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SAIPER : pour un syndicalisme de lutte à la Réunion !

Quel avenir à La Réunion pour le syndicalisme dans le second degré ?

Les dramatiques événements des 7 et 8 janvier dernier se sont traduits pour les enseignants par de nouvelles injonctions venues de ceux qui portent la responsabilité principale de la crise actuelle de l’Ecole.
C’est Manuel Valls qui a sonné la charge en parlant de « la faillite de l’Ecole » suspectée d’avoir engendré des monstres ou du moins de ne pas les avoir signalés à temps. Bien loin des difficultés du quotidien vécues par de nombreux collègues dans les collèges et les lycées, aucun de ces responsables n’a souhaité rappeler l’étranglement progressif du système scolaire lors du quinquennat sarkoziste, aucun n’a remis en cause l’orientation largement partagée par l’UMP et le PS d’alignement à marche forcée de l’Ecole de République sur les exigences du libéralisme européen.

Et pourtant que de souffrances, que d’aspirations déçues, que de drames personnels se rencontrent chez les enseignants et parmi leurs élèves. A cette réalité, ni les pseudo-débats sur la refondation, ou sur l’éducation prioritaire, ni les injonctions hiérarchiques de tout niveau n’ont porté remède. Bien au contraire, si les enseignants continuent à être seuls face aux problèmes de toute nature de leurs élèves, ils sont par contre très entourés de discours, d’ordres, de critiques venues de gens qui ne sont pas ou plus en contact avec la réalité scolaire. Aux difficultés de la relation pédagogique, on charge la barque avec accusations d’incompétence, culpabilisation, management libéral, au point d’aboutir à une crise de recrutement extrêmement préoccupante.

La Réunion reste dans ce domaine une sorte de laboratoire de ce qu’il ne faut pas faire parce que fondamentalement demeure vivace le sentiment que sous les Tropiques, il est possible de faire n’importe quoi sans que cela ne prête à conséquence. Les expérimentations ECLAIR ont par exemple révélé l’insondable bêtise d’un certain nombre d’acteurs peu doués pour l’analyse d’un système mais qui, souvent de façon pataude et pathétique, font de « la com’ » autour de pas grand chose et pratiquent la méthode du komandèr de la plantation à l’encontre des personnels. Tout cela permet d’occulter des questions pourtant parfaitement identifiées sur la langue, le calendrier scolaire ou l’insuffisance des dotations budgétaires.
La mise en place de l’ESPE et le développement incontrôlé de la précarité se traduisent par des pressions particulièrement aiguës exercées sur les jeunes collègues victimes de la combinaison de l’impéritie des corps d’inspection et de celle de l’université.

Face à ce tableau très sombre, la riposte syndicale est, disons-le, inaudible : le SNES, principal syndicat du second degré s’est inscrit dans une démarche de négociations tous azimuts, acceptant de se placer sur le terrain choisi par le gouvernement actuel sans être véritablement capable de faire entendre une voix autonome.
En témoigne l’ahurissante négociation autour du décret régissant nos obligations réglementaires de service. Le syndicat a accepté d’ouvrir la boîte de Pandore des statuts de 1950, au nom d’une « modernité » de même nature que celle qui préside aux refontes du code du travail dans le privé. Une modernité qu’il convient de nommer sans ambages « régression libérale ». Les personnels ont d’ailleurs logiquement sanctionné le syndicat et sa fédération lors des récentes élections professionnelles.
De la même manière, le SNES s’est inscrit dans la réflexion sur l’éducation prioritaire, cautionnant la farce des « Assises » truquées sur le sujet et menant campagne en faveur des dispositifs REP.

En France, les positions du SNES n’ont cependant pas interdit les mobilisations sectorielles qui se développent assez régulièrement, en particulier dans l’EP. Néanmoins, l’avenir du syndicat est à l’évidence menacé et le processus de recul progressif de la syndicalisation, de la représentativité et de la capacité de mobilisation peut s’accélérer brutalement dans les années à venir réduisant à néant une force syndicale qui a marqué le second degré depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

