marge de manœuvre est étroite ; pour contrer la « droitisation du monde » pour reprendre le titre d’un ouvrage récent, seuls des mouvements sociaux profonds pourront changer la donne, pas les pédagos d’un pays de rang secondaire ;

– ce ne sont pas les mots qui font évoluer, mais les actes : quand un collège se mobilise pour une famille de déboutés du droit d’asile à la rue, il y a certainement bien des gens qui pensent qu’ils n’ont peut-être pas droit de rester, mais ceux-là font une exception mentale et apportent un pull.

Comment poursuivre donc sinon en restant sur ce terrain du réel, sans perdre notre temps dans des postures ou des prêches pour convaincus ? Par contre, continuons à réfléchir, analyser, débattre : c’est aussi notre force.

Dans nos classes comme « tout autour de l’école », prendre le réel en compte signifie ne pas refuser de voir la force des préjugés prêts à bondir : « La maitresse de ma fille, elle est très bien, vieille école tu vois. » me dit ce père d’élève, prolo de chez prolo. Lui ne votera pas pour l’extrême-droite, mais… Ce qui est vrai pour l’autoritarisme l’est également pour la xénophobie, moins affirmée en public mais tellement profonde, et pour toutes les idées réactionnaires. Et c’est d’autant plus difficile de mener « la bataille des idées » que la grande masse de nos collègues reste à convaincre qu’il y a d’autres priorités que de « faire le programme ».

Comme face aux tentations du désespoir et de la haine pour quelques jeunes musulmans, nous continuons, dans notre cadre professionnel et au-delà, dans les quartiers où nous vivons, à chercher les voies et les moyens qui modestement permettent la résistance du vivant. Par exemple en promouvant la coopération en classe (et l’entraide entre collègues), en enseignant le débat, la compréhension, les « questions vives ». En faisant leur place aux parents des classes populaires, en montrant qu’on a conscience de notre situation sociale (certes pas privilégiée, mais considérablement plus confortable que beaucoup : écoute garantie quand on tient ces propos ; ne faisons pas semblant d’ignorer qu’aux yeux de beaucoup de gens, nous faisons partie des élites -mais oui, même avec un salaire de PE!!).

Et, à l’extérieur de l’école, à tisser les solidarités du quotidien. Peut-être ainsi pourra-t-on faire entrevoir un autre monde possible que celui de la haine et de l’écrasement des plus faibles par ceux qui sont presque aussi faibles et tout à côté, dans la peur et le silence, et qui se lâchent lors d’une élection.

Jean-Pierre Fournier

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