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Retour sur le Festival Raisons d’Agir (3-5 avril) « Education et émancipation »

Nous publions ici un texte bilan et “subjectif” sur le festival Raison d’agir qui s’est tenu à Poitiers il y a quelques mois. Cet article, publié avec l’aimable autorisation de l’auteur a également fait l’objet d’une publication dans Dialogue, la revue du GFEN.

Le festival Raisons d’Agir vient de clore sa huitième édition, cette fois consacrée à l’école, avec pout titre : « éducation et émancipation ».

Fidèle à sa démarche d’ouverture, l’association Raisons d’Agir, (sous l’impulsion de Bertrand Geay, d’Etienne Douat, de Pierig Humeau, de Véronique Rauline, et de Benoît Perraud) a permis à de nombreux chercheurs : sociologues, pédagogues, philosophes, à des militants : syndicalistes, enseignants, étudiants et « simples citoyens », de sensibilités épistémologiques et politiques variées, d’intervenir et d’échanger pendant 3 jours autour des axes majeurs de la politique éducative. J’en citerai quatre :

1) Une analyse de la place et de la fonction de l’Ecole dans le devenir général des sociétés européennes ; que devient l’institution scolaire et ses tensions internes dès lors qu’elle est plongée dans cette phase nouvelle de l’économie capitaliste qu’est le « néolibéralisme » ? L’Ecole d’aujourd’hui oppose-t-elle encore en son sein des forces tendant à la formation de la main d’œuvre docile et à la reproduction sociale et des forces qui continuent à considérer que le savoir est potentiellement porteur d’une lucidité critique, anti-systémique, en somme : d’une émancipation ? Que devient cette contradiction aujourd’hui ? Se métamorphose-t-elle, et comment ? N’y a-t-il pas, au moins de façon rhétorique, une récupération du vocabulaire de l’émancipation par le néolibéralisme, sous les vocables de « l’autonomie » (certes massivement individuelle), de « l’initiative », de la « compétence », voire de la « créativité » ? Cette transformation peut-elle amener à réconcilier les forces, ou au contraire à les exaspérer, si tant est qu’elle oblige à une pensée précisée de l’émancipation dans et par l’Ecole ?

2 ) une analyse des inégalités scolaires, de leurs mesures et de leurs raisons ; ce fût l’occasion d’une réflexion sur les liens que peuvent entretenir aujourd’hui l’institution E.N avec les origines et milieux sociaux, en particulier concernant la prégnance des « stratégies scolaires » des familles (jeu des options, contournement de la carte scolaire, choix d’orientation, ressources extrascolaires, etc.), et par voie de conséquence concernant les « connivences » entre culture familiale et culture scolaire, notamment dans le rapport des jeunes élèves à la culture écrite. Quelles stratégies aujourd’hui autour de la « méritocratie », et des « discriminations positives », dans l’accès aux grandes écoles, quelle volonté politique de séparer les établissements « d’excellence » et les zones abandonnées à la précarité ?

3) une analyse des rapports entre les contenus de savoirs et les façons d’enseigner ; cet axe fût l’occasion de redoubler les interrogations précédentes par la question de savoir quelle place, symbolique et intériorisée, les « objets de savoir » occupaient dans le cursus, et comment se pensait l’appropriation de ces savoirs par les élèves. La diversité des voies d’apprentissage étant constatée et débattue, une question s’enchaîne : faut-il, et surtout comment le faut-il, mesurer l’efficacité pédagogique de telle ou telle approche ? Et pour faire lien avec le point précédent : y a-t-il des façons de faire qui soient plus favorables à tel ou tel public ? Comment combattre l’idée que les pédagogies « actives », ou « nouvelles » comporteraient une ambition au rabais, destinée à des publics « en difficulté » ? Retour donc sur la question de « l’émancipation » par les savoirs, de la signification de ce concept, de sa congruence avec la question des inégalités scolaires ; tout cela venant relancer une réflexion sur le sens de l’idée de « démocratisation ». Parallèlement, et en fonction des réponses apportées quant à la valeur heuristique et politique des stratégies pédagogiques, se pose la question du métier des enseignants, de la formation, initiale et continue, du travail en équipe, de l’autonomie, non pas du seul chef d’établissement, mais des personnels éducatifs en général.