L’équipe qui sévit à la tête du syndicat depuis une dizaine d’années a connu une dérive bureaucratique sans limite. Sa pratique est celle de « l’accompagnement personnalisé » des collègues au détriment de toute construction d’action collective. Le SNES Réunion se borne à être une sorte d’interface entre l’administration et les collègues, nouant une forme de relation complice avec les hiérarchies. Il n’existe aucune réflexion propre au SNES Réunion qui n’a jamais développé une orientation explicite. L’équipe actuelle est absolument incapable de rédiger un texte, d’analyser une situation, d’enrichir la réflexion globale du syndicat, de stimuler l’activité revendicative dans les établissements. Elle est tout juste capable de relayer les communiqués nationaux et d’organiser des stages animés là encore, par des envoyés du S4.
Cette incapacité conceptuelle a amené cette équipe à « rentrer en guerre » contre sa propre fédération, la FSU et certains de ses syndicats et contre sa propre opposition interne qui s’est vue exclure progressivement de toute responsabilité puis enfin de la possibilité de se présenter au suffrage des adhérents dans le cadre des règles démocratiques du syndicat, créant un précédent historique avec, malheureusement, la complicité  de la direction nationale.
La syndicalisation porte la trace de ces pratiques : d’une part, le SNES Réunion est celui qui subit la plus forte hémorragie d’adhérents au niveau national, d’autre part, il imprime dans l’esprit des collègues une certaine conception du syndicalisme : un syndicalisme de services, du type MAIF ou MGEN, très éloigné de la défense des revendications. De fait, il ruine ainsi sa propre crédibilité à porter un projet revendicatif authentique, alternatif à celui du rectorat et n’apparaît plus comme un acteur vivant de terrain au plus près des préoccupations des collègues. Il ne se différencie en rien de formations comme l’UNSA dans sa manière d’être.
La gestion bureaucratique amène à négliger des questions aussi importantes que celle des non titulaires ou à nier toute dimension réunionnaise particulière à l’orientation et aux revendications. L’hostilité affichée à l’encontre du calendrier climatique, l’indifférence polie à l’égard de la langue créole, l’imperméabilité aux questions sociales locales font du SNES Réunion une sorte de « plante hors-sol » qui ne survit que grâce au soutien national.

Là encore la sanction des élections professionnelles est tombée avec un nouveau recul sévère de représentativité, reflet de la désyndicalisation.
La FSU dans son ensemble subit le contrecoup de l’échec du SNES – mais également celui du SNUipp- , perdant une part de sa représentativité au profit d’une formation syndicale à la fois opportuniste et réactionnaire : FO.

Il faut cependant noter qu’un syndicalisme revendicatif est parvenu à contenir la poussée de FO tout en réduisant l’influence de l’UNSA dans le premier degré : le SAIPER est en effet devenu l’organisation la plus représentative dans son secteur. C’est une vraie satisfaction de constater que même dans un contexte aussi morose, il est possible de développer un syndicalisme offensif et indépendant.
Par contre, c’est un vrai regret de constater que les blocages internes à la FSU, causés par la direction du SNUipp, n’ont pas permis d’engager des discussions sérieuses avec le SAIPER dont de nombreux membres ont été exclus de fait du SNUipp il y a près de vingt ans, suite à des manœuvres bureaucratiques proches de celles qui sont utilisées dans le SNES.

Nous sommes, nous militants syndicaux, face à un dilemme : notre organisation le SNES, nous a placés dans une situation de « syndicalisme empêché » en nous interdisant de facto de militer utilement pour les personnels. Le pire serait d’abandonner toute forme d’action syndicale, ce qui malheureusement conviendrait parfaitement à l’administration et à son prolongement syndical, la direction du SNES Réunion.

Que nous reste-t-il ?
Un pari, un espoir :

Les difficultés sont immenses : la première est la faiblesse de l’activité revendicative dans les établissements. Les collègues, abandonnés par leur syndicat, sont soumis à un véritable rouleau compresseur administratif, réduisant leur fonction à un strict rôle d’exécutants de consignes venues « d’en-haut ». La liberté pédagogique, la simple dignité professionnelle sont chaque jour menacées, avec pour résultat de diffuser un sentiment de crainte, d’angoisse, de peur parfois rien qu’à l’idée d’exprimer son opinion.

