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Question de discipline(s) !

La question des « disciplines », comme celle des compétences, fait partie de celles qui permettent les débats les plus enflammés… ou les plus creux (avec le couple autorité / laisser-aller, pas mal non plus dans le genre polémique et lieux communs). Nous vous proposons cette semaine de découvrir les pages “en débat” du nouveau numéro de la revue N’Autre école – Questions de classe(s), à commander en ligne sur notre site. Trois textes explorent la question des disciplines à l’école, se complètent et se répondent… Question de discipline(s) ! Pour ou contre… ou : on se regarde pédaler ? D’un côté, il y a les cramponnés à leur champ disciplinaire, pour de multiples raisons : c’est ce qu’ils aiment, la raison pour laquelle ils ont entrepris des études, ce qu’ils veulent partager ; ils expliquent que chaque champ de savoir a ses règles épistémiques internes, ses nécessités d’apprentissage aussi. On n’apprend pas la géométrie comme l’anglais, la danse ne s’enseigne pas comme le tennis de table. Logique. Logique mais un peu court car ces champs disciplinaires sont le produit d’une histoire : ainsi, la géographie est couplée à l’histoire en France, aux sciences et vie de la Terre ailleurs. Le choix d’en choisir certains, d’en laisser d’autres de côté est tout sauf rationnel : pas de droit ? pas de psycho ? pas de connaissances de santé (ou si peu et tardivement) ? De l’autre côté, le manque criant de sens des savoirs scolaires aux yeux des élèves appelle des rapprochements, d’abord bien sûr dans le primaire, mais aussi dans le secondaire. Il est assez aberrant qu’on parle de sujets proches (l’énergie atomique en physique et en histoire-géo par exemple) sans coopération entre les enseignements. Mais la solution n’est certainement pas de penser que « tout est dans tout ». Comment s’en sortir ? On peut penser (comme Bernard Collot par exemple, notamment http://b.collot.pagesperso-orange.fr/b.collot/simplexite.html#simplexite) qu’il faut enseigner les langages, c’est-à-dire les réponses appropriées à la résolution d’une question. Cela signifierait réorganiser les apprentissages en partant des questions des élèves. On peut partir de l’axiome qu’il faut éveiller les élèves à l’esprit critique par une pédagogie de lutte de classe (comme Irène Pereira sur notre site Questions de classe(s) « Vers une pédagogie de lutte de classes »). Reste à trouver les enseignants prêts à s’atteler à cette tâche. Le grand nombre, pour ne pas dire la quasi-totalité, de nos collègues ignore ou veut ignorer ces cadrages généraux, qui peuvent être pourtant porteurs de vraies perspectives. Ils veulent tenir du solide (d’où l’orientation vers les disciplines) et ainsi assouvir un besoin de sécurité cognitive et professionnelle. Ou alors intéresser les élèves, quitte à élargir un champ disciplinaire ou à faire du transdisciplinaire et ainsi répondre au souci de faire œuvre utile. Et si l’important était de savoir ce que l’on fait et pourquoi ? Pourquoi on choisit ou l’un ou l’autre… ou un peu des deux ? N’est-ce pas la première émancipation que d’avoir un regard sur ses choix professionnels ? On réfléchit et c’est pas triste Tout le reste – la mise en épingle par les réacpublicains de tel ou tel EPI (Enseignement pratique interdisciplinaire) ridicule sur des milliers et des milliers de projets, les défenses de prés carrés (l’hostilité des profs de SVT à l’Enseignement intégré des sciences et des techniques en est un exemple) – est dérisoire ou doit être socialement interrogé (langues anciennes). L’hostilité à toute proposition officielle d’interdisciplinarité, classique (certains se souviennent comment le rapport Bourdieu-Gros avait été accueilli) n’en est pas pour autant plus intelligente. La défense de principe des horaires a comme inconvénient d’ignorer l’ennui des élèves : est-ce vraiment une question d’heures ou de ce que l’on met dedans ? Alors oui, il faut d’abord se demander où l’on en est. Arrêt nécessaire sur image. ■ Jean-Pierre Fournier Sortir radicalement des cases S’arc-bouter sur le cloisonnement disciplinaire se fait toujours au détriment du sens des savoirs et du plaisir d’apprendre. Enseigner les mathématiques en lien étroit avec l’histoire, l’épistémologie, la philosophie, les arts, les sciences sociales, et ce dès le primaire, serait tellement plus signifiant pour les élèves que l’alignement de théorèmes et de formules (pas du tout magiques !). De nombreux élèves sont allergiques aux maths parce que « c’est trop abstrait », parce que « cela ne veut rien dire ». Et pour ceux qui n’ont pas été rebutés, ce sont souvent, avant tout, des techniques qui doivent pouvoir être instrumentalisées. Mais à quoi bon faire des maths, et leur donner une place aussi centrale dans les cursus scolaires, si cela ne permet pas de penser ? Les grands mathématiciens étaient aussi des philosophes et des artistes. Défendre les disciplines, c’est défendre un rapport utilitaire aux savoirs. Et pour l’utilité de qui ? Pas des élèves que l’on conditionne à