4) une réflexion sur la réalité et la pertinence du monopole éducatif des disciplines et de la culture écrite à l’Ecole, sur la place d’autres acteurs éducatifs, à la fois au sein des établissements (CPE, COP, CIO, AVS, etc.), mais surtout au dehors de l’école : dans les familles, les quartiers, les associations d’éducation populaire, etc. En effet, il est notable que la définition de « l’éducation », très large, est travaillée autant par l’Etat que par la société civile et ses nombreuses associations ; que faire de cette pluralité d’influences ; peut-on s’accommoder d’une relégation de l’éducation populaire au ministère de la jeunesse et des sports ? A cette interrogation s’ajoutent d’autres questions concernant l’importance des « savoirs informels » dans l’éducation, désignés pour l’heure par les « compétences 6 et 7 » portant sur le « savoir-être », sur « l’esprit d’initiative » ou « citoyen ». Où commencent où s’arrêtent les missions de l’Ecole ? Cet ensemble d’interventions pouvant se résumer au problème suivant : dans quelles mesures s’articulent la réduction de l’éducation à l’instruction et la sanctuarisation des établissements ?

A toutes ces questions, ont apporté des éclairages stimulants, des analyses argumentées et parfois chiffrées, des prises de position politiques, des auteurs comme : C.Ben Ayed, S.Bouron, E. Douat, B. Geay, S. Morel, G. Chambat, P. Clément, Ch. Nordmann, M-H. Motard, Ch. Soulié, J-P. Terrail, S. Bonnéry, F. Neyrat, S. Broccolichi, U. Palheta, Ch. Passerieux, A. Tiercelin, ainsi que la réalisatrice C. Bouffartigue, auteure du film « Tempête sous un crâne ».

Le public, régulièrement compris entre 50 et 150 personnes par jour, selon les conférences, se composait aussi bien d’étudiants, d’enseignants bien sûr, de syndicalistes, mais aussi d’habitants de Poitiers et de sa région, intéressés par les questions relatives à la politique scolaire. Les organisateurs ont parfaitement su équilibrer le temps des conférenciers et le temps des interventions du public, afin de donner au festival une tournure à la fois savante et populaire, individualisée et coopérative.

Certes, quelques critiques peuvent être faites : une relative imprécision peut-être quant aux titres des conférences, parfois si larges que le public a pu avoir l’impression d’être perdu dans un propos océanique. Critiques à nuancer immédiatement si l’on veut bien entendre que toutes les questions abordées, ici facticement distinguées en 4 points, sont en réalité intimement liées entre elles ; comment dès lors espérer qu’un découpage quelconque puisse trouver les pointillés ?
Au contraire, il m’a semblé que les organisateurs ont très courageusement voulu ouvrir le champ entier des questions qui se posent concernant les grands axes de la politique éducative ; à la diversité des approches et à la complexité des problèmes enchâssés répondait le désir maintenu de formuler un discours unifié, et politiquement engagé.

J’ai personnellement vécu ces quelques jours comme une étape, une préparation, de ce qu’un certain front – de gauche – pourrait avoir à dire sur la politique éducative. L’accent systématiquement mis sur les rapports, au sein d’une pensée renouvelée de la « démocratisation », entre égalité/inégalité en fonction des origines sociales et « rapport au savoir » (émancipateurs vs assujetissants) me semble très prometteurs ; au lieu d’un affrontement stérile entre sociologues de l’inégalité et pédagogues révolutionnaires, entre mesures « quanti » de la réussite (qui n’interrogent pas le sens de ce concept, s’en remettant aux discours institutionnels de la réussite professionnelle) et prise de position sur le « sens » du savoir et donc de ce qui se « réussit » en terme de puissance de sentir et d’agir, il y a eu dans ce festival une tentative sérieuse d’articulation. De même, si certains intervenants (B.Geay, S.Bonnéry) ont bien pointé le danger que certaines vulgates de « méthodes actives », ou « d’éducation nouvelle » puissent se tourner en démagogie, ils n’en ont pas pour autant condamné le principe ; au contraire me semble-t-il, ces façons d’envisager le rapport au savoir, ne mettant ni le maître ni l’élève au « cœur », mais bien « l’objet de savoir » (Ch.Passerieux), restent une voie riche d’appropriation véritable et par là d’émancipation. L’éducation nouvelle en effet ne s’improvise pas et ne se confond en aucune façon avec une vague sentimentalité bienveillante envers l’enfant et son désir ; il y a donc en ce domaine une forte nécessité de formation approfondie ; autant de remarques avec lesquelles le GFEN ne peut que s’accorder.

Pour retrouver le programme et les interventions audios de ce festival, vous pourrez vous rendre sur le site de l’espace Mendes France (1, place de la cathédrale, 86000 Poitiers).
http://emf.fr/15811/
Jean-Charles Royer

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