relais serviles des CE et des IPR, dont la fonction essentielle est de briser les solidarités, d’étouffer les critiques, en un mot de faire taire.
La démarche à mettre en œuvre n’a rien de particulièrement original : il s’agit de combattre les peurs et le sentiment d’impuissance qui prévalent aujourd’hui en organisant l’action collective des collègues dans leurs établissements. Cette action peut porter sur les sujets les plus simples, contester une décision déraisonnable d’un CE, ou les plus compliqués, remettre en cause un TRMD, un contrat d’objectifs. Elle doit porter une attention particulière aux collègues dont la situation professionnelle est la plus fragile : non-titulaires, nouveaux collègues, AED. Il s’agit au travers d’une contestation permanente des orientations pédagogiques de l’administration de susciter une nouvelle radicalité, de dessiner les contours d’une orientation alternative, portée par l’ensemble des collègues.

La seconde difficulté, pas nécessairement par ordre d’importance, est l’avancée incontestable des thèses libérales en matière de gestion des personnels, de rémunération et d’orientation pédagogique.
Les schémas libéraux de « mérite » aussi bien pour les personnels que pour les élèves ont diffusé leur poison largement. Au cœur de l’évolution des collèges et des lycées, on trouve la stratégie des « compétences » qui est imposée de manière dogmatique à la façon dont une secte crypto- religieuse martèle ses thèses et crée ainsi le péché d’hérésie. A l’inverse des recommandations ministérielles, nous défendons la notion d’une école de qualité pour tous. Nous rejetons avec la plus grande fermeté l’ensemble des dérives accumulées en matière pédagogique ces dernières années et militons pour que les enseignants voient respectées leur liberté, leur créativité, en bref soient débarrassés du corset étouffant des pratiques frauduleusement baptisées « innovantes ». Rien pour nous ne saurait faire obstacle à la critique argumentée de la doxa libérale, rien ne saurait être considéré comme acquis ou allant de soi. Nous le dirons et nous construirons des contestations collectives des dérives.

Au cœur du système éducatif se trouve la formation des maîtres. Les ESPE ont repris le pire de ce qui existait dans les IUFM. Au premier chef, l’imposition aux jeunes collègues d’un cadre normatif et inutilement contraignant. Aux antipodes d’une culture de la liberté, on trouve la fameuse règle : « agir en fonctionnaire de l’Etat » qui considère donc que la soumission importe davantage que la maîtrise d’une discipline. Le poids démesuré des « sciences de l’éducation » dans les formations est l’indice très sûr et inquiétant que l’objectif visé est de « décrocher » les enseignements d’un enracinement disciplinaire solide. C’est aboutir à terme à des « enseignants » généralistes , accessoirement formés à telle ou telle matière. De fait, ce type de formation contribue à fragiliser considérablement l’exercice du métier et à rendre les personnels de moins en moins autonomes et de plus en plus dépendants des consignes qui leur sont données.
La contestation de ces choix peut et doit être portée par les enseignants en formation eux-mêmes : renouer avec la dignité du métier passe par la capacité de dire non à l’inacceptable. Il s’agit bien par là de considérer que la contestation est un élément fondamental d’une vraie formation d’enseignant ! Nous tenterons de la développer.

Enfin nous entendons situer géographiquement et historiquement notre action syndicale : nous vivons et travaillons à la Réunion , une ancienne colonie qui n’a jamais eu les moyens de son émancipation.
Créer une organisation autonome qui vise à regrouper des personnels à statut national (agrégés, certifiés, CPE) peut apparaître comme une tâche impossible : comment défendre tel ou tel collègue sans relais parisien, s’occuper efficacement de sa mutation, de son avancement… ?
Il s’agit là manifestement d’une fausse question. Elle sera posée par ceux dont l’horizon syndical est borné par les mutations nationales et une lecture administrative des rapports de force.
En réalité, ce qui nous importe encore une fois est d’inscrire la défense des collègues dans le cadre d’actions collectives menées ici. Cette tâche quotidienne nous la mènerons au plus près des collègues concernés. L’essentiel des difficultés rencontrées par les collègues peuvent être traitées localement.

Mais au-delà de cet aspect, il s’agit bien d’articuler les revendications générales (salaires, statuts…) et les revendications locales liées à la position particulière de notre île.