entrer dans leur case à l’école des (de la) discipline(s). En sciences économiques et sociales, le retour au cloisonnement économie/sociologie (sous prétexte de rigueur intellectuelle et de préparation aux cursus universitaires) se traduit par l’hégémonie de l’approche néolibérale et individualiste dans les programmes. Alors que lorsqu’elles ont été introduites au lycée en 1966, l’objectif des SES était de permettre aux élèves de développer une compréhension critique du monde contemporain, en mobilisant l’économie, la sociologie, la science politique, et dans une moindre mesure, l’histoire, la démographie, l’ethnologie, le droit, autour de grandes problématiques de société. Cette approche n’a cessé d’être attaquée depuis les années 1970 et les réacs ont fini par gagner. Prendre comme point de départ des questions qui font sens pour comprendre la vie et le monde et non pas des disciplines déconnectées entre elles et déconnectées du réel : c’est ainsi que devraient être organisés les apprentissages, tout particulièrement dans la formation des plus jeunes. Cependant, il ne s’agit pas de s’engouffrer dans la logique des « enseignements pratiques interdisciplinaires » de la réforme du collège, absolument inadaptés aux réalités et besoins des élèves et des enseignant.e.s : il ne s’agit que de bricolage afin d’organiser et de justifier la pénurie de moyens tout en réaffirmant l’approche hiérarchique de l’éducation. Défendons une éducation intégrale : au lieu de gaver les jeunes de connaissances sitôt oubliées, accompagnons-les dans leurs questionnements en mobilisant tout ce que l’humanité nous a offert de savoir, pour qu’ils ne cessent d’apprendre et de s’émanciper leur vie durant. ■ Alexandra Henry Odette et les savoirs Je n’ai pas eu la chance de connaître Célestin Freinet mais j’ai eu l’envie de reprendre mes études après la naissance de mon deuxième fils. Et à la fac de Saint-Denis du 93, j’ai eu la chance de m’inscrire au dernier cours d’Odette Bassis. Henri et Odette Bassis furent de grands pédagogues. Ils ont écrit de nombreux livres. Mais le cours d’Odette, sur la pédagogie, n’était pas seulement un cours qui parlait de pédagogie. C’est un cours qui en faisait, à vif. Tout le monde savait que c’était la dernière année d’enseignement, alors l’amphi était plein partout. Odette entre et nous dit : « 1515 ». La moitié de la salle, pavlovisée, répond « Marignan ». D’une voix douce et malicieuse, elle nous demande alors : « Mais, que s’est il passé, en 1515 à Marignan ? » Mettez-vous par groupe de 4 et réfléchissez ensemble à ce que vous savez. Laborieux, moi, je ne savais qu’une chose, c’est que c’était en Italie. Mais qui, contre qui, et surtout pourquoi ? Mystère total. Un étudiant de mon groupe se souvenait du nom du roi, que j’ai oublié depuis : François 1er ? Là, Odette reprend : Alors, qu’en savez-vous ? Quelques groupes se lancent, et à plus de 200 cerveaux dans la salle, nous réalisons à quel point nous ne savons rien ni de ce qui s’est passé, ni de pourquoi cette date est restée dans la mémoire des historiens qui infligent cet apprentissage au programme. Odette nous apprend alors qu’il existe de « faux savoirs », des choses que l’on sait, mais dont on sait si peu des enjeux réels que ces pseudo-savoirs ne servent qu’à faire des points dans les jeux de société. Cours suivant : Odette arrive et nous lance : A+B au carré ? Là, tout le monde chantonne A2+B2+2AB, et cette fois, on sait qu’elle ne nous aura pas aussi facilement que la semaine précédente : « Dessinez-le » nous répond-elle. Même échec lamentable. La plupart des gens n’ont pas l’idée de dessiner un carré, alors qu’elle nous a bien dit A+B au carré. Presque personne ne s’autorise à une valeur de A et de B permettant de dessiner une situation de ce type. Quant à voir les rectangles AB, nous découvrons que même en maths, nous avons appris des récitations dont nous n’avions pas réellement approprié le sens. Toc, faux savoir ! Dès le cours suivant, nous étions comme des chiens de chasse dans une battue, à traquer les faux savoirs de toute notre scolarité et à nous jurer que nous, nous réfléchirions pour transmettre à nos élèves des savoirs, mais aussi des pouvoirs de comprendre le monde. ■ Extrait de Trop classe !, Véronique Decker, Libertalia, coll. « N’Autre école », 2016, 122 p., 10 €.

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1 Comment

  1. Alain Beitone

    Question de discipline(s) !
    Questions de classe(s) annonce un débat sur les disciplines. En fait de débat les trois articles publiés convergent pour la critique des disciplines. Pourquoi pas, mais ce n’est pas un débat.
    Difficile d’argumenter dans le cadre proposé. Je propose aux lecteurs qui veulent entendre un autre point de vue de lire diverses contributions sur le site “Démocratisation scolaire”.
    – Celle de B. Schneuwly sur le concert des disciplines
    – Celle de J.P. Terrail sur l’interdisciplinarité au collège
    – La mienne (sur les disciplines scolaires et les disciplines savantes)

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