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Supports pédagogiques et inégalités scolaires

Pour le site des Cahiers pédagogiques, Jean-Pierre Fournier, par ailleurs membre du collectif Questions de Classe(s), partage sa lecture de Supports pédagogiques et inégalités scolaires de Stéphane Bonnéry (Éditions La Dispute, 2015, 215 p.), une recension complétée par un entretien avec l’auteur.
ici : http://www.cahiers-pedagogiques.com/Supports-pedagogiques-et-inegalites-scolaires

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Supports pédagogiques et inégalités scolaires

Pour le site des Cahiers pédagogiques, Jean-Pierre Fournier partage sa lecture de Supports pédagogiques et inégalités scolaires de Stéphane Bonnéry (Éditions La Dispute, 2015, 215 p.), une recension complétée par un entretien avec l’auteur

Surprise ! Alors qu’on s’attend à une énième reprise des thèmes du groupe Escol (ici Élisabeth Bautier, Jacques Crinon, Florence Eloy, Christophe Joigneaux, Séverine Kapko, Patrick Rayou, Jean-Yves Rochex, sous la direction de Stéphane Bonnéry) expliquant que la pédagogie, selon eux massivement appliquée aujourd’hui, s’adresse aux enfants des classes moyennes déjà préparés, qu’elle est inconsciente des pièges implicites qu’elle dissimule à chaque pas et qui sont autant de traquenards cognitifs pour les enfants des classes populaires, on a droit avec cet ouvrage à un véritable renouvèlement : non pas que cette thèse centrale soit en quoi que ce soit abandonnée, mais elle est resituée historiquement, élargie à d’autres champs, et réévaluée. Disons-le d’emblée, c’est un soulagement.

La dénonciation, parfois peu amène, de ce qui dans les pratiques enseignantes traduisait l’ignorance d’un réel problème (comment, par exemple, faire que le langage ne soit pas conçu comme un simple vecteur d’expression, mais comme un outil à construire et sans cesse travailler, tant pour ses usages scolaires que, plus généralement, comme outil de pensée), pouvait faire soupçonner une nostalgie, implicite, certes sans rapport avec celle des «  réacpublicains  » si présents sur le marché de l’édition et dans la grande presse, mais néanmoins suspecte (aux yeux des pédagogues engagés que nous sommes en tout cas). Il n’en est rien : il est clairement dit que dans le cadre de la prolongation des études, il est légitime qu’on demande plus et mieux à l’ensemble des élèves, là où on se limitait à une mémorisation stricte sur des objets plus circonscrits. «  Le savoir n’est plus donné clés en main par le manuel, c’est à l’élève de le découvrir ou plutôt de le construire.  » Seulement voilà : si l’on passe d’un guidage serré, univoque, à un tâtonnement conçu pour stimuler l’intelligence mais sans repères, on risque de perdre du monde en route. L’exemple choisi en début d’ouvrage est très parlant : entre le manuel de leçon de choses avançant pas à pas et le manuel de SVT où il faut raccorder images et textes variés, de fonctions différentes, la massification de l’enseignement est passée. Mais sa démocratisation ?

Les manuels ne sont pas seuls en cause, mais également les fiches de maternelle (l’étude reprend des études précédentes, dont celle d’Anne-Marie Chartier de 2006, à rajouter à l’utile bibliographie thématique en fin d’ouvrage). Et les auteurs abordent des supports bien au-delà des livres de classe : dans le champ scolaire, les supports d’une éducation musicale transformée ; hors de la classe, les outils sur lesquels les parents déboussolés des classes populaires s’appuient pour faire travailler leurs enfants ; hors de l’école cette fois, les albums de jeunesse, ironiques, allusifs, jouant dans tous les sens sur le couple texte-image, avec des fins ouvertes au lieu de la traditionnelle conclusion morale.

Le chapitre de Séverine Kapko sur le regard des parents est particulièrement à signaler : le démontage de cette souffrance parentale devant des contenus à énigmes, le dévoilement de cette opposition de valeurs (complexité versus intelligibilité directe, sérieux contre amusement) mérite à lui seul la lecture de cet ouvrage collectif.

Ce décalage social involontairement mais nettement cruel vis-à-vis des parents «  les plus éloignés de l’école  » pour reprendre la formule officielle (ou seulement un peu éloignés !) se retrouve dans la lecture des albums de jeunesse : il ne suffit plus pour le parent de lire l’histoire, mais de faire découvrir les indices que cache ou révèle l’image, de changer de ton, de faire une pause, etc., tout un art qui n’est pas spontané, qui demande d’être soi-même bien à l’aise, familier d’une lecture experte, à plusieurs niveaux.

Cette lecture amène aussi des questions : si les auteurs montrent que ces compétences «  hautement littératiées  », aujourd’hui exigées sans être nécessairement construites, sont techniquement l’explication de l’échec d’une partie des élèves français aux tests de PISA en compréhension écrite, pourquoi la France accuse-t-elle un retard marqué par rapport à des pays comparables ? Le travail sur l’explicite est-il plus développé ailleurs ?

Il y a d’autres points aveugles (les maths par exemple, où il semble qu’il faille chercher d’autres facteurs à l’échec) et surtout la question du «  que faire  », éternelle pomme de discorde entre des chercheurs qui refusent de se donner les moyens de la prescription et des enseignants parfois un peu trop pressés d’avoir l’outil correcteur. Travailler sur les supports en formation continue, comme ici ou là cela a pu être entrepris en éducation prioritaire, peut être une piste. Cet ouvrage, au contenu solide et au ton serein, peut y aider.

Jean-Pierre Fournier

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