Le contexte social réunionnais est profondément marqué par le passé colonial : la faiblesse intrinsèque de l’économie locale, la dépendance quasi-absolue à l’égard des transferts français et européens ont conduit à de spectaculaires déséquilibres et des impasses sociales majeures. La moitié de la force de travail est en situation de chômage ou de sous-emploi précaire sans aucun espoir d’amélioration. De fait, le système éducatif, malgré ses dysfonctionnements, fournit une main d’œuvre qualifiée que le marché du travail est incapable d’absorber. Le niveau des salaires est maintenu artificiellement bas au nom de « la compétitivité » et les services publics sont en continuelle situation de « rattrapage du retard ».

De manière parfaitement cynique, La Réunion est considérée comme une sorte de vaste laboratoire social où l’on teste la capacité de résistance d’une population à la politique libérale. C’est également un pays de très fortes inégalités sociales où le taux d’ISF est un des plus élevés et où l’opulence d’anciens et de nouveaux riches contraste fortement avec la pauvreté de l’essentiel de la population.

Les inégalités scolaires reflètent en grande partie les inégalités sociales. Mais de même que l’Ecole n’est pas comptable de la désespérance sociale, elle n’a pas à soigner tous les maux de la société. Elle n’en a d’ailleurs pas la possibilité. Donc, si les jeunes ne trouvent pas d’emploi, ce n’est pas parce que les enseignants, les Co-Psy auraient mal fait leur travail d’orientation. Si certains jeunes sont en situation de rébellion impuissante face aux collègues, ce n’est pas lié à l’incapacité de ces collègues « à tenir leurs classes ». Si la maîtrise du français est désastreuse, ce n’est pas parce que les enseignants de Lettres seraient subitement devenus incompétents.

Par contre, l’accumulation de mauvaises décisions politiques produit en effet une crise profonde du système éducatif. Mais les responsables ne sont certainement pas les personnels dont la voix n’est jamais écoutée. Encore une fois, sous le prisme tropical, les décisions prises sont encore plus mauvaises qu’en France métropolitaine. La non prise en compte de la situation réelle des élèves sur le plan culturel et linguistique aggrave la crise.

a fait l’objet de nombreux combats en particulier dans les années 1990. Ceux-ci ont permis d’aboutir à la création d’un CAPES de Langue et Culture Régionale qui aurait dû et pu être un formidable outil de croisement de culture, de développement psychologique et, puisque c’est à la mode, de formation citoyenne. Loin de là, les enseignements de LCR ont été considérés comme le parent pauvre de l’enseignement du français, les enseignants certifiés nouvellement recrutés ont été particulièrement maltraités dans l’exercice de leur métier, au point que bon nombre d’entre aux ont préféré abandonner leur discipline et que certains ont sombré dans la dépression.
L’indifférence à l’encontre de la langue créole se double d’une indifférence au moins égale à l’encontre des jeunes issus de l’île de Mayotte dont les problèmes linguistiques ne font l’objet d’aucun projet, d’aucune réflexion. Ceci démontre bien d’ailleurs l’inanité de la « démarche de projet » ou « d’objectif » qui en fait crée un monde pédagogique virtuel sans efficacité, voire néfaste aux élèves.
Nous nous battrons pour une politique de la langue, des langues, à La Réunion. Sous l’ensemble des aspects, pédagogique, psychologique, institutionnel.

Le débat quelque peu surréaliste sur les rythmes scolaires dans le cadre de la « Refondation », a superbement ignoré l’évidente question du calendrier climatique, évacuant ainsi une part essentielle du vécu scolaire. Le débat a donc débouché là encore sur du virtuel confirmant la stratégie d’évitement utilisée à l’encontre des questions réunionnaises.
Nous nous battrons pour le calendrier climatique du point de vue de professionnels de l’Education souhaitant que leurs élèves travaillent dans les meilleures conditions possibles, en menant des débats ouverts et tolérants en direction des collègues, des parents d’élèves et des élèves eux-mêmes.

Notre projet est donc primitivement le produit de l’échec d’une certaine forme de syndicalisme, particulièrement caricatural à La Réunion.
Mais il est aussi le produit du succès incontestable d’un syndicalisme combatif et plein d’imagination et de ressources, celui du SAIPER.

Nous faisons le pari de réussir à réinjecter dans les lycées et les collèges un esprit de résistance et de solidarité qui fait défaut aux collègues depuis trop longtemps